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28 décembre 2011 3 28 /12 /décembre /2011 16:28

(En corps (I) : Michael Fassbender dans Shame de Steve McQueen : cliquer ici)

 

 

2/ A Dangerous Method (2011) de David Cronenberg : Les métamorphoses de la chair psychanalytique

 

1/ Un spectre hante depuis toujours le cinéma de David Cronenberg. Ce spectre est celui de la psychanalyse. Son tout premier court-métrage « underground » réalisé en 1966 ne s’appelait-il d’ailleurs pas Transfer ? La notion psychanalytique de transfert, développée par Sigmund Freud à l’époque où il travaillait avec Joseph Breuler sur l’hystérie (et particulièrement sur le cas « Dora » en 1900), en trouvant à se prolonger au-delà du cadre de la cure avec la formule plus conceptuelle de « maniement du transfert », participe à distinguer la psychanalyse de toute autre forme de psychothérapie. Cette formule de « maniement du transfert » désignera donc tout à la fois la projection amoureuse de l’analysant envers son analyste au cours de la cure, le mécanisme présidant à la formation des symptômes répétitifs résultant de traumatismes infantiles, ainsi que la transcription par le discours de l’analyse du langage de l’inconscient refoulé de l’analysant s’exprimant en autant de représentations substitutives, rêves, actes manqués ou gestes symptomatiques. L’interprétation des symptômes de l’analysant par l’analyste, par-delà l’amour que le premier projette (ou transfert) sur le second, est l’un des tâches entreprises dans la cure psychanalytique, et l’on verra que c’est très précisément l’un des motifs structurant la fiction proposée par le nouveau long métrage du cinéaste. Si le spectre de la psychanalyse hante donc le cinéma de David Cronenberg, il ne se réduit alors pas à ce seul court-métrage. En effet, on retrouve ce fantôme insistant avec différents degrés de visibilité et de lisibilité dans un film de genre aussi marqué que The Brood (1979), avec le personnage du docteur Hal Raglan (Oliver Reed), une sorte de gourou reichien qui pousse dans ses ultimes retranchements, radicalement et monstrueusement, la puissance censément libératrice de la somatisation. Une puissance avec laquelle d’ailleurs, pour paraphraser ici le titre du film de Serge Grünberg (I Have To Make The Word Be Flesh) appartenant à la série documentaire Cinéma, de notre temps d’André S. Labarthe et consacré en 1999 au cinéaste canadien, le verbe (psychique) devient chair (de l’image). Malgré leur dissemblance, The Dead Zone (1983), Dead Ringers (1988) et M. Butterfly (1993) peuvent également se voir, par-delà leur appartenance à chaque fois moins nette au genre fantastique, comme l’analyse indirecte (car passée au filtre de la subjectivité tourmentée des personnages) de trois cas cliniques bien distincts (le premier sous le versant paranoïaque, le second sous celui de la schizophrénie et le troisième sous le versant psychotique). Avec Spider (2002) adapté du roman éponyme de Patrick McGrath, David Cronenberg gravit un échelon supplémentaire en affinant avec un souci de plus grande netteté le traitement du motif psychanalytique, puisqu’il propose le récit d’un schizophrène anglais tout juste sorti de l’hôpital psychiatrique. Conduisant sa propre auto-psychanalyse afin de remonter mentalement le fil arachnéen de son propre traumatisme, il court le risque tragique d’affronter de nouveau, au centre de sa toile psychique, la vision infantile et traumatique reconduisant circulairement son propre effondrement originel. Avec un désir de frontalité enfin assumé par un cinéaste qui ne s’avance désormais plus masqué (contrairement à ce qu’indique la célèbre citation latine de René Descartes proposée par Serge Grünberg dans son ouvrage sur David Cronenberg publié pour le compte des éditions des Cahiers du cinéma en 1992 : « Larvatus prodeo », soit « Je m’avance masqué »), A Dangerous Method représente donc aujourd’hui la nouvelle étape dans l’explicitation du spectre psychanalytique comme puissance esthétique tout à la fois fictionnelle et figurative. Et ce spectre prend désormais la quadruple figure de quelques-uns de ses plus éminents représentants historiques, les célébrissimes Sigmund Freud et Carl Gustav Jung d’une part, mais aussi d’autre part les moins connus des profanes Otto Gross et Sabina Spielrein. D’une certaine manière, ce film, qui fit bien moins de bruit que Shame lors de leur présentation respective au dernier Festival de Venise, rend compte des circuits tortueux et névrotiques de transferts (de l’analysant envers son analyste) et de contre-transferts (de l’analyste en direction de son analysant) ayant obscurément déterminé, par-delà la civilité propre aux sociétés bourgeoises de part et d'autre de la Suisse et de l'Autriche en ce du début du 20ème siècle, les étranges relations entre ces quatre personnages, circuits qui auront en contrepartie nourri l’effort théorique les ayant momentanément unis. Et ce, au moment même où la psychanalyse était justement en train de changer de peau, passant d’un statut minoritaire et faiblement légitime à celui d’une discipline distincte de la psychologie et scientifiquement autorisée. Il se trouve d’ailleurs que la mue de la discipline psychanalytique est également partagée par ses représentants, eux-mêmes happés par une dynamique métamorphique générale au terme de laquelle tous sont, pour paraphraser Friedrich Nietzsche, devenus ce qu’ils sont aujourd’hui. Soit d’éminents théoriciens qui ont partagé un savoir commun (la science en plein devenir des états psychiques inconscients) tout en luttant, tantôt les uns avec les autres, tantôt les uns contre les autres, afin de se produire subjectivement en se distinguant dans la promotion commune de ce savoir partagé. C’est pourquoi A Dangerous Method ressemble tant à une partie de billard à quatre bandes, avec quatre acteurs magistraux (Michael Fassbender dans le rôle de Carl Jung, Viggo Mortensen dans celui de Sigmund Freud, Vincent Cassel dans le rôle d’Otto Gross et Keira Knightley dans celui de Sabina Spielrein) grâce à qui peut ricocher dans toute sa véridicité la bille de la pensée psychanalytique. Que cette pensée alors en formation prenne forme à l’intersection des interrelations tourmentées entre les quatre personnages, mieux que cette intellectualité commune puisse accéder à une forme d’audibilité mais aussi de visibilité cinématographique inédite puisqu’elle est un cercle dont la quadrature est donnée par quatre acteurs au sommet de leur art est ce que rend le nouveau film de David Cronenberg particulièrement passionnant. Surtout que, contrairement à Shame où Michael Fassbender souffre d’une solitude qui est celle de son personnage aliéné mais qui relève aussi du domaine actoral (la présence de Carey Mulligan ne servant que de contrepoint négatif à la performance de son partenaire), le même acteur peut d’autant plus réussir à incarner le personnage de Carl Jung que sa prestation est inscrite dans le relief général offert par trois autres prestations tout aussi convaincantes.

 

2/ Si l’on considère A Dangerous Method à partir de la généalogie fondant son récit, on verra tout ce qui rapproche ce dernier film de M. Butterfly. Ce film réalisé par David Cronenberg en 1993 provenait d’un fait divers authentique : un fonctionnaire de l’ambassade de France en Chine aima une chanteuse lyrique chinoise interprétant Madama Butterfly (l’opéra de Giacomo Puccini en 1904 d’après la pièce de théâtre de David Belasco inspirée elle-même par une nouvelle de John Luther Long), cette dernière s’étant révélée en fait être un homme le manipulant au profit du gouvernement chinois. Cette histoire vraie d’amour fou et d’espionnage à l’époque de la révolution culturelle de 1966 a donc donné matière à un fait divers journalistique qui s’est ensuite transformé en matière littéraire (la pièce de théâtre de David Henry Hwang), avant de servir enfin de matière cinématographique (le dramaturge David Henry Hwang a adapté sa propre pièce pour le film de David Cronenberg) pour une fiction offrant au final une variation (qui est une inversion) inattendue du mythe cristallisé par l’opéra de Giacomo Puccini. Le film réalisé en 2010 et produit par Jeremy Thomas (le producteur anglais qui produisit aussi Naked Lunch inspiré de la vie de William Burroughs en 1991 et Crash d’après le roman éponyme de James Graham Ballard en 1996) n’est guère moins compliqué dans sa généalogie : l’histoire vraie de la passion amoureuse ayant secrètement uni en 1904 le jeune docteur en psychologie Carl Gustav Jung avec l’une de ses patients atteintes d’hystérie, Sabina Spielrein, et sur laquelle ont indirectement pesé Sigmund Freud et l’un de ses patients envoyés à Jung, Otto Gross, a déjà donné matière à une transcription romanesque, A Most Dangerous Method (1995) de John Kerr. Le roman a lui-même été adapté pour la scène par Christopher Hampton sous le titre The Talking Cure (2002), avant que ce dernier n’adapte sa pièce pour le cinéma (comme il le fit avec Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos pour le film de Stephen Frears en 1988). Entre la réalité historique et sa retranscription fictionnelle, entre le roman et le théâtre, entre le fait divers journalistique et l’opéra, entre l’espionnage et la psychanalyse, entre la France et la Chine il y a 45 ans ou entre la Suisse et l’Autriche il y a un siècle, c’est une même vérité transdisciplinaire dont David Cronenberg sait renouveler les procédures d’apparition cinématographique, et qui appartient à la question chez lui plus générique de la métamorphose. Elle peut être celle d’un personnage voué à un devenir monstrueux dans le cadre du remake d’un film de science-fiction des années 1950 (comme dans The Fly en 1986 d’après La Mouche noire de Kurt Neumann en 1958). Mais la métamorphose, en tant qu’elle nomme ce changement qui est un dépassement d’une forme dans une autre forme (par exemple un insecte passant d’une forme larvaire à une forme adulte et définitive), peut aussi désigner les multiples déclinaisons qu’un récit peut adopter, comme autant de masques (« Larvatus prodeo » encore), de peaux ou de mues successivement accumulées qui font moins écran à son noyau de vérité qu’elles en exprimeraient plutôt l’essence. Et si M. Butterfly raconte l’histoire d’un homme désirant ultimement se fondre dans l’image qui le captive (au sens où il en est le « captif amoureux » aurait dit Jean Genet), comme avant lui The Fly (un homme dont le code génétique a accidentellement fusionné avec celui d’une mouche rêve d’une idéale fusion avec la femme aimée afin de produire un nouveau corps) et Dead Ringers (un frère fantasmant l’union incestueuse et fusionnelle avec l’image de son jumeau peut-être défunt) ont raconté des histoires semblables, A Dangerous Method narre aujourd’hui l’histoire de personnages s’affectant passionnément et s’influençant intellectuellement les uns les autres au point de ne plus ressembler à l’image qu’ils avaient ou donnaient d’eux-mêmes au début du film. Dans la dynamique passionnelle de leurs affections réciproques, c’est la théorie psychanalytique elle-même qui change et s’améliore, qui mute et littéralement se peaufine. Ce mouvement métamorphique recoupe d’ailleurs structuralement celui qui a affecté le geste cinématographique d’un cinéaste ayant inauguré son parcours en filmant les plus grands dérangements, voire désastres corporels et organiques (la forme larvaire dans les canalisations du court métrage From The Drain en 1967, les cobayes humains des expérimentations sexuelles dans Stereo, son premier long métrage réalisé en 1969, ou encore les parasites sexuels de Shivers en 1975 et la greffe ratée déchaînant la contamination virale de Rabid en 1976). Mais ce geste aura été poursuivi, non pas sur le mode de la surenchère dans l’expression et de l’extraversion, mais sur celui de l’introversion ou de l’intériorisation de la monstrueuse phénoménalité initiale équivalant formellement à une sortie de la série B. Lorsque par exemple Sabina Spielrein raconte un des ses cauchemars au docteur Carl Jung lors de l’une de leurs premières séances communes, elle évoque une forme visqueuse et gluante, telle la mythique « lamelle » décrite par Jacques Lacan, glissant sur le bas de son dos qui peut autant rappeler la figure burroughsienne du junkie dans Naked Lunch que les « game-pods » branchés sur la colonne vertébrale des participants au jeu virtuel d’Allegra Geller dans eXistenZ (1999). L’horreur informe et organique d'un trop de réel impossible à symboliser est une image qui, bien que persistante, ne légitime plus désormais sa représentation littérale : les mots suffisent à susciter chez le spectateur des images à la fois les plus fascinantes et répugnantes qu’il aura d’ailleurs tout le loisir de puiser dans ses souvenirs des précédents films réalisés par le cinéaste. Ce geste d’intériorisation, rappelant toutes choses égales par ailleurs le geste cinématographique de Fritz Lang progressivement passé de l’opulence expressionniste et du monumentalisme décoratif du cinéma allemand des années 1920 (cf. Des nouvelles du front cinématographique (44) : Lang et Renoir, à l'épreuve de la guerre et de l'exil hollywoodien) à l’économie ramassée de la série B. hollywoodienne durant les années 1950, est un geste de quintessenciation esthétique qui peut également être qualifié du terme (fortement connoté psychanalytiquement) de sublimation. La métamorphose du geste cronenbergien aura donc consisté, après ces grandes stations qu’ont entre autres été The Dead Zone, Dead Ringers, M. Butterfly, Spider et les deux films précédents (A History Of Violence en 2005 et Eastern Promises en 2007, véritable diptyque consacré au corps mutant de Viggo Mortensen), à intérioriser et sublimer une passion du monstrueux afin de remonter généalogiquement à l’origine de la scène fondatrice de cette passion : la théorie psychanalytique. Il ne s’agit plus de faire que le verbe (scénaristique) devienne chair (cinématographique), et même « nouvelle chair » (pour reprendre la formule digne de William Burroughs, dite dans Videodrome en 1982, et peut-être le sésame de toute l’œuvre du cinéaste comme le pense Serge Grünberg) afin de désigner le phénomène d’extériorisation prothétique du genre humain analysé par André Leroi-Gourhan (ce que le philosophe Bernard Stiegler nomme pour sa part « organologie »). Mais il s’agirait dorénavant de retrouver à la source (psychanalytique) la puissance d’incarnation du verbe grâce auquel peut tout à la fois se dire l’indicible et se représenter l’irreprésentable. Autrement dit penser l’impensable des images qui nous meuvent tout autant qu’elles nous émeuvent, et des idées qui, quand elles s’incarnent en nous, prennent possession de notre corps devenu son hôte. Entre l’image et l’idée d’une part, et d’autre part le corps et l’esprit, il y a tout un espace dévolu à la chair comme ce liant qui, en organisant la circulation entre ces termes, peut rappeler à l'intellectualité scientifique qu’elle relève inséparablement de l’inconsciente affection des corps.

 

3/ On n'oubliera pas de sitôt l'extraordinaire séquence du sauna vers la fin de Eastern Promises dans laquelle le personnage duplice incarné par Viggo Mortensen affrontait dans une nudité qui serait totale si elle n'était pas combinée à plusieurs tatouages recouvrant son corps deux tueurs munis d'armes blanches. A chaque changement de plan, à chaque coupe, c'était comme une couche de peau que perdait le protagoniste, comme si la séquence proposait une étude anatomique du corps de l'acteur. En même temps que son personnage allait jusqu'au bout d'une trajectoire subjective identifiant nudité et duplicité d'une part, et d'autre part barbares atrocités et technicité. Après un premier changement de peau (du cinéma « underground » de la fin des années 1960 au cinéma fantastique de série B à la fin des années 1970), sont venues d’autres mues (du cinéma fantastique de série A des années 1980 aux films d’auteurs un peu expérimentaux des années 1990 jusqu'aux thrillers stylés des années 2000) qui exemplifient l’idée d’une intériorisation ou d’une sublimation du geste cinématographique cronenbergien qui serait corrélative à son désir de vouloir jouer à l’intérieur de la sphère du cinéma dominant (hollywoodien). Et ce jeu, qui prolonge la métaphore contrebandière proposée par Martin Scorsese afin d’évoquer les cinéastes hollywoodiens œuvrant (comme Fritz Lang) dans la série B durant les années 1950, peut aussi déterminer la troublante subversion des représentations cinématographiques dominantes. A l'instar d'un virus qui est une entité biologique usant des cellules hôtes d’un corps afin de se multiplier et d’en détraquer le fonctionnement physiologique. S’il faut se méfier de « la maladie comme métaphore » (pour reprendre le titre de l’essai de Susan Sontag paru en 1978) qui peut véhiculer une vision organiciste au caractère fortement stigmatisant, l’« image virale » (Serge Grünberg) peut convenir dans le cadre strict de la pensée d’un geste esthétique qui serait progressivement passé d’une expression frontale ou littérale, radicale et minoritaire à une expression sublimée et subversive (on dira subtilement peaufinée) agissant au sein du majoritaire. De ce point de vue-là, et c’est un nouveau point commun avec M. Butterfly, A Dangerous Method court continuellement le risque de l’académisme, du figement figuratif et représentatif avec ses acteurs connus interprétant des personnages historiques dans les salons mondains d’une Belle-Epoque luxueusement reconstituée en studio. Et l’opinion réductrice serait celle qualifiant le film de David Cronenberg d’équivalent au cinéma d’une Psychanalyse pour les nuls qui auraient été publiée par les éditions First. Mais ce risque est parfaitement assumé en tant qu'il est à la fois peaufiné et subverti, autrement dit sublimé. En effet, en à peine 100 minutes, le film contracte une bonne dizaine d’années en multipliant les ellipses narratives et temporelles les plus fulgurantes qui, en conséquence, ne laissent aucune place pour les séquences contemplatives ou la confiture dramatique habituelle. Le film, incisif et sans bavure, aux arrière-plans neutralisés ou éludés, presque « ligne claire » dans son allure formelle, part donc au plus pressé, réduisant la part illustrative ou décorative au profit d’une vitesse narrative filante et bondissante accordée aux nœuds relationnels saisissant et modifiant de manière critique le devenir des quatre personnages principaux, en même temps que ces nœuds participent aussi à modifier la théorisation psychanalytique au-delà du cadre strictement clinique. A Dangerous Method offre effectivement l’un des films parmi les plus tendus et les plus concentrés sur son objet (ici, les métamorphoses de la chair psychanalytique à partir de la double affection des corps entre eux et des idées sur ces derniers) de l’année écoulée. En même temps, cette concentration formelle prend appui sur une fiction incluant la stabilisation progressive des personnages de Sabina Spielrein (d’abord vouée aux brisures corporelles provoquées par la rage hystérique) comme d’Otto Gross (extrait in fine de la triste culpabilité envers la figure paternelle pour une évasion joyeuse hors de la clinique). Comme elle inclut aussi et complémentairement la déstabilisation à haute teneur affective des certitudes cliniques et théoriques du jeune Carl Jung (29 ans en 1904, l’année du début du film) et du plus vieux Sigmund Freud (58 ans en 1914, l’année de fin du récit). L’amidon bourgeois qui guinde les manières de Carl Jung et la roide et paternaliste autosatisfaction de Sigmund Freud en prennent pour leur grade, et les deux personnages perdent quelques plumes dans une histoire qui a entre eux commencé en 1907 pour se terminer en 1913. C’est pourquoi il faut ici particulièrement apprécier le travail actoral respectif de Michael Fassbender et de Viggo Mortensen. Quand le second joue au gros matou roué, souverain de son royaume baroque finissant par s’ébrécher sous les arguments donnés par celui qu’il avait imaginé devenir son héritier putatif, le premier sait montrer le double mouvement inverse et schizoïde d’une puissance gagnée contre son maître comme d’une autre puissance perdue en regard de celle qui fut au départ sa patiente, puis en même temps son élève ainsi que son amante, enfin son égale dans la discipline. Que nous sommes loin avec A Dangerous Method de la routine actorale exigée par Roman Polanski dans le récent Carnage adapté de la pièce de Yasmina Reza, avec son quatuor d’acteurs (Jodie Foster et John C. Reilly d’un côté, Kate Winslet et Christoph Waltz de l’autre) au jeu rôdé afin de seulement parfaire une mécanique dramatique huilée et verrouillée. Tout au contraire, David Cronenberg ne se suffit pas du professionnalisme assuré de ses acteurs, préférant à la place expérimenter d’étranges performances ou combinaisons actorales qui réussissent au final à donner de la consistance à la pâte psychanalytique alors historiquement en train de lever. Aux côtés de Michael Fassbender qui joue pour la première fois dans un film de David Cronenberg et qui sait devoir retraduire en densité de jeu la rivalité objectivement exercée par Viggo Mortensen (souverainement présent chez ce cinéaste depuis A History Of Violence) mais aussi par Vincent Cassel (apparaissant dans Eastern Promises), Keira Knightley propose une prestation d’autant plus géniale qu’elle est configurée et environnée par une gestique masculine déclinée par trois excellents acteurs. Ce sont par exemple ses mimiques animales et hyper-expressives, comme si son corps était un automate indépendant de la volonté de son personnage, jusqu’à ce qu’elle réussisse à domestiquer un corps vrillé par les gesticulations symptomatiques d’un traumatisme infantile refoulé, digne d'une toile de Francis Bacon. Ce sont encore les gestes dénués de toute hésitation de Vincent Cassel dans le rôle d’Otto Gross. Réussissant d’ailleurs en une seule séquence tout ce qu’il ratait pendant les deux heures pataudes du film Le Moine de Dominik Moll d’après Matthew Gregory Lewis sorti cet été, on le voit fouiller minutieusement et tranquillement dans les affaires de Carl Jung lors de leur première séance commune, afin de rendre plus ou moins consciemment manifeste son désir de renverser la dynamique de l’analyse dès lors renvoyée de l’analysant à destination de l’analyste. Dans tous les cas, c’est une puissance gestique collective qui rend dans toute sa sensibilité les circuits du transfert et du contre-transfert agitant les personnages. Et cette puissance est celle du geste comme ce qui se communique d’une communication au-delà de toute expression verbale, et dont le cinéma serait d’après Giorgio Agamben un réceptacle privilégié (comme on le voit autrement dans les films de Terrence Malick : cf. Des nouvelles du front cinématographique (29) : Les Moissons du ciel de Terrence Malick ; Des nouvelles du front cinématographique (51) : The Tree of Life, le vert paradis de Terrence Malick (1ère partie) ; Des nouvelles du front cinématographique (52) : The Tree of Life, le vert paradis de Terrence Malick (seconde partie)). Dans les deux cas particulièrement cités, le jeune médecin est véritablement ébranlé, l’ébranlement (qui est une inclination : « klinos » en grec signifie « lit ») ne s’exprimant au départ que par quelques signes cliniques, un regard à peine décillé agencé avec une légère fente des lèvres. Une suspension du regard et de la bouche, soit quelques trous laissant passer le « vide structural du sujet » comme le dirait de manière lacanienne Slavoj Zizek. A la fin du film, les yeux de Carl Jung sont embués, et la voix de son interprète ne peut percer cette brume émotionnelle trahissant subtilement une dépression réelle et passagère au moment où il évoque, devant le lac de Constance et à Sabina Spielrein qu’il sait voir pour la dernière fois, une vision quasi-prémonitoire des catastrophes se profilant en cette année de 1914.

 

4/ On retrouve donc ici Michael Fassbender au faîte de sa grandeur actorale. S'il souffrait de ne devoir incarner qu’un symptôme du malaise néolibérale contemporain dans Shame éradiquant toute singularisation érotique au profit de la particularisation pornographique, il arrive ici à proposer de manière autrement plus convaincante l’incarnation simultanée de la force et de la faiblesse, de la puissance (visionnaire) et de l’impuissance (psychologique), des contradictions pratiquement vécues et de leur résolution symboliquement théorisée. La chose est d’autant plus intéressante à remarquer que sa prestation du personnage de super-vilain Magneto dans X-Men : le commencement de Matthew Vaughn incluait également l’idée de l’adoption d’une position éthique et politique (le séparatisme différentialiste) résultant d'un vécu contradictoire à partir d’acquis d’éléments antagoniques (l’enseignement aristocratique de l’officier nazi, Sebastian Shaw, qui a tué sa mère à Auschwitz et celui, humaniste et universaliste, proposé par le futur professeur Charles Xavier). D’une certaine manière, nous avons affaire ici à ce que Gilles Deleuze a nommé une « synthèse disjonctive ». Soit une « synthèse affirmative de disjonction » ou une « disjonction synthétique affirmative » répartissant les séries divergentes, et que le philosophe distingue de la « synthèse connective » portant sur la construction d’une seule série, comme de la « synthèse conjonctive » en tant que procédé de construction de plusieurs séries convergentes (in Logique du sens, éd. Minuit, coll. « Critique », 1969, pp. 203-204 et 389). La « synthèse disjonctive » est donc ce que peut l’acteur Michael Fassbender, rejoignant ainsi tous les grands acteurs ayant travaillé pour David Cronenberg (comme James Woods, Christopher Walken, Jeff Goldblum, Jeremy Irons, Peter Weller, Ralph Fiennes et donc Viggo Mortensen), quand il est tenu d’incarner la puissance inséparable de l’impuissance (tels les jumeaux de Dead Ringers). Mieux, quand il est requis pour donner corps à l’idée de synthèses d’expérience qui sont tout autant des accords que des désaccords, des conjonctions que des disjonctions. On a évoqué sa grande maîtrise de la stratégie discursive lors de la grande séquence de confrontation avec le prêtre rusé de Hunger (2008) de Steve McQueen. Il faut voir désormais dans A Dangerous Method comment son interprétation de Carl Jung met l’accent sur les contradictions quasi-schizophréniques d’un chercheur qui s’appuie sur la doctrine freudienne tout en désirant s’en émanciper. Et il faut davantage encore apprécier comment David Cronenberg exprime, notamment avec l’aide de la gestique de ses acteurs et des ellipses fulgurantes de son scénario, une dynamique générale de « synthèse disjonctive » innervant pareillement, et de manière égalitaire, les situations respectives des trois autres personnages, Otto Gross, Sabina Spielrein et même Sigmund Freud qui ne saurait donc y échapper malgré son autorité sur les autres. Peut-être même que le concept de « synthèse disjonctive » pourrait s’articuler avec les grandes mutations formelles de l’œuvre cronenbergienne, comme avec le motif viral dont celle-ci semble vouloir décliner l’application dans plusieurs directions au sein du champ des représentations cinématographiques. Des mutations virales donc, comme autant de synthèses disjonctives à partir desquelles est saisissable la trajectoire modifiée des idées (ou idéation) que réfractent ou diffractent passionnément quelques corps, unis momentanément mais si intensément dans le jeu relationnel des transferts et des contre-transferts. Il faut voir ici l’extraordinaire mâchoire inférieure de l’actrice interprétant Sabina Spielrein (peut-être le plus beau personnage féminin de tout le cinéma de David Cronenberg avec celui de Claire Niveau jouée par Geneviève Bujold dans Dead Ringers, celui de Joan Lee/Joan Frost interprétée par Judy Davis dans Naked Lunch, et celui d'Allegra Geller incarnée par Jennifer Jason Leigh dans eXistenZ), qui sort de sa bouche comme la gueule du monstre dans Alien, comme un tiroir d’une commode ou bien comme son propre appartement dont la fenêtre principale fait lumineusement saillie à l’angle de la rue. Comment alors ne pas reconnaître dans la situation d’un tel être, d’abord coincé à l’intérieur d’un corps disloqué, puis qui apprend à surmonter sa rage déterminant ses vrilles monstrueuses, le trajet inverse à celui montré dans The Fly où le personnage du scientifique Seth Brundle quittait le rivage de l’apparence humaine pour se perdre au large d’une métamorphose inhumaine et sans retour ? Comment ne pas reconnaître dans le conflit des interprétations cliniques opposant Sigmund Freud à Carl Jung au sujet des fondements psychiques de la rage hystérique de Sabina Spielrein un autre conflit herméneutique opposant, en regard de The Dead Zone, les partisans de la perspective fantastique accréditant la thèse du don de divination du héros, et ceux qui pencheraient plutôt pour la perspective réaliste faisant de ce dernier un cas aigu de paranoïa ? Comment ne pas reconnaître non plus, lors d’un magnifique échange entre Carl Jung et Sigmund Freud concernant l’hypothèse (développée par ce dernier dans Totem et tabou en 1913 puis prolongée dans Moïse et le monothéisme entre 1935 et 1939) du meurtre du père par les fils de la horde au fondement de toute culture humaine, le duel titanesque et fratricide à la fin de A History Of Violence, et surtout avant lui de Scanners (1980) ? Ce dernier film montrait deux mutants prométhéens, Cameron Vale et Darryl Revok, dont les pouvoirs télépathiques et télé-kinésiques résultaient des effets inattendus d’un médicament (l’Ephemerol) prescrit par le docteur Paul Ruth aux femmes enceintes de Toronto souffrant de contractions durant leur grossesse. C’est comme si ces personnages s’étaient aujourd’hui réincarnés ou métamorphosés sous les auspices figuratives de Carl Jung et Sigmund Freud, deux puissances de pensée qui préfèrent se jeter à la figure, non plus des attaques télépathiques explosives, mais des argumentations théoriques et conceptuelles possédant malgré tout une force semblable d’ébranlement corporel et psychique. Une contre-argumentation peut donc aussi véhiculer une attaque psychique (parce qu'elle est chargée en affections) renversant le corps soutenant l’argumentation initiale. Et lorsque, en fin d’une réunion que l’on imagine habituelle (et que le cinéaste se dispense à raison de filmer) du cercle psychanalytique viennois, Sigmund Freud lance son argument du meurtre du père par les fils de la horde en s’appuyant sur l’effacement par le pharaon Akhenaton du nom du père sur le tombeau dynastique, Carl Jung répond par l’analyse égyptologique de la tradition dans l'effacement du nom du père, renforcée par l'analyse étymologique de l’autre nom du pharaon, Amenhotep. Insistant également sur le passage du culte dynastique du Dieu Amon à celui d’Aton (la personnification du disque solaire) considéré comme une rupture religieuse au détriment du polythéisme et au bénéfice de l’hénothéisme (amorce du monothéisme), le jeune chercheur veut ainsi retourner l’argument du meurtre du père qu’il entend comme une critique par Sigmund Freud de ses propres positions. Ce faisant, il manifeste un désir subjectif d’individuation et de singularisation qui fut aussi celui d’Amenhotep IV en regard de son père, Amenhotep III. Un seul plan, court, large et fixe, surmonté d'une charge sonore compacte, est alors nécessaire à David Cronenberg pour montrer dans toute sa fulgurance la lourde chute du corps de Sigmund Freud, victime de la puissance tout autant argumentative qu’affective de celui qu’il considérait jusque-là comme son fils spirituel. Du coup, c'est la logique de la « prophétie auto-réalisatrice » selon le sociologue fonctionnaliste Robert K. Merton (cf. notre analyse de You Will Meet A Tall Dark Stranger de Woody Allen : Des nouvelles du front cinématographique (35) : panorama non exhaustif des films de la rentrée 2010) qu'accomplit à son corps défendant Carl Jung envers une figure tutélaire qui lui apparaît malgré tout inconsciemment comme un père spirituel. Quelque temps auparavant, les critiques freudiennes envers le mysticisme potentiel de la vision jungienne et au nom de la scientificité comme garantie ultime de légitimation avaient entraîné chez Carl Jung des bouffées de chaleur accompagnée d'une boule au ventre dont il a cru pouvoir échapper en identifiant le bruit inopiné du bois craquant avec le chauffage de la pièce à des signes le renforçant dans ses convictions (ce qu'il nommera plus tard synchronicité). Cette fois-ci, c'était Sigmund Freud qui réussissait sans le concevoir en toute conscience à déstabiliser un fils spirituel qui ne peut le devenir qu'à la seule condition d'être neutralisé comme adversaire (d'où les moqueries de Carl Jung envers sa cour servile dominée par Sandor Ferenczi). Le raccord entre les crépitements boisés de cette séquence et les coups de fouet donnés par Carl Jung à Sabina Spielrein dans un cadre où ne se distinguent plus la perversion sexuelle et la guérison thérapeutique finissent au bout du compte par rendre manifeste la toile arachnéenne selon laquelle l’effort théorique se comprend comme inséparable du caractère passionnel de relations vécues comme autant de transferts se renversant et se doublant en contre-transferts. Tantôt ce sont des relations qui sont elles-mêmes modelées par des affections auxquelles n’échappent ni l’esprit des uns ni le corps des autres. Tantôt ce sont des conceptualisations résultant du jeu relationnel et passionnel d'affections s'accumulant dans les corps en images inconscientes ou bien bénéficiant à des idées dont la légitimité s'enracine aussi dans les corps. La chair cronenbergienne désignerait alors, particulièrement dans A Dangerous Method, l’espace symbolique au sein duquel la frappe verbale d’une idée se répercute de corps en corps, tandis que ces mêmes corps sont mus par d’obscures images (archaïques ou traumatiques) que les idées répercutées sont censées pouvoir éclairer, sinon guérir.

 

5/ C'est vers 1904 que Carl Jung utilise dans certaines de ses séances de la clinique universitaire et psychiatrique de Zurich (le « Burghölzli ») les associations verbales (après avoir abandonné l'hypnose Sigmund Freud utilisait la technique des associations libres depuis 1897) qui, combinées à l'utilisation d'un chronomètre et surtout d'un galvanomètre (un modèle d'ampèremètre mesurant l'intensité d'un courant électrique), sont censées capter les expressions de l'inconscient de l'analysant. Une des meilleurs séquences de A Dangerous Method consiste à montrer Carl Jung aidée de Sabina Spielrein, alors au début de son apprentissage, travaillant à partir des réponses données par une patiente qui n'est autre que l'épouse du docteur. La séquence est d'une importance capitale pour le film, puisqu’elle révèle tout à la fois les hésitations inconscientes d'une femme socialement contrainte à accepter les normes (de genre) bourgeoises et maritales de son temps, le refus inconscient de son mari d'en entendre le fondement, la compréhension par la jeune assistante de tremblements qui lui profiteront quand elle voudra initier une relation extra-conjugale avec son professeur, ainsi que l'imbrication des sphères privée et publique, thérapeutique et professionnelle, au-delà des prescriptions scientifiques et même éthiques d'une science alors en plein devenir. Mais la même séquence est d'autant plus importante qu'elle expose, avec cette sensualité toute cronenbergienne, la machine galvanométrique, sorte d'appendice technologique avec lequel se machiner en tant qu'il est une production archéologique contenant en lui tant d'autres machines possibles et déjà rencontrées auparavant, déjà les parasites de Shivers, mais aussi le combiné magnétoscope-télévision de Videodrome, les cabines ovoïdes de téléportation de The Fly, les instruments gynécologiques de Dead Ringers, les machines à écrire de Naked Lunch, les voitures de Crash, les « game-pods » de eXistenZ ou encore la machine à tatouages de Eastern Promises. Une autre machine utilisée dans d'autres séances particulières va trouver à prolonger l'articulation machinique des associations verbales, du chronomètre et du galvanomètre : les coups de canne ou de fouet donnés par Carl Jung à Sabina Spielrein dans le cadre de leur relation sadomasochiste. Du point de vue du personnage masculin, ces séquences identifient un désir refoulé d'écarts sexuels impossibles à assumer avec sa compagne légitime, comme un désir transgressif envers une discipline qu'il cherche à arracher du « sexualisme » freudien (ce qui deviendra finalement la psychologie analytique). Du point de vue du personnage féminin, ces mêmes séquences s'inscrivent dans une dynamique de la guérison grâce à laquelle l'image traumatique et refoulée (la punition paternelle vécue à l'origine comme une jouissance sexuelle) se déplace consciemment en activités de substitution entrelaçant reconquête de soi sur le double plan des plaisirs et des savoirs. A terme de leur relation, Sabina Spielrein rayonne d'une subjectivité arrachée à la violence familiale, tandis que Carl Jung s'effondre dans une culpabilité notamment nourrie par l'image d'une épouse à laquelle il doit matériellement beaucoup. Loin d'enfoncer son récit dans un tour de vis scénaristique usé à la corde, avec son cortège de rumeurs, lettres anonymes, scènes de ménage et autre honte publique, David Cronenberg préfère suivre la ligne de vie et du devenir des idées théoriques telles qu'elles se suintent des affections relationnelles unissant ses personnages. Et le plus beau est qu'il donne raison à tous dans une logique de la « synthèse disjonctive » déjà rencontrée. Ainsi, Otto Gross analyse autant Carl Jung qu'il est analysé par ce dernier, et la libération sexuelle promue par le premier (avant Wilhelm Reich) autorise le second à s'aventurer en compagnie de Sabina Spielrein au plus loin de lui-même. La libération de l'un détermine la fuite vitale de l'autre, en même temps qu'elles donnent du crédit à la vision plus apaisée de la question du transfert que Carl Jung oppose à la vision plus symptomatique qu'en a Sigmund Freud. Quant à l'apprentissage de Sabina Spielrein, il lui permet au bout de sa démarche de professionnalisation valant guérison d'améliorer techniquement la conception freudienne de la pulsion sexuelle en l'identifiant à la pulsion de mort (c'est son texte La Destructivité comme cause du devenir daté de 1912). L'acceptation par le vieux maître de cette amélioration est d'autant plus émouvante qu'elle est le produit tortueux de sa liaison avec Carl Jung. S'agissant du refus censément scientifique par Sigmund Freud face aux croyances religieuses et des idéologies qui configurent les rapports sociaux à l'extérieur de la scène psychanalytique, il est vigoureusement démenti, et de multiples façons, autant par l'anarchisme anti-familialiste d'Otto Gross, par l'adhésion par Sabina Spielrein à l'U.R.S.S. où elle part en compagnie de son mari en 1923, que par le mysticisme politiquement ambigu de Carl Jung. A l'inverse, le rappel de Sigmund Freud à Sabina Spielrein de leur commune judéité, mise en regard de la vision aryenne qui règne dans ce monde et qu'incarne Carl Jung, est prophétique, et possède même la capacité de s'articuler avec le motif de la catastrophe analysable par le biais de la pulsion destructive et sadique de l'une et pressentie à la veille de la première guerre mondiale par l'autre. Quand on sait enfin que le mysticisme de Carl Jung l'a conduit dans les parages du paganisme « völkisch » promu par les nazis (cf. George L. Mosse, un historien méconnu du nazisme), et que ces derniers ont obligé Sigmund Freud à s'exiler pour Londres en 1938 et assassiné Sabina Spielrein en 1942, les tremblements vocaux et les bégaiements verbaux, les bouffées de chaleur et les coups de fouet, l'évanouissement de Sigmund Freud et le bois qui crépite pour Carl Jung représentent rétrospectivement comme les signes obscurs propre au langage d'un désastre collectif auquel nul n'échappera (pas même David Cronenberg avec un film qui en rejoint d'autres consacrés cette année et plus littéralement au motif de la catastrophe : cf. Des nouvelles du front cinématographique (60) : figures de l'impouvoir dans Melancholia et Habemus Papam).

 

6/ La mort de masse infligée lors des deux guerres mondiales est-elle, dans une perspective psychanalytique, le produit d'une répression des instincts sexuels ou bien de leur exacerbation sans sublimation ? Entre l'apolitisme de Sigmund Freud et le mysticisme de Carl Gustav Jung, entre l'anarchisme d'Otto Gross et le communisme de Sabina Spielrein, erre moins la réponse qu'est reconduite une énigme (celle de notre subjectivité divisée : Des nouvelles du front cinématographique (40) : Lost Highway de David Lynch ; Des nouvelles du front cinématographique (43) : Black Swan de Darren Aronofsky), avec bien plus d'intensité esthétique que dans les films de John Huston (Freud, passions secrètes en 1962), de Benoît Jacquot (Princesse Marie, un téléfilm en deux parties diffusé sur Arte en 2003) ou encore de Roberto Faenza (The Soul Keeper en 2004). On comprendra mieux dans cette perspective le sens du titre du film de David Cronenberg (« Une méthode dangereuse » en français) concernant l'énigme de la division du sujet et la pratique qui, la prenant comme objet, aura historiquement suscité autant de critiques légitimes que de violentes levées de bouclier inquisitoriales. A l'instar de bien d'autres vécues à ses débuts et régulièrement filmées depuis par le cinéaste canadien (on pense aux terroristes illuminés ou sectaires de The Dead Zone, Videodrome et eXistenZ, en passant par les gardes rouges de M. Butterfly). Sans oublier le cas exemplaire de l'écrivain Salman Rushdie que David Cronenberg a pu interviewer. Aujourd'hui, l'attaque ad hominem proposée par Michel Onfray dans son ouvrage Le Crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne (éd. Grasset, 2010) ne permet par exemple en rien de comprendre le geste proprement égalitaire, et si bien rendu dans A Dangerous Method, grâce auquel Sabina Spielrein est passée, en compagnie de Carl Jung puis de Sigmund Freud, du statut de patiente atteinte d'hystérie à celui de docteure et théoricienne, du statut de femme sujet d'une maladie résultant de la violence paternelle à celui de sujet émancipé (qui, enceinte, ne souffre pas contrairement à l'épouse de Carl Jung d'attendre une fille). Il faut en ce sens mettre en rapport le début et la fin du film de David Cronenberg pour mieux saisir l'accomplissement de la métamorphose opérée par le personnage de Sabina Spielrein, passée de la situation d'hystérique hurlante à l'intérieur d'une voiture et désirant s'avilir dans la boue d'une mare fangeuse, à celle de femme pacifiée regardant de l'intérieur d'une voiture semblable la pureté cristalline du Lac de Constance. La domestication de la pulsion par le savoir et la pratique aura fait de cette femme l'égale des autres hommes, à l'instar de Keira Knightley aussi remarquable actrice que les trois autres acteurs, Michael Fassbender, Viggo Mortensen et Vincent Cassel. Et cette domestication est une sublimation qui doit enfin se penser en relation structurale avec un film montrant l'une des mues ou transmutations de la théorie psychanalytique (comme Naked Lunch montrait la transformation d'un exterminateur de cafards hétérosexuel en écrivain homosexuel, la chrysalide ayant produit les squames comme autant de feuilles pour un livre à venir : Le Festin nu de William Burroughs). Comme cette domestication-sublimation doit être envisagée en regard de toute l'œuvre de David Cronenberg, capable dans le même mouvement contradictoire et schizoïde d'aller toujours plus loin dans le peaufinement (la psychanalyse, là depuis le début) et dans le masque (le cinéma majoritaire ou dominant subverti de l'intérieur de manière virale). Entre la chute des squames et la persistance des masques, c'est toute la puissance esthétique d'un geste cinématographique définitivement voué à s'épanouir dans la chair de la « synthèse disjonctive ».

 

Chez Michael Fassbender, la séduction n’appelle donc pas la dépense spectaculaire, égoïste et unilatérale, mais la grâce du geste et la concentration auratique. Déclinée sur le mode solitaire de l’impuissance à renverser le régime de la domination pornographique en éthique érotique (Shame), ou bien sur le mode partagé et collectif de la puissance à conjuguer dans le même élan vie consciente et inconsciente sublimée dans la théorie et la pratique psychanalytiques (A Dangerous Method), la séduction « fassbenderienne » ne pouvait dès lors que gagner en intensité dans le film de David Cronenberg, quand elle était acculée à momentanément s’appauvrir, malgré Hunger, dans celui de Steve McQueen. « Nous sommes dans une culture de l’éjaculation précoce. De plus en plus toute séduction, toute manière de séduction qui est, elle, un processus hautement ritualisé, s’efface derrière l’impératif sexuel naturalisé, derrière la réalisation immédiate et impérative du désir » explique Jean Baudrillard (in De la séduction, éd. Galilée, 1979, p. 58) qui propose ainsi de différencier, à l’ère du néolibéralisme alors commençant, la sexualité sous sa forme séductive (ce que nous entendons par érotique) et sous sa forme productive (ce qui se nomme ici tout simplement sexe). Sous sa forme productive, la gestique de Michael Fassbender se dissout dans les eaux lourdes du bain sexuel proposé par Shame de Steve McQueen, bain tantôt acide de la performance, tantôt culpabilisateur de la morale. Alors que A Dangerous Method de David Cronenberg demande à la même gestique de compliquer la question de la forme séductive en la mettant en relation avec d’autres propositions actorales (les prestations de Viggo Mortensen, Vincent Cassel et surtout Keira Knightley) afin de soutenir ensemble l’incarnation cinématographique du développement tumultueux et métamorphique des idées psychanalytiques. Au corps sexuel et productif soumis aux impératifs néolibéraux de circulation liquide (équivalant à une liquidation subjective) de la domination du capital, répond, dans une logique de la réversibilité raccord avec la conception de la séduction défendue par Jean Baudrillard, le corps du théoricien-praticien dont les affections privées comme professionnelles se transmuent aussi en idées. Moins convaincant dans le registre du cas clinique identifié à l’exemple moral (le rôle de Brandon) que dans celui de l’indiscernabilité entre éthique professionnel, théorie psychanalytique et vie affective (son rôle de Carl Gustav Jung), Michael Fassbender, en son regard à la fois fixe et évanescent, en son visage inextricablement jeune et déjà marqué, et en son corps fin et tendu, aura incarné en cette année 2011 l’indistinction gestique de la puissance et de l’impuissance, de la force et de la faiblesse, du rayonnement et de l’éclipse – consécutivement super-vilain déchiré dans X-Men : le commencement, cadre sexuellement aliéné dans Shame et jeune intellectuel clivé dans A Dangerous Method. Ce mixte actoral de puissance et d’impuissance peut enfin représenter le contrepoint idéal aux grandes allégories ayant montré cet été comment le pouvoir des uns qui détermine l’impuissance de tous les autres pouvait malgré tout déboucher sur une réappropriation de la puissance individuelle et collective concomitante de l’impouvoir des institutions de la domination (cf. Des nouvelles du front cinématographique (60) : figures de l'impouvoir dans Melancholia et Habemus Papam). La transparence néolibérale du sexe déshabillé dans Shame ou la limpide opacité de la sexualité dévêtue dans A Dangerous Method ne font alors jamais oublier la nudité actorale fondamentale de Michael Fassbender, déjà puissamment attestée dans Hunger, qu’il soit à poil ou habillé. Non pas la nudité virile de la star masculine se contentant de sa seule nature physique, mais la nudité féminine de l'acteur dont la séduction repose sur les artifices, et eux seuls, de sa subtile gestique. « Le monde est nu, le roi est nu, les choses sont claires. Toute la production, et la vérité même, visent à ce dénuement, et c’est de là aussi que procède tout récemment la ‘‘vérité’’ insoutenable du sexe. Heureusement, il n’en est rien profondément, et c’est encore la séduction qui, de la vérité elle-même, détient la clé la plus sibylline, à savoir que ‘‘peut-être ne désire-t-on la dévêtir que parce qu’il est si difficile de l’imaginer nue’’ » (Jean Baudrillard, ibid., p. 245).

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26 décembre 2011 1 26 /12 /décembre /2011 15:50

  En corps (I) : Michael Fassbender dans Shame de Steve McQueen 

 

« Le corps humain est l’objet de l’idée constituant l’esprit humain »

(Robert Misrahi, Spinoza et le spinozisme,

éd. Armand Colin, coll. « Synthèse », 2000, p. 89)

 

« La nudité dissimule, le voile révèle »

(Marie-José Mondzain, Le Commerce des regards, éd. Seuil, coll. "L'ordre philosophique", 2003, p. 39)

 

michael_fassbender_shame.jpgSait-on tout ce que peut le corps de Michael Fassbender ? La réception lors du dernier Festival de Venise de la Coupe Volpi récompensant la meilleure performance actorale (pour Shame de Steve McQueen) a autorisé aujourd’hui la reconnaissance officielle d’un des meilleurs acteurs de sa génération (il est né en 1977). Un acteur qui aurait déjà réussi, chose rarissime, à se constituer en tant qu’acteur une œuvre en devenir – une « gestique » dirait Jacques Rancière dans La Fable cinématographique (éd. Seuil, 2001) et même un art poétique d’après Luc Moullet dans son ouvrage novateur intitulé Politique des acteurs (éd. Cahiers du cinéma, 1993). Ce n’est pas parce que Michael Fassbender est un bel homme selon les normes canoniques en vigueur qu’il retient notre attention. C’est plutôt parce qu’il arrive à projeter sa belle gueule de rouquin dans des films très différents les uns des autres tout en arrivant à y imprimer la singularité de sa marque actorale. La puissance de ses prestations aboutit d’ailleurs à introduire une véritable homogénéité esthétique à partir du corpus extrêmement diversifié des films dans lesquels il tourne depuis seulement quatre ans. Même les séries télévisées, il est vrai loin d’être toujours inspirées, et dans lesquelles il a démarré il y a dix, apparaissent rétrospectivement aujourd’hui comme des prémisses amorçant les débuts prometteurs d’une gestique propre ou d’une poétique actorale qui n’appartiendrait qu’à lui. On retiendra particulièrement ici sa prestation en démon nommé Azazel dans Hex : la malédiction (2004), incube capable d’indexer l’obligation du charme luciférien sur cette concentration et cette tension corporelles déjà si caractéristiques, et qui se traduisent par un sens impressionnant de la fixité, par un regard autant embué que perçant, et enfin par une voix à la fois neutre et coupante. Soit tous ces éléments formels participant à la marque ou la signature poétique d’un corps, et que l’on retrouvera avec tant de plaisirs dans les longs métrages qui suivent. Le corps paradoxalement raide et souple d’un acteur fuyant toute forme d’épate théâtrale ou de dépense spectaculaire au profit d’une retenue d’autant plus marquante peut ainsi arriver à faire la différence dans la débauche de muscles des péplums contemporains offerte successivement par 300 de Zack Snyder (2007) puis par Centurion de Neil Marshall (2010). Le même acteur, également capable de figurer une puissance surnaturelle sans pour autant être dissout dans une hybris seulement permise par la pyrotechnie habituelle, ne pouvait dès lors pas ne pas éviter la case de la figuration du super-héros devenue quasiment obligatoire à Hollywood. Précisément, le rôle du super-vilain Magneto dans X-Men : le commencement (2011) de Matthew Vaughn, parfaitement convaincant dans un personnage qui retraduit la violence raciale dont il a été victime dans les camps d’extermination nazis en différentialisme séparatiste opposant humains et mutants, participe largement à faire de ce blockbuster un film réussi, parce qu’il n’a pas ignoré ou sous-estimé la séduction et l’ambiguïté mêlées offertes par la composition d’un acteur aussi renversant ici que dans des films aux ambitions artistiques plus évidentes. Bien qu’il ait commencé sa carrière dans des séries télévisées plutôt commerciales, sa carrière au cinéma connaît au contraire d’emblée le passage par un cinéma d’auteur autant balisé par le mélodrame kitsch de François Ozon (Angel en 2007) que par cet exercice de style plus naturaliste qu’est Fish Tank (2009) d’Andrea Arnold. Que nous ayons affaire à la question de la virilité blessée dans le premier film ou à celle, dans le second film, d’une masculinité trouble et diffuse sans être ostentatoire, Michael Fassbender propose toujours un mode actoral consistant moins en l’annexion du film à force de performance dépensière et gloutonne, qu’en la diffusion d’une aura subtile finissant par imprégner et iriser secrètement tout le film. L’impuissance des personnages recèle toujours de la puissance à être pour l’acteur, de manière symétrique à la (sur)puissance d’autres personnages (de péplums ou adaptés de comics) relativisée par une impuissance complémentaire (la fragilité du personnage relayé dans le regard perdu de l’acteur).

 

michael_fassbender.jpgIl fallait encore un film pour cristalliser l’œuvre gestique d’un acteur qui a compris comment devenir indispensable sans devoir en marteler constamment la frappe ou la marque. Ce film sera le génial Hunger (2008), le premier long métrage de Steve McQueen consacré à la grève de l’hygiène puis de la faim entamée jusqu’à la mort en 1981 par Bobby Sands et ses camarades de l’IRA à l’époque incarcérés dans la terrible prison de Maze. Peut-être que la force de conviction dont a été capable en cette occasion Michael Fassbender prend sa source dans sa propre histoire familiale (si son père est d’origine allemande, sa mère d’origine irlandaise est la descendante de Michael Collins, un des leaders de la guerre d'indépendance irlandaise). Il se trouve surtout que l’admirable confiance mutuellement accordée par un acteur encore entre deux eaux et par un vidéaste connu mais novice sur le plan cinématographique a motivé un investissement, notamment corporel, aussi radical que l’exigeait son objet. Les coups réellement reçus et l’épreuve d’un tout aussi réel amaigrissement attestent ici d’une puissance documentaire d’incarnation évitant pourtant le piège pornographique de l’obscénité possible lors de toute représentation de la violence (cf. Des nouvelles du front cinématographique (18) : montrer la violence). Parce que cette puissance d’incarnation a été mobilisée pour soutenir la fiction de l’éternelle vérité de l’idée politique de l’égalité générique dressée à l’endroit même de sa négation symbolique et matérielle. Mais le corps compact dans sa volonté résistante et politique, loin de se confiner dans la raideur dogmatique ou le mutisme de ceux qui n’ont pas besoin de parler pour vaincre et convaincre, était aussi le corps capable d’une voix ferme à partir de laquelle avancer l’argumentation infaillible du discours de vérité de l’idée. On découvrait alors la puissance langagière et même multilingue de Michael Fassbender qui, de Inglourious Basterds (2009) de Quentin Tarantino à X-Men : le commencement, manie le verbe avec un imparable sens de la séduction tactique. Le personnage de l’officier anglais Archie Hicox, ce critique de cinéma qui peut parler l’allemand avec cet accent que seuls ont les habitants de la petite région d’un film d’Arnold Fanck et Georg W. Pabst (L’Enfer blanc du Piz Palü en 1929 avec Leni Riefenstahl), ou bien celui d’Erik Lensherr qui, avant de devenir Magneto, échange l’allemand contre l’anglais, le français et l’espagnol dans sa quête vengeresse des criminels nazis représentent deux rôles importants dans l’ascension d’un acteur soucieux, malgré la diversité des titres, de suivre une ligne actorale servant autant aux films qu’à son œuvre gestique et poétique propre. Le triomphe fut récent et italien, avec la dernière Mostra de Venise où furent présentés ensemble et en compétition officielle Shame, le second film de Steve McQueen, et A Dangerous Method, le nouveau long métrage de David Cronenberg. Prolonger la remarquable entente entre le fracassant auteur de Hunger, comme faire son entrée dans l’univers de l’un des meilleurs cinéastes contemporains parachèvent la hauteur artistique où s’est désormais placé Michael Fassbender. Il est d’autant plus remarquable de souligner le lien logique unissant les deux rôles (un homme aliéné victime d’une addiction sexuelle dans le premier film et, dans le second film, Carl Gustav Jung, l’un des psychanalystes ayant travaillé avec Sigmund Freud et qui pense à rebours de son maître qu’il ne faut pas réprimer ses pulsions sexuelles). Preuve ultime de la cohérence esthétique d’un geste actoral portée par un homme désormais devenu incontournable pour le cinéma qui compte et nous importe. Et il suffit de jeter un œil à son agenda de 2012 pour reconnaître cette importance. Le film d’espionnage Haywire de Steven Soderbergh, l’énième adaptation de Jane Eyre de Charlotte Brontë par Cary Fukunaga dans lequel il jouera évidemment le personnage d’Edward Rochester, Noah de Darren Aronofsky d’après le mythe biblique qui lui avait déjà inspiré une bande dessinée, Prometheus de Ridley Scott apparemment conçu comme un prequel de Alien, mais aussi Town Creek du pénible Joel Schumacher (un film d’horreur sur les tortures pratiquées par les nazis dont on n’attend rien si ce n’est que Michael Fassbender le sauve par sa seule présence), Londongrad ou Birdsong de Rupert Wyatt (le réalisateur de l’insipide reboot de La Planète des singes qui aurait réalisé un mélodrame avec la première guerre mondiale en arrière-plan), mais encore le prochain film de Jim Jarmusch (une histoire de vampires), du cinéaste québécois Denis Villeneuve, et le troisième long métrage de Steve McQueen déjà annoncé pour 2013 (Twelve-Years a Slave consacré à la question de l’esclavage aux Etats-Unis) : Michael Fassbender sera donc à l’avenir sur tous les fronts cinématographiques (du cinéma mainstream au cinéma d’auteur plus ou moins radical). Et s’il n’est pas certain que cette démultiplication ne soit pas aussi possiblement synonyme de dispersion (comme on l’avait déjà remarqué en France pour Isabelle Huppert ou Mathieu Amalric il y a quelques années), il n’en demeure pas moins que cette fin d’année 2011 est bel et bien placée sous le signe auratique d’un acteur incarnant un de ses grands moments cinématographiques. Le rôle du personnage plié sur son aliénation sexuelle (Shame) trouvera-t-il sa rédemption dans celui du théoricien de la libération des tendances instinctuelles (A Dangerous Method) ? Le corps travaillé dans le film de Steve McQueen par la compulsion de répétition pornographique sera-t-il dialectiquement relevé, dans celui de David Cronenberg, par le travail d’une parole tentant pour son auteur de théoriser ce qui lui advient dans la réalité de la pratique ? La double équation du corps coincé entre sa puissance et son impuissance et de la parole clivée entre le prolongement de la puissance et l’accomplissement de l’impuissance aura donc trouvé avec Michael Fassbender son X idéal. 

1/ Shame (2011) de Steve McQueen : La cage de verre du sexe

1008237_fr_shame_1321975780058.jpg1/ Le premier plan du nouveau long métrage de Steve McQueen, en faisant directement écho avec la dernière séquence du film précédent Hunger (2008), manifeste la persévérance esthétique de l’idée du corps (et particulièrement celui de Michael Fassbender) comme puissance sensible à partir de laquelle s’expose la possibilité d'une image au sens fort du terme. La contre-plongée identifiant ainsi le lit sur lequel repose le corps du héros avec l'écran de cinéma d'une part, et d'autre part la quasi-immobilité affectant ce dernier au point où son regard gris-bleu ciel désigne un ailleurs excédant très largement l'extérieur du cadre instruisent dans les deux films une image du corps comme surface pliée (avec les draps bleu virginal qui le recouvrent partiellement), parce que travaillée par d'obscures forces issues d’un dehors impossible à visualiser. C'est ce travail qui participe à l'avènement de l'image, et c'est le corps de Michael Fassbender qui en est le vecteur privilégié. Dans Hunger, le personnage de Bobby Sands auquel il prêtait son corps ainsi que celui de ses camarades (tous des militants de l'IRA détenus comme lui dans la prison irlandaise de Maze en 1981) supportaient ensemble l'incarnation d'une idée politique dont la radicale capacité d'inclusion (avec l'usage des excréments lors de la grève de l'hygiène, puis la grève de la faim) participaient dès lors à subvertir le caractère oppressif de l'organisation disciplinaire à laquelle ils étaient subordonnés. L’image était alors celle du corps persévérant dans l’incarnation de la persistance d’une idée à l’endroit même de sa négation matérielle. L'idée politique, qui était ici celle de l'égalité (entre catholiques et protestants) rédimant le racisme colonial divisant le peuple irlandais en deux entités antagonistes (l’Irlande incluse dans le Royaume-Uni et celle qui refusait cette inclusion), déterminait donc la production d'un corps collectif retournant le dedans de la prison sur le dehors des courants inventifs et alternatifs de la résistance populaire extérieure. La honte et la douleur, l’odeur et la saleté, l’urine et la merde, de subies, pouvaient ainsi devenir des armes se retournant contre des adversaires ainsi obligés de supporter l’insupportable qu'ils infligeaient jusque-là à leurs victimes. La honte relative à la cellule recouverte de matières fécales et la douleur entraînée par les coups donnés par les matons devenaient alors les signes politiques que l'état d'exception carcéral était devenu la règle frappant également par ses représentants. Puisque les camarades de Bobby Sands étaient considérés par le pouvoir néolibéral thatchérien comme de vulgaires prisonniers de droits communs, ceux-ci tiraient jusqu'au bout les conséquences politiques d'une dégradation de leurs corps jetés dans une vie nue qui rejaillissait donc au nez et à la face de l'oppresseur. Le régime de la violence connaissait dès lors son radical retournement auto-immun, comme l'aurait dit Jacques Derrida. Avec la grève de la faim, le corps profané de Bobby Sands comme de ses camarades dont il représentait l'exemplarité devenait littéralement intouchable : l’homo sacer décrit par la philosophie de Giorgio Agamben devenait icône sacrée comme dans les peintures-limites de David Nebreda. Autrement dit, et pour parler cette fois-ci comme Alain Badiou, l'offense et l'humiliation reçues par les animaux humains n'empêchaient pas la levée de l’image mémorable d’Immortels triomphant de la barbarie d’Etat au nom de l’idée éternelle de notre commune égalité générique. Michael Fassbender offrait alors admirablement son corps à un geste de cinéma radical pour lequel l'image de la subjectivité militante retrouvait la force iconographique du grand récit christologique (la figure immortelle de l’émancipation universelle), sans pour autant ne jamais céder un poil quant à un horizon politique irréductiblement matérialiste. Les coups reçus par lui et les yeux pochés, les cheveux hirsutes et la barbe lui dévorant le visage, et puis la maigreur lui bouffant les côtes – tout cela n'empêchait ni son regard d'affirmer la puissance de l'idée en tant qu'elle est un dehors brisant la clôture de tout dedans, ni sa voix suave et sûre, presque rasante comme un laser, soutenant le discours argumenté de la vérité de l’idée politique en face de laquelle la rhétorique habile d'un prêtre roué finissait par céder et abdiquer. Hunger, récipiendaire du prix de la Caméra d'or au Festival de Cannes de 2008, demeure donc un des plus grands films politiques de ces dix dernières années, en raison de son caractère puissamment affirmatif (le corps brutalisé et diminué ne cesse pas d’être un corps qui résiste et lutte). Alors même que la volonté du film de représenter la violence d'une institution répressive engageait l’obligation éthique de l’expression documentaire d’une douleur réellement éprouvée par des acteurs incarnant pour cette fiction ce que leur corps avait respectivement enregistré comme mémoire populaire depuis l’époque du conflit il y a trente ans. La force de ce film, complément idéal sur le plan de la subjectivité militante au film United Red Army (2009) de Koji Wakamatsu consacré aux souffrances du gauchisme japonais après 1968 (cf. Des nouvelles du front cinématographique (5) : United Red Army (2008) de Koji WAKAMATSU), fut d’ailleurs si grande, la tension exigée pour sa réalisation a été à ce point extrême que Steve McQueen faillit ne jamais remettre sur le métier le projet d’un nouveau film. Trois ans plus tard, Shame sort aujourd’hui. D'où une attente immense pour un second long métrage qui devait tout à la fois confirmer en réitérant l'audace esthétique du premier long métrage, et déplacer ce geste vers une sphère a priori dissemblable de celle précédemment mise en scène. Logiquement, Michael Fassbender, comme on l’a dit récompensé au Festival de Venise par une Coupe Volpi, offre à nouveau son corps aux expérimentations formelles d'un artiste qui a fait largement ses preuves dans le domaine de l'art vidéo, et qui a trouvé avec cet acteur le corps idéal à partir duquel un sujet peut advenir au croisement du support d'une idée, d’un principe de récit, et d’une possibilité d'une image consignant la violence d’une époque. On verra particulièrement ici comment l’ambiguïté amphibologique du concept de sujet instruit le passage du champ politique à celui de l'éthique, de Hunger (le sujet comme résultante d’un processus de subjectivation tout à la fois politique mais aussi éthique – une « sculpture de soi » dirait Michel Onfray) à Shame (le sujet comme produit d’un rapport d’assujettissement au point où l’éthique se confond avec la morale). Au risque de substituer le motif de l'idée politique douloureusement soutenue par le corps, par celui de symptôme d’un corps supportant dans la souffrance, éthique ou morale, d'être seulement le cas représentatif d'un malaise sociologique.

michael-fassbender-shame.jpg2/ Au-delà de l'analyse du premier plan (dont a d'ailleurs été tirée l'image de l'affiche afin d’identifier le motif du corps christique dont les stigmates ne se comprennent plus en relation avec la question de la violence politique mais désormais avec celle de l’aliénation sexuelle), Shame se propose déjà comme la relecture dialectiquement inversée de son prédécesseur. Autrement dit, il s'agit pour Steve McQueen de se saisir à nouveau de la question du corps, mais en adoptant un point de vue radicalement opposé à celui privilégié dans Hunger. A la figure politique du sujet collectif sculptant en toute connaissance de cause les formes de sa résistance à l'oppression subie à l’époque d’un néolibéralisme qui s’adossait encore aux vieilles organisations disciplinaires, s'est désormais substituée la figure apolitique du sujet victime d'une aliénation sur laquelle il n'a aucune prise consciente et toujours plus incontrôlable à l’heure du règne mondial de l’accumulation financière du capital. La grande séquence historique de la grève de la faim mortelle de Bobby Sands et de ses compagnons a dorénavant fait place à l'anonymat d'une époque contemporaine marquée par un néolibéralisme à tout crin, acharnée à sa propre répétition antipolitique et antihistorique. La pauvreté des corps jetés dans l'abominable vie nue de la prison de Maze, mais à partir de laquelle pouvait dialectiquement s'ériger la puissance politique d'une vie digne car soutenue par l’idée transcendant l'avilissement des conditions symboliques et matérielles, s'est donc aujourd'hui dissoute dans la richesse clinquante du mode de vie yuppie pour lequel la question politique importe infiniment moins que celle des conduites à adopter s'agissant de la consommation des produits les plus distinctifs et les plus prestigieux. Entre l'Irlande du début des années 80 de Hunger et le New-York contemporain de Shame (et le héros avoue significativement qu’il est originaire d’Irlande du nord), c'est comme un glissement symptomatique attestant d'une disparition (évidemment relative) de l'idée politique au profit du règne du modèle subjectif valorisé par l’idéologie néolibérale qui a définitivement préféré aux vieilles disciplines la logique de la (sur)consommation comme seule norme de l’autocontrôle désirable. Du coup, le corps lui-même a changé, même s'il s'agit toujours de celui du décidément métamorphique Michael Fassbender. La question n'est désormais plus pour lui de participer à l'exemplaire incarnation collective du corps glorieux susceptible de neutraliser politiquement la douleur éprouvée, mais celle aujourd’hui de représenter cliniquement le cas d'une souffrance corrélative à une addiction (sexuelle) le confinant dans une terrible solitude évidemment urbaine et hypermoderne. Le passage de témoin (et en l'occurrence le témoin est ici Michael Fassbender – un témoin au sens premier et fort du terme, c'est à dire un martyr) entre Hunger et Shame consiste donc en la dérivation de la question du sujet entendu comme processus de subjectivation en résistance malgré la douleur face à une oppression subie, au sujet désormais considéré comme l’individu assujetti dans la souffrance à une aliénation qui manifeste une forme de domination et d'oppression moins politiquement massive, car plus sociétale et moléculaire. Passant de la subjectivation politique à l’assujettissement typique de nos sociétés « post-politiques » dirait Jacques Rancière, le corps de Michael Fassbender s'en trouve dès lors métamorphosé. La douleur de la résistance politique est devenue une impuissance éthique doublée d’une souffrance morale susceptible d’une forme de culpabilisation. Et elle ne trouverait alors sa rédemption tout à la fois psychique et symbolique que sous la forme éthique du choix en tant que décision de rupture avec l'ordinaire répétitif de l'aliénation. Dans Hunger, il était certes déjà question des ces affects que sont la honte et la faim, mais ils étaient inscrits et remodelés dans la dynamique collective d'une politique de subjectivation militante et résistante. Dans Shame, la faim (de sexe) et la honte (d'une faim pathétique révélée dans le regard d'autrui) sont des affects négatifs qui submergent et engloutissent le héros sans jamais devoir se renverser dialectiquement en affirmation, en possibilité positive d'une subjectivation désirée et émancipée. Un paradoxe formel veut par exemple que le corps de Michael Fassbender dans le rôle d’un héros pourtant voué à l'inertie carcérale paraissait doué de lévitation (on se souvient du plan de la plume voletant dans la chambre d’hôpital du héros agonisant ou dans la foulée cet autre plan avec ces oiseaux noirs s’envolant au crépuscule). Dans Shame, le personnage de Brandon (le choix de son prénom serait un clin d'œil au personnage incarné par Marlon Brando dans Le Dernier tango à Paris tourné en 1972 par Bernardo Bertolucci) ne cesse en revanche de s'alourdir et de s'effondrer à chaque station d'un chemin de croix moins exemplaire que représentatif et qui, de glorieux dans Hunger, serait dorénavant devenu surtout pathétique, pour ne pas dire pitoyable. « La honte d'être un homme » : c'était bien ce que Gilles Deleuze avait puissamment retenu de la littérature de Primo Levi. Et c'est bien ce qui passionne Steve McQueen lorsqu'il s'attache à montrer dans ses deux films la honte, d'abord comme moment nécessaire d'un processus de subjectivation politique triomphant, ensuite comme terme et clôture d'un assujettissement culpabilisant et sans dépassement existentiel autre qu'éthique. Malgré l'incroyable présence d'un acteur capable tour à tour d'incarner dans l'impuissance (la coercition carcérale) la puissance (éthique politique), puis dans la puissance (le confort matériel) l'impuissance (moins sexuelle que morale, relationnelle et affective), ce passage induit par l’objet nouvellement visé par la fiction entre le régime politique et le régime éthique, sinon moral (non plus la grève de l'hygiène et de la faim politique, mais la dépense sexuelle dérivant en souffrance psychique et psychologique) marque immanquablement un affaiblissement du projet esthétique de Steve McQueen. Comme s'il avait été la victime bien malgré lui, et malgré son indéniable talent, de la pression d'un « sujet de société » dont les médias nous ont rebattu les oreilles toute l'année. Il est vrai qu’il y avait tout lieu avec Hunger de tirer de l’inactualité du combat de Bobby Sands la force disruptive et intempestive exprimant la nécessité permanente de la lutte politique, quand la question de l’addiction sexuelle, de Michael Douglas à Tiger Woods en passant bien sûr par le cas Dominique Strauss-Kahn, voue d’emblée Shame à subir le règne tyrannique de l’actualité médiatique.

thumbnail.aspx?q=1512774507764&id=48c8c83/ Du dedans de la prison de Maze dans Hunger au dehors de la métropole new-yorkaise dans Shame, de l'espace carcéral induisant un fragmentation des corps molestés à l'espace liquide promu par de grands à-plats sur fond de verre et de travellings latéraux (par exemple la séquence du jogging donnant l’impression que la circulation automobile s’est arrêtée pour laisser glisser le héros relié à son baladeur MP3), ce serait comme la preuve du glissement historique des sociétés disciplinaires à des sociétés de contrôle. Glissement que Gilles Deleuze en trouvait l'analyse dans le travail philosophique de son ami Michel Foucault. « Foucault est souvent considéré comme le penseur des sociétés de discipline, et de leur tactique principale, l'enfermement (pas seulement l’hôpital et la prison mais l'école, l'usine, la caserne). Mais, en fait, il est l'un des premiers à dire que les sociétés disciplinaires, c'est ce que nous sommes en train de quitter, ce que nous ne sommes déjà plus. Nous entrons dans des sociétés de contrôle qui fonctionnent non plus par enfermement, mais par contrôle continu et communication instantanée » (Gilles Deleuze, Entretien avec Toni Negri, Futur antérieur, numéro 1, printemps 1990 in Pourparlers, éd. Minuit, 1990, p. 236). De l'enfermement clos à l'enfermement (à ciel) ouvert, des cellules grises munies de barreaux aux blancs appartements coincés dans de vastes architectures alvéolaires de verre (on pense ici un peu à l’antonionien Claire Dolan de Lodge Kerrigan en 1998), c'est la domination qui ne fait que changer de forme et de régime. La nervosité telle qu'elle fait trembler les genoux de l'acteur dans les deux films, si elle n'exprime plus la colère politique mais l'excitation pornographique du surfeur devant des films matés sur Internet ou le désarroi devant l'impuissance à passer à l'acte, marque tout de même la continuité de la question de l'enfermement. Ainsi d'ailleurs que l'autre moment, commun aux deux films, où le héros brise tout ce que sa cellule hier ou sa chambre aujourd'hui contient. C’est la domination qui, de Hunger à Shame, substitue dorénavant au pouvoir d'état massif et frontal la volatilité diffuse du pouvoir de la marchandise dont l'un des degrés fétichistes ultimes se niche dans le domaine sexuel. Ce n'est donc pas un hasard si le cinéaste use à de nombreuses reprises du motif de reflets plus ou moins bien (dé)polis sur la surface desquels glisse et ondule l’image de Brandon, comme coulée dans les dispositifs modulaires ayant capté sa subjectivité. Ce ne sera pas non plus un hasard si l’évident chemin de croix de Brandon se conclut dans une avant-dernière séquence au lyrisme appuyé et dans laquelle se mêlent d'une manière un peu trop explicite les larmes du héros tombé à genoux près des docks et la pluie grise ruisselant sur lui. Le passage des sociétés de discipline (voir encore la ressortie actuelle de Metropolis de Fritz Lang : cf. Des nouvelles du front cinématographique (63) : Metropolis de Fritz Lang (I) ; Des nouvelles du front cinématographique (64) : Metropolis de Fritz Lang (II)) aux sociétés de contrôle est aussi au cœur de L'Apollonide (souvenirs de la maison close) de Bertrand Bonello sorti récemment, tout le film étant confiné entre les murs d'un bordel du début du vingtième siècle jusqu'à ce que sa dernière séquence propulse l'une des prostituée (interprétée par Céline Sallette) sur la scène ouverte et bitumeuse du périphérique parisien contemporain (cf. Des nouvelles du front cinématographique (61) : L'Apollonide de Bertrand Bonello). Il a donc fallu deux films à Steve McQueen pour créer le diptyque à partir duquel rendre sensible ce passage historique. « Les enfermements sont des moules, des moulages distincts, mais les contrôles sont une modulation, comme un moulage auto-déformant qui changerait continûment, d'un instant à l'autre, comme un tamis dont les mailles changeraient d'un point à un autre (…). Les sociétés disciplinaires ont deux pôles : la signature qui indique l'individu, et le nombre ou numéro matricule qui indique sa position dans une masse(…). Dans les sociétés de contrôle, au contraire, l'essentiel n'est plus une signature ni un nombre, mais un chiffre : le chiffre est un mot de passe, tandis que les sociétés disciplinaires sont réglées par des mots d'ordre (aussi bien du point de vue de l'intégration que de la résistance). Le langage numérique du contrôle est fait de chiffres, qui marquent l'accès à l'information, ou le rejet » (Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle »,opus cité, pp. 242-244). Un tamis dont les mailles changeraient d'un point à un autre ? On reconnaît dans Shame la ville de New-York, surface quadrillée, ondulatoire et clignotante, propice à la mobilité des comportements et à la fluidité des échanges commerciaux. New York, telle une cité liquide (à l’instar de Francfort dans Sous toi, la ville de Christoph Hochhäusler également sorti cette année) baignée par les eaux d'un « capitalisme à l'état pur » (Michel Husson). Une cité comme au bord d'une liquéfaction qui aura tout le loisir de se retraduire autant dans l'écoulement facial affectant le visage de Brandon dans l'avant-dernière séquence du film, que dans la reprise par le personnage de Sissy (sa sœur paumée interprétée par Carey Mulligan) de la chanson New-York, New-York, popularisée par le film éponyme de Martin Scorsese réalisé en 1977. Une reprise significative qui soumet d’ailleurs la chanson originale moins à un geste profanateur (comme My Way repris par les Sex Pistols lors du générique-fin de Goodfellas de Martin Scorsese en 1990) qu'à un geste anamorphique étirant l'hymne connu à l'opportunisme et l’ambition individuelle jusqu'à un point de liquéfaction et d'étiolement qui n'est pas loin de recouper celui, intérieur, de la chanteuse elle-même. Le chiffre comme mot de passe de la société de contrôle dont le langage numérique marquerait l’accès à la l'information ou son rejet ? C'est évidemment la consommation par Brandon d’actes sexuels tantôt subordonnés à diverses connections Internet, tantôt branchés sur l'industrie pornographique existante, tantôt enfin reliés à la vieille économie prostitutionnelle désormais relayée par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Le visage faiblement affecté de Michael Fassbender ainsi que sa grande capacité de tension obtenue dans un pincement de lèvres mais surtout dans la mobilité ou la fixité expriment un corps désormais passé de l'insensibilité à la douleur (Hunger) à la désaffection et la désensibilisation émotionnelles et affectives causées par son addiction au sexe (l’anecdote de la dent dévitalisée relaie métaphoriquement cet état de fait). La souffrance consistera d'ailleurs ici à réinjecter à l'automate sexuel, au risque hélas plus qu'encouru de la démonstration moralisatrice, une affectivité (momentanément) dissoute dans les éthers d'un capitalisme haussé au niveau des flux (symboliques, électroniques, numériques) de l'immatériel (pour employer la terminologie de Toni Negri), et qui aurait donc fait de la capture de la libido son principal champ de valorisation. « L’économie libidinale contemporaine, soumise à ce que Jeremy Rifkin appelle le ‘‘capitalisme culturel’’, c’est-à-dire le capitalisme des industries culturelles, est devenue le principe central du capitalisme » (Bernard Stiegler, « Contrôle et culture des individus » in Le Théâtre des idées. 50 penseurs pour comprendre le XXIe siècle [ouvrage dirigé par Nicolas Truong avec le Festival d’Avignon], éd. Flammarion, 2008, p. 52).

img_6760_shame-trailer-official-2011-hd-4/ Du coup, c'est l'addiction sexuelle de Brandon qui, au vu du formalisme proposé par le film, n'apparaît dès lors plus comme accidentelle, mais bien comme le symptôme clinique, autrement dit l'expression maladive d'une régression des processus de civilisation au profit d’une bêtise pulsionnelle devenue systémique (voir le gag pas si anodin du prétendu os néandertalien que le héros aurait conservé). Soit cette « misère symbolique » dénommée ailleurs « débandade » (concept ici idéalement applicable) par le philosophe Bernard Stiegler, et qui trouve son accomplissement littéral dans l’éjaculation précoce de Brandon en présence de Marianne, la seule femme (à l’exception de sa sœur) avec qui il noue une relation ne se réduisant pas à un pur acte de consommation sexuelle. Il faut d’ailleurs une longue séquence de dîner en compagnie de Marianne dépourvue de toute dramatisation apparente, puis une balade urbaine sans résolution dramatique forte, afin de laisser advenir la possibilité d’une relation sentimentale authentique extrayant le personnage de la pente démonstratrice de sa pulsion catastrophique. Et il faut toute cette durée sans événement pour donner du point de vue de Brandon une densité inattendue au personnage de Marianne, de telle façon que cette personne ne puisse plus occuper la place habituelle dans les schémas tout à la fois fantasmatiques et utilitaristes du héros. Marianne existe donc comme un autrui pour parler le langage de l'éthique d'Emmanuel Levinas (un « Tu » aurait dit avant lui Martin Buber) en regard de qui Brandon ne peut que s’effondrer tant l’acte sexuel n’engage justement jamais chez lui la moindre idée d'une quelconque altérité. La célèbre formule lacanienne (« Il n’y a pas de rapport sexuel ») explicite parfaitement, au moment du ratage sexuel avec Marianne, l’échec existentiel d’un homme clivé puisqu’il a dissocié jusqu’à la rupture psychologique acte sexuel monomaniaque d’un côté et relation affective de l’autre (un brandon ne désigne-t-il d’ailleurs pas en français à la fois un corps enflammé et ce qui provoque des troubles ou de la discorde ?). Sans jamais atteindre à la folie descriptive et accumulative de American Psycho (1991) de Brett Easton Ellis auquel on pense plus d’une fois (cf. American Psycho (1991) de Bret Easton Ellis : capitalisme et sadisme), Shame propose sur un mode clinique et distancié le constat d'une névrose mise en regard avec les diverses objets (cocaïne et « Red Bull », ordinateur et survêtement de jogging) et activités (la fusion confuse entre l’éthique personnelle et le nouvel esprit entrepreneurial ou managérial, mais encore l'ultralibéralisme dans le consumérisme de prestige) qui en déterminent la structure. Par exemple, la séquence où le supérieur (James Badge Dale) du héros, sorte de pendant surexcité du héros avec qui partager les jeux nocturnes de la séduction mondaine, lui révèle que son ordinateur est saturé d'images ou de vidéos pornographiques, exprime beaucoup de la réalité d'un puissant déni à valeur non plus seulement interindividuel mais aussi social, puisqu'il ne l'accuse pas d'avoir de les avoir enregistrées intentionnellement. Il s’agit là d’un déni qui vaudrait donc comme un pis-aller, voire un blanc-seing autorisant Brandon à continuer sur son lieu de travail ses activités extra-professionnelles, qui apparaissent alors par effet de contamination comme relevant du lot commun propre à tout son milieu social d’appartenance. Le graffito « Fuck » en dessus d’un couple en train de copuler ici ou bien là une publicité pour une chanteuse R’n’B qui ne se différencie guère d’une photographie de pin-up dans un magazine hot ou sexy manifestent plutôt discrètement la généralisation symbolique du régime de la pornographie qui semble dès lors constamment flotter dans l’air. On citera encore ici l’image de ce couple baisant contre la vitre d’un grand loft et aperçu par Brandon qui voudra à son tour rééditer la réalisation de ce fantasme de la transparence pornographique. L'effet de contamination atteint même la conversation que ce cadre avait par webcams interposées avec son jeune fils, comme si Internet représentait un seul et même grand bain numérique à l'intérieur duquel se baignent et se côtoient, se mélangent et s’interpénètrent les surfaces de visibilités a priori les plus éloignées les unes des autres. Attestée en entretien pour la revue Positif (« Le personnage de Brandon fait de la publicité sur Internet, il est sur un marché de virus (...) Ce type communique sur la Toile des propos fous qui se répandent comme un virus. C'est une façon pour lui de gagner de l'argent et d'avoir une grande liberté », Positif, n°610, décembre 2011, p. 18), la pornographie considérée comme virus social à l'ère du numérique, ce qui peut faire du coup de Shame un complément possible de The Social Network (2010) de David Fincher, semble, même indirectement, affecter le comportement de la jeune sœur de Brandon. Après avoir débarqué chez lui à l'improviste, cette dernière ne fait preuve d'aucune pudeur quant aux questions de la promiscuité et de l'entre-exposition de leur corps respectif. Le chagrin d'amour qui semble à ce moment-là la miner représente alors le contrepoint affectif à l'addiction sexuelle de son frère, tous les deux étant alors voués à une semblable dépossession de soi en raison d'un rapport fallacieux ou faussé avec autrui (lointain pour Sissy, inexistant sauf sur le mode utilitaire pour Brandon). On pourra à ce titre légitimement regretter dans le film de Steve McQueen l'utilitarisme scénaristique à cause duquel le personnage de Sissy doit incarner aux yeux de son frère la femme symboliquement abîmée par tous les coups de pénis donnés tous azimuts par son frère. Le sang dans lequel baigne la sœur dépressive qui s'est tailladée les veines (mais le plan donne l'impression que l'écoulement a lieu depuis son vagin) recouvre les mains de son frère qui la découvre alors effondrée dans la salle de bain maculée, pendant qu’un torrent violoneux signé Harry Escott coupe le son des voix en leur substituant une musique seulement illustrative. Comme si sa sœur devait symboliquement servir à supporter à son corps défendant la représentation de la punition fictionnelle d’un homme écopant en retour des conséquences d’une violence sexuelle masculine dont il était jusque-là le parfait mais inconscient représentant, le masochisme de l’une (les cicatrices sur les poignets) devant dès lors répondre logiquement au masochisme de l’autre (les branlettes compulsives). On remarquera que ce n'est pas la première fois que Carey Mulligan interprète récemment une figure dont la fonction scénaristique est seulement destinée à sortir de sa torpeur programmatique le héros masculin, puisqu'elle était traitée de la même façon dans Drive de Nicolas Winding Wrefn sorti aussi cette année. La différence est que Drive évacuait toute psychologie au nom de ses seuls effets d’abstraction et de fascination, quand Shame s’abandonne à la surprenante (surtout au vu de Hunger) pente d’une psychologisation dans le traitement des relations entre le frère et sa sœur. Brandon n’a certes pas besoin de s’expliquer sur son désastre personnel, puisqu’il s’exprime par le biais de sa relation catastrophique avec Sissy. On est bien loin de la parole strictement politique à partir de laquelle étaient subordonnées les relations familiales dans Hunger, induisant même la politisation des figures parentales opposées à la très mauvaise mère alors symboliquement représentée par Margaret Thatcher. Le clou sanglant de cette déchéance morale atténue d’autant plus la problématique éthique qu’il propose une séquence succédant à une longue nuit vécue comme une descente accomplie par l’intrusion dans une boîte gay puis une partie de triolisme. A ce moment-là, Shame atteint la limite de ses contradictions internes, puisque le passage homosexuel est tristement filmé sur le double mode du colorisme explicite (le rougeoiement infernal de backrooms dignes de Irréversible de Gaspar Noé en 2002) et de le relégation pudique hors-champ (s’agissant de la fellation reçue par Brandon), alors que la séquence de triolisme est soumise à un traitement se voulant plus audacieux. L’ambiance jaunâtre, la fragmentation et l’usage d’objectifs à longue focale participent à disséminer la très probable réalité d’une « scène de cul » tournée avec Michael Fassbender aux côtés de deux « hardeuses » professionnelles, Calamity Chang et Deedee Luxe. L’investissement physique de ce dernier persiste, mais paraît ici bien moins susceptible de produire une intensité semblable aux efforts produits dans Hunger. Surtout que la séquence laisse flotter un parfum d'indécidable qui se retourne contre ses propres visées radicales. Preuve par défaut d’une banalisation de la pornographie à laquelle succombe aussi Shame, qui souffre en plus de proposer une représentation stigmatisante de l'homosexualité ici montrée comme l’enfer de l’hétérosexuel déchu (cf. Des nouvelles du front cinématographique (6) : sexisme et cinéma, trois études de cas ; Des nouvelles du front cinématographique (8) : l'homosexualité dans le cul de l'hétéro-patriarcat).

1320823359-shamemain.jpg5/ Comprendre au niveau idéologique le clivage sexuel psychique éprouvé par Brandon demande à en repasser par ces intellectuels qui, de Wilhelm Reich à Herbert Marcuse, ont voulu conjuguer marxisme et freudisme en questionnant le domaine de l’inconscient et de la sexualité à partir de la culture de la répression déterminée par le développement de la civilisation capitaliste. N’est-ce d’ailleurs pas Herbert Marcuse qui disait que les « problèmes psychologiques se transforment en problèmes politiques » (dans sa préface à Eros et civilisation. Contribution à Freud, éd. Minuit, 1963, p. 9) dès lors qu’on les interroge à la double lumière de Marx et Freud ? Ce serait bien là la possibilité pour Shame d’arriver à trancher au cœur de l’indémêlable nœud entre éthique et morale au profit du retour incisif et émancipateur de la politique. Quand Wilhelm Reich affirmait déjà en 1934 que « la morale sexuelle d’aujourd’hui (…) est soutenue par la bourgeoisie traditionnelle et par la bourgeoisie capitaliste » (in Constantin Sinelnikoff, L’œuvre de Wilhelm Reich [nouvelle édition présentée par Jean-Marie Brohm], éd. Les Nuits rouges, 2002, p. 101), on peut avec le film de Steve McQueen considérer que les choses n’ont pas beaucoup changé sous le soleil de la répression sexuelle et de la domination capitaliste. Quand le même auteur évoque l’incivilité et la brutalité d’une vie sexuelle mutilée car séparée de toute forme de sensualité, il désigne un cercle vicieux selon lequel « la fierté virile non sublimée conduit à la dépréciation de la femme [qui la] rend en retour sexuellement timide et froide ; par sa frigidité, elle perd de sa valeur comme objet sensuel et derechef la femme insensible éveille en l’homme l’impression de n’avoir devant lui qu’un instrument de satisfaction (…) qui renforce son orgueil viril et la dépréciation de la femme » (cité par Constantin Sinelnikoff, op. cit., p. 102). Ce cercle vicieux qui finit par provoquer du point de vue masculin « l’apathie à l’égard de la femme » comme un acte sexuel retombant « au niveau d’un acte auto-érotique, onaniste, qui n’est plus stimulé par la femme, mais seulement par des fantaisies » (idem) est précisément celui qui enferme Brandon dans la quête effrénée de la perpétuelle et accumulative jouissance orgastique révélant toujours plus sa part autant sadique (du point de vue de ses partenaires occasionnelles) que masochiste (du point de vue du héros lui-même). Le refoulé de cette scission néolibérale et pornographique du sexuel d’avec l’érotique s’exerce donc au profit du premier et au détriment du second. Et il détermine une impuissance relationnelle et affective qui pourra toujours se retraduire sous la forme d’une impensable éjaculation précoce, de coups de poing reçus lorsque le héros drague effrontément une jeune femme devant son copain baraqué, d’une fellation homosexuelle pratiquée comme une obligation démoniaque, de son épuisement ridicule lors d’une séquence de triolisme vécue comme crucifixion, et enfin du bain de sang dans lequel coule à pic sa sœur et qui le submerge. Ce souci de la performance et de l’accumulation, de la dépense et du gain, typiquement conforme à la subjectivité configurée par le capitalisme, produit au bout du compte une prolétarisation – celle d’un homme exproprié de sa propre sensualité, de sa propre tendresse, autrement dit de ses propres possibilités d'amour. Cette prolétarisation de l'érotique ou du sensuel effondré et vautré dans le sexuel et le pornographique avait déjà été pressentie par Wilhelm Reich qui associait dans son constat de 1935 autant les bourgeois que prolétaires (ibidem, p. 105). « La facilité avec laquelle la satisfaction est acquise, la fin de la nécessité de conquérir l'objet conduisent à une trop grande fréquence du rapport sexuel, doublement préjudiciable. Il ne se produit plus de grande tension libidinale (…) De plus, le coït est réalisé comme un devoir et les sentiments de dégoût apparaissent » (ibid., p. 107) explique Wilhelm Reich. Et encore une fois, l'histoire de Brandon autorise la représentation démonstrative d'un cas clinique manifestant symptomatiquement, au-delà de la justesse scientifique du constat, la permanence des structures oppression et de domination malgré les changements sociaux comme historiques. Ou plutôt, on doit reconnaître qu'entre le constat du sexologue marxiste et celui du film de Steve McQueen, c'est le caractère transhistorique de l'aliénation sexuelle qui triomphe, et qui connaîtrait même une intensification avec l'avènement du néolibéralisme. En langage reichien, il faudrait surtout voir dans le cas de Brandon la prévalence de pulsions prégénitales sur la génitalité nécessaire au maintien de l'équilibre psychique. Quand Wilhelm Reich avance encore que « les pulsions prégénitales sont par nature auto-érotiques, c'est à dire asociales, [et que] la pulsion destructrice et son rejeton érotique, le sadisme, sont antisociales » (ibid., p. 109), on pense aux masturbations répétées de Brandon, à son visage défait à la fin de la séquence déjà citée de triolisme, ainsi qu'à la tentative de suicide de sa sœur dont la responsabilité rejaillit à la manière de Macbeth sur les mains ensanglantées de son frère. Comme si pulsions prégénitales et pulsions (auto)destructrices étaient entrées en pleine zone d’indistinction. Brandon est donc malade parce que « ses actions sociales sont sexualisées et sa pulsion destructrice et ses pulsions prégénitales dominent sa vie amoureuse » (ibid., p 110), au lieu de renoncer à ses buts instinctuels en soumettant ses pulsions prégénitales à des buts sociaux et culturels. Le grand problème psychologique et donc aussi politique du modèle économique et social néolibéral auquel est assujetti le héros, c'est qu'il aurait substitué à la nécessaire sublimation freudienne tout un processus surmoïque de désublimation qui est une « désindividuation » (Bernard Stiegler, op. cit.) dont profite l’impersonnel procès de l'accumulation du capital. Herbert Marcuse quant à lui distingue dans son ouvrage Eros et civilisation ce qu'il appelle « sublimation non-répressive » désignant l'érotisation des relations interindividuelles, de la « désublimation répressive » comme libération de la sexualité sous des formes affaiblissant l'énergie érotique (op. cit., p. 12). C'est qu'il ne faudrait pas confondre érotique et pornographique : « Eros signifie un accroissement quantitatif et qualitatif de la sexualité » (ibid., p. 180). La sexualité sublimée est donc bien l'antithèse du sexe en dehors duquel rien de sublime ne peut exister, du sexe comme jouissance et non comme désir, comme performance et rendement, du sexe comme accumulation et productivité, du sexe comme conformité du corps viril et de son énergie désirante aux triples prescriptions idéologiques de la domination masculine, du travail subordonné en économie capitaliste et de la captation de la libido comme principe de la valorisation du capital en régime néolibéral. La consommation complémentaire de boisson dite énergisante de type « Red Bull » ainsi que de cocaïne parachève ainsi un mouvement ascétique de nettoyage à sec de toute forme de sublime évacuée au nom d'un fonctionnalisme généralisé qu'exprime encore l'appartement vide et blanc, design et high-tech, de Brandon. Nudité, fonctionnalité et blancheur qui ne pouvaient dès lors qu'accueillir, sinon appeler l'écoulement sanglant rappelant à la fratrie qu'elle provient d'une union charnelle de corps qui auraient, pourquoi pas, pu connaître le bonheur et l'amour. Ce sang vient-il sanctionner et punir le regard moqueur jeté par Sissy lorsqu'elle découvre par hasard son frère se masturbant dans sa salle de bain, à l'instar du regard d'un des trois fils de Noé, Cham, comme le rapporte un épisode de la Genèse avant la fondation de la loi mosaïque ? Ainsi que le remarque Marie-José Mondzain dans son ouvrage Le Commerce des regards (ibid., pp. 30-42), le regard de Cham riant de la nudité de son père ivre contient un implicite incestueux que l'on retrouve dans la relation entre Brandon et sa soeur, et doit également se comprendre avec l'action accomplie par ses deux autres frères, Sem et Japhet, qui recouvrent le patriarche d'un manteau en marchant à reculons afin d'éviter à croiser son regard. C'est dans l'intersection entre ces deux manières, la réalité nue et son voilement, l'avance et le retrait, qu'une « production imaginale » (ibid., p. 36) s'accomplit. Comme c'est dans l'entrecroisement de la nudité de l'acteur Michael Fassbender et du voilement de ses actes sexuels opéré par le découpage et le montage d'un film dont le titre (Shame, la honte en français) entre étrangement en consonance avec le nom de Cham (en hébreu, Ham signifie le chaud) que l'image représentée de la jouissance sexuelle ne doit pas être identifiée à l'obscène reproduction du régime pornographique. Quand on sait enfin que Michael Fassbender jouera dans le prochain long métrage de Darren Aronofsky le personnage mythique de Noé, on aura tout le loisir de vérifier si le personnage actoral qu'il est en train de peaufiner de film en film doit souffrir d'une mise à nu de son corps déterminant paradoxalement les effets de voilement propres à son jeu et sa manière gestique.

shame_poster.jpg6/ La citation réitérée des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach jouées par le pianiste Glenn Gould donne un dernier indice s'agissant du projet artistique, certes ambitieux mais aussi décevant, que Steve McQueen a voulu développer pour son second long métrage. L'automate spirituel des films de Robert Bresson s'est donc mu en automate sexuel dans Shame qui représente ainsi, tantôt le prolongement explicite des scénarios consacrés à l'épuisement urbain d'Eros dans les films de Michelangelo Antonioni comme dans les toiles d'Edward Hopper, tantôt une variation autour de Pickpocket (1959). Surtout que Hunger n'oubliait pas quant à lui la leçon d'un autre film de Robert Bresson, Un condamné à mort s'est échappé (1956). La séquence qui ouvre le film de Steve McQueen est, au-delà de son entrecroisement virtuose de séries résumant les habitudes sexuelles programmatiques de Brandon, significative de pareil héritage cinématographique. On y voit le héros échanger dans le métro new-yorkais plusieurs regards suggestifs à une séduisante usagère émoustillée, puis s'approcher d'elle en lui touchant discrètement la main avant de la perdre de vue dans la foule, pour la retrouver par le plus grand des hasards lors de la dernière séquence du film. Si la drague a désormais remplacé le vol, c'est toujours l'idée d'une même maniaquerie donnant au personnage un sentiment de puissance qui se transformera en fardeau le long d’une trajectoire morale dont le terme est figuré par une jeune femme (Jeanne chez Robert Bresson, Sissy chez Steve McQueen) avec qui il n’était pas imaginable de devoir se retrouver. Sauf que le retour circulaire de la femme du métro dans Shame

m> abandonne au spectateur le choix de décider à la place du héros s'il a réussi ou non à se délivrer de son aliénation. La problématique éthique souffre alors d'être déconnectée du personnage pour être proposée au spectateur, le premier ne valant définitivement que comme cas significatif d'un problème social sur lequel nous aurions le loisir de trancher individuellement. Le moralisme apolitique n'est plus seulement celui du personnage ou du monde social dans lequel il évolue, mais en fin de compte aussi de Shame. « C’est que l’éthique n’est pas la morale. L’éthique, c’est la relation d’altérité, ce qui se construit avec l’autre dans une relation où il y a à la fois du désir, de la communauté et du partage sur le terrain même du conflit. La morale s’occupe du bien et du mal et distribue les places en fonction des valeurs de référence établies » rappelle justement Marie-José Mondzain (in Le Théâtre des idées, ibid., p. 378), alors que Shame renonce in fine au trajet éthique de son personnage censément en reconquête d’un rapport non-utilitariste et non-consumériste à autrui, pour lui préférer hélas la fable moralisante de l’homme moderne déchu par le mal contemporain. Quant à la question esthétique de savoir ce que la pornographie fait à la représentation cinématographique, le film de Steve McQueen fait preuve là encore d'un moralisme et d'une pudibonderie qui le rend bien moins passionnant que, sur un sujet semblable, L'Histoire de Richard O. (2007) de Damien Odoul, ou que La Pianiste (2001) de Michael Haneke. Ce dernier film savait d’ailleurs se coltiner frontalement une imagerie dont il tirait des effets originaux de grotesque, à l'opposé des trop connus et décevants effets de sérieux de Shame. Enfin, on devra citer le court-métrage Impaled réalisé par Larry Clark pour le film collectif Destricted (2006), qui montrait avec un sens hyper-documentaire lui permettant de faire l'économie d'un scénario démonstratif ou moralisateur l'extraordinaire pression culturelle exercée par l'industrie pornographique sur l'apprentissage de la sexualité par le jeunesse adolescente étasunienne. Le corps de Michael Fassbender, en ne soutenant plus l'incarnation douloureuse, autant sur le plan fictionnel que sur celui du documentaire, de l'idée politique de l'égalité commune et générique, mais dorénavant en représentant un cas clinique moins exemplaire que significatif, a donc momentanément perdu de son mystère et de sa densité, soit de sa grâce. Il est dès lors remarquable qu'il les retrouve avec le nouveau long métrage de David Cronenberg, A Dangerous Method, où la question de la sexualité, si elle se pose encore, est soumise à un geste de théorisation assumé par le personnage qu'il interprète (le célèbre psychanalyste Carl Gustav Jung). Passer du pauvre cas clinique en souffrance morale au praticien auteur d'un nouvel appareil théorique aura-t-il donc permis à Michael Fassbender de renouer avec la puissance contondante de contention, de tension et de retenue dont il était jusque-là capable ?

A suivre : En corps (II), Michael Fassbender dans A Dangerous Method de David Cronenberg (ici)

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24 décembre 2011 6 24 /12 /décembre /2011 08:34
L’annonce par le gouvernement de la hausse de la TVA à taux réduit de 5,5% à 7% a suscité une vive émotion dans tout le monde du livre.

Compte tenu du poids relativement modeste de l’édition dans l’économie française, il est clair que cette mesure ne permettra pas de faire rentrer les milliards que cherche le gouvernement pour faire face à la dette publique et satisfaire aux exigences des marchés financiers.

 

Mais si l’impact de cette mesure dans les comptes de la nation risque d’être faible, il sera au contraire considérable pour tout le secteur du livre dont l’économie est déjà fragilisée. Cette hausse de la TVA, sauf à prendre sur les marges déjà faibles des différents acteurs de la chaîne du livre, va provoquer une hausse du prix du livre.

 

Il est évident que cela ne va pas dans le sens d’une démocratisation de l’accès au livre et à la lecture. Il y a au contraire fort à craindre que cela se traduise par un tassement du marché du livre, voire une nouvelle baisse des ventes et des tirages. A brève échéance, cela va entraîner des difficultés de trésorerie pour les libraires, et les éditeurs, notamment les éditeurs indépendants qui ne roulent pas sur l’or. Non seulement, nous ne connaissons pas d’éditeur indépendant qui aient récemment pu augmenter son salaire de 170%, mais, en vérité, la plupart d’entre eux ont vu au contraire leurs revenus baisser ces dernières années. Cette façon de frapper le livre à la caisse, pour renflouer la finance, nous en dit long sur l’attitude des dirigeants actuels à l’égard de la culture et de l’éducation, dont on nous dit par ailleurs que c’est une priorité. De plus, nous apprenons que dans le même temps, le gouvernement maintient par contre un taux réduit pour le livre numérique ! De qui se moque-t-on ? On est passé du mépris envers la Princesse de Clèves, au mépris affiché envers tous ceux, auteurs, éditeurs, libraires, qui motivés non par l’appât du gain mais par la passion de la littérature et des idées, continuent envers et contre tout à écrire, publier et présenter des livres.

 

Mais pour ce qui nous concerne, éditeurs indépendants, nous ne sommes pas un troupeau de moutons qu’on peut mener à l’abattoir. Nous allons agir contre cette mesure. Et notre 9e salon des éditeurs indépendants « l’autre LIVRE », qui se tiendra les 18, 19 et 20 novembre 2011 à l’Espace des Blancs manteaux à Paris, sera l’occasion d’engager publiquement cette action, avec le soutien de nos amis et lecteurs (www.lautrelivre.net).

 

Francis Combes Président de l’autre LIVRE, l’association des éditeurs indépendants

lien vers la pétition : http://www.petitionpublique.fr/?pi=TVAlivre

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23 décembre 2011 5 23 /12 /décembre /2011 01:00

Les éditions Lignes représentent aujourd’hui, aux côtés entre autres de Syllepse, La Fabrique, La Dispute, Agone, Le Croquant, Page Deux ou Amsterdam, l’un des fleurons de l’édition engagée. Sans lui connaître la moindre inféodation à un quelconque parti politique, Lignes, maison classieuse inspirée par Malevitch (une maquette présentant souvent deux carrés noirs sur fond blanc) et liée aux éditions Léo Scheer jusqu’en 2007, propose donc un éventail de textes, de revues et d’ouvrages participant à renouveler la pensée de gauche radicale. Qu’il s’agisse de la réédition de textes devenus relativement rares et rédigés par certains intellectuels parmi les plus importants du siècle précédent (on pense au travail accompli par le fondateur des éditions Lignes Michel Surya autour des œuvres de Georges Bataille et Michel Foucault), de revues à la fois pointues en termes de contenus et situées dans ce qui caractérise notre contemporanéité (de la revue de cinéma Vertigo à la revue-phare de la maison qui en porte le nom, Lignes, dont le n°36 portait sur les révolutions arabes et dont le n°37 promis pour le 16 février prochain sera intitulé « Non pas : voter pour qui, mais : pourquoi voter ? »), ou bien qu’il s’agisse encore d’ouvrages parmi les plus stimulants du moment (par exemple les essais d’Ivan Segré ou encore les trois derniers volumes des « Circonstances » d’Alain Badiou : cf. Ivan Segré, un intellectuel de combat ; De quoi Sarkozy est-il le nom ?), les éditions Lignes aident à mieux percevoir les lignes de fracture politiques de notre époque à partir desquelles réinventer d’autres possibles. Qu’on en juge avec la publication commune le 14 octobre dernier  de deux petits livres passionnants : Sur le sens et l’usage du mot « gauche » de Dionys Mascolo (64 pages) et Vers un romantisme révolutionnaire de Henri Lefebvre (80 pages).  

 

1/ La gauche déchirée de Dionys Mascolo  

 

Dionys Mascolo (1916-1997), ami de Robert Antelme qu’il sortit des camps de concentration en compagnie de François Miterrand, et longtemps l’époux de Marguerite Duras avec qui il militait dans le même réseau de résistance, aura peu écrit. Pourtant, son influence fut secrètement déterminante, notamment pour cette génération de philosophes comptant Michel Foucault, Gilles Deleuze et plus tard Jean-Luc Nancy. Démissionnaire du PCF en 1949 et opposant au colonialisme puis au gaullisme, il fonda avec son ami Maurice Blanchot la revue Le 14-juillet en 1958, puis la « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie » connue sous le nom de « Manifeste des 121 » qui fit à l’époque tant de bruit. Puis fut un acteur par mi tant d’autres de Mai 68 resté jusqu’au bout fidèle à un « communisme de pensée » éloigné de tout sectarisme ou dogmatisme d’obédience stalinienne. Le texte Sur le sens et l’usage du mot « gauche » daté de 1955 a été donc écrit au cœur de la froide nuit que le stalinisme, particulièrement en France, jetait sur l’idée communiste. Au-delà des explications historiques (la Révolution de 1789) de l’origine de ce mot, Dionys Mascolo insiste sur cette première définition (qui est une distinction) radicale : alors que la droite offre le mot de l’acceptation servile de l’existant, la gauche donne le nom désignant la multitude des personnes refusant l’ordre de la domination réellement existant. La droite, c’est l’acceptation, le oui à la domination, quand la gauche, c’est le nom à celle-ci. La distinction est nette, et ne devrait normalement pas nourrir davantage la discussion. Pourtant…  

 

En effet, Dionys Mascolo ne s’arrête pas en si bon chemin – celui de la conscience déchirée d’une gauche ne pouvant supporter que se perpétue la réalité existante assujettie à la domination capitaliste. Il va jusqu’à pousser ce déchirement en affirmant que le mot de « gauche » est lui-même déchiré, divisé. Voilà un véritable geste de dialecticien qui pousse la contradiction jusque dans le terme censé la représenter sur le seul plan du champ politique. C’est que ce terme de « gauche » n’est symboliquement opératoire qu’à l’intérieur de la sphère parlementaire, étatique et in fine bourgeoise : « La distinction gauche droite […] sert à distinguer entre eux des bourgeois » explique Dionys Mascolo, qui lui préfère au bout du compte le terme de révolution. Alors que le mot de « gauche » indique une position, certes plus humaniste, dans un espace entièrement circonscrit par le juridisme et le légalisme de la classe économiquement et politiquement dominante, celui de « révolution » donne le nom instruisant la radicale séparation entre les personnes voulant seulement aménager et réformer l’existant et celles qui désirent un changement de base et de fondement de la société pour une émancipation sans condition, égale et générique. Parce que la révolution, ainsi soustraite dans la discussion menée par l’auteur du parti (le PCF) ou du pays (l’URSS) qui étaient censés alors l’incarner, demande la prise en compte radicalement matérialiste de l’humain comme être de besoin, elle exige en conséquence de dépasser le clivage gauche-droite, comme de transcender la conscience déchirée du peuple de gauche, ceci afin de poser la nécessité affirmative d’un horizon accomplissant le refus total de l’existant. En complément, « Contre les idéologies de la mauvaise conscience » paru dans La Quinzaine littéraire n°107 en décembre 1970 prolonge cet élan en s’appuyant sur l’expérience encore brûlante de Mai 68. Ce petit texte incisif montre par exemple les limites théoriques et pratiques (« praxiques » comme on disait alors en langage marxien) de la position d’un Jean-Paul Sartre dont la situation d’intellectuel déchiré (entre sa position sociale de bourgeoise et son désir politique pour le communisme) empêche la vision plus militante de l’intellectuel plongé dans le mouvement quotidien et modeste (« moléculaire » aurait dit Félix Guattari) de l’institution de la révolution. Parce que, comme le disait Marx, le communisme désigne le mouvement de ce qui réellement se fait et advient.

 

2/ Les deux romantismes de Henri Lefebvre

 

Le premier texte est l’occasion de renouer avec une des grandes figures intellectuelles françaises du vingtième siècle, Henri Lefebvre (1901-1991). Adhérent au PCF en 1928 dont il est exclu en 1958, ayant participé à la création de revues originales et multidisciplinaires telles Philosophies puis Arguments, Henri Lefebvre a aidé à ouvrir, de part et d’autre des universités de Strasbourg et de Nanterre où il a enseigné, un espace de réflexion à un marxisme non dogmatique et stalinien auquel s’abreuveront autant Jean Baudrillard que surtout Guy Debord et les situationnistes. Ce chercheur, en plaçant au centre de ses préoccupations théoriques la ville et la vie quotidienne, aura d’ailleurs réussi à faire le pont entre les surréalistes et les situationnistes, les uns passionnés par les fascinants « hasards objectifs » offerts par la ville et les autres par les « dérives psychogéographiques » qu’elle propose. En 1957, un an avant son exclusion du PCF, il rédige Vers un romantisme révolutionnaire qui n’est d’ailleurs pas sans conséquence sur son situation en regard de son affiliation partisane. Comme l’expliquent les introducteurs à ce beau texte intempestif, Rémi et Charlotte Hess, ce texte représente le moment décisif au cours duquel Henri Lefebvre articule la critique de l’hégémonie stalinienne dans le communisme français avec une manière de penser libertaire, alors extrêmement minoritaire dans le champ politique et académique d’alors. Entre les crimes du régime stalinien et leur perpétuation sous la forme de l’écrasement de l’insurrection populaire de Budapest approuvée en 1956 par le PCF, c’est le lent mouvement d’un détachement politique nécessaire grâce auquel Henri Lefebvre peut se séparer de l’abêtissement stalinien de l’idée communiste, et cela sans vouloir abandonner la nécessité de l’émancipation et de la révolution. Son chef-d’œuvre publié en 1959 et intitulé La Somme et le reste, ouvrage hors-norme dépassant les limitations disciplinaires, parachèvera une trajectoire théorique et pratique, militante et politique quia désiré sauvegarder du piège étatique et stalinien l’impérieuse nécessité du communisme revu et corrigé à l’aune libertaire.

 

D’où le retour à vieille notion de romantisme dont on croyait qu’elle ne pouvait pas se comprendre en dehors de son sens réactionnaire habituel. Henri Lefebvre distingue en effet deux manières du romantisme, spécifiques et même antagoniques. Un romantisme des origines (les débuts de l’époque industrielle) manifestant alors le désir de la rupture avec la modernité capitaliste en regardant et mythifiant le passé. Et un romantisme de l’avenir qui désire cette rupture sans pour autant faire appel à un passé mythifié puisqu’il puise dans le présent la matière de nouvelles promesses. Contre la figure rabougrie et stérile de « l’homme nouveau » stalinien dont le dogmatisme refuse l’affrontement des contradictions au nom du consensus partisan et idéologique, Henri Lefebvre promeut donc une nouvelle figure humaine qui saura s’appuyer sur le « désaccord lucide » et l’approfondissement des contradictions pour échapper à l’immobilisme des certitudes. Une figure en proie non plus au passé mais au possible, et pas seulement le « possible-possible » mais le « possible-impossible », celui qui fait reculer les frontières du réel (celui qui fait passer, comme le dirait de manière lacanienne Alain Badiou, « de l’impuissance à l’impossible »). Une figure qui saura tout à la fois jouir de la lucidité critique et de la pensée par concept, et qui saura conjuguer art et politique ou rationalité et imagination comme le voulait Friedrich Schiller dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme qui ont tant influencé Herbert Marcuse hier et aujourd’hui Jacques Rancière. Une figure qui saura également, comme Walter Benjamin, dénicher dans une vie moderne déchirée entre le passé et l’avenir les ferments de nouvelles possibilités de vie. Une figure qui prendra enfin pour l’auteur les traits d’une jeunesse dont il défend prophétiquement l’existence, 11 ans avant Mai 68, en tant qu’accélérateur révolutionnaire. Parce que « La jeunesse aussi est en proie au possible, et le possible la dévore ».

 

Comment peut-on aujourd’hui comprendre l’actualité des textes écrits par Dionys Mascolo et Henri Lefebvre à une époque et en un pays alors dominée par la version stalinienne du communisme ? Malgré l’inactualité due à datation, c’est l’exigence à la fois intempestive et contemporaine de l’exigence communiste, de la nécessité de l’idée communiste regaillardie par la pensée libertaire telle qu’elle fut relayée par les surréalistes, les situationnistes, les étudiants et tous les acteurs de Mai 68. La pensée libertaire, autrement dit celle qui rejette l’indexation du communisme sur l’étatisme, la subordination de la révolution sur la forme-parti, l’assujettissement de l’émancipation sur la seule question économique.

 

Là seul réside un communisme vivant.

 

L’avenir du communisme sera libertaire ou ne sera pas.

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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 19:46

Après 7 jours de grève des agents de sûreté : La responsabilité de L'Etat et d'ADP est engagée

Sur ordre du gouvernement, les agents de sûreté en grève à Roissy ont été remplacés par des policiers et des gendarmes ce jeudi 22 décembre matin. Sarkozy veut briser cette grève qui témoigne de la colère sociale qui couve dans le pays et craint la contagion à d'autres salariés. Cette manœuvre accroît encore davantage la colère des grévistes qui dénoncent depuis maintenant 7 jours leurs conditions de travail déplorables, les bas salaires et la précarité.  C'est le droit de grève qui est piétiné, comme l'a déclaré hier le principal syndicat des gardiens de la paix, SGP-FO, qui s'est prononcé contre ces remplacements.   

 

L'UL CGT Roissy exige le retrait des forces de l'ordre de tout poste de travail d'un agent de sûreté gréviste !

Cette situation nous rappelle que les agents de sûreté exercent une mission de service public qui consiste à assurer la protection des usagers du transport aérien.  Ce sont d'ailleurs les passagers qui financent eux-mêmes ce service en payant une taxe aéroportuaire de 11,50 € comprise dans le prix de leur billet d'avion.  Mais depuis dix ans, l'Etat, à travers ADP, délègue cette mission de service public à des entreprises privées, avec des conséquences désastreuses pour les salariés comme pour le service public :

Les entreprises privées de sûreté se livrent en effet à une guerre commerciale acharnée pour obtenir les marchés.  Ces marchés sont soigneusement découpés par ADP pour mettre les salariés en concurrence les uns avec les autres. Les marchés sont attribués aux entreprises qui présentent la facture la moins élevée, ce qui tire les salaires vers le bas et pousse à dégrader les conditions de travail (plannings flexibles, temps partiel, augmentation de la charge de travail, etc.).

De plus, cette mise en concurrence permanente précarise l'emploi.  Les marchés de la sûreté sont en effet conclus pour des périodes de trois ans. Lorsqu'une entreprise perd un marché, les emplois sont menacés et les acquis sont remis en cause chez le repreneur.  Rien n'est jamais acquis et les emplois sont par nature précaires, même en CDI.

Enfin, ces bas salaires, cette précarité, ces mauvaises conditions de travail, ne permettent pas aux agents de sûreté d'exercer leur mission dans de bonnes conditions. Ils sont stressés, fatigués, démotivés. L'intérêt privé (la recherche du profit) est inconciliable avec le service public, elle menace la sûreté des usagers.

La privatisation de la sûreté se traduit ainsi par des bas salaires, de mauvaises conditions de travail, la remise en cause permanente des acquis et des emplois, et un service public dégradé.

La grève dure depuis plus de 7 jours.  Elle est majoritairement suivie par les salariés à Roissy et touche la plupart des aéroports du pays.  Le patronat se refuse toujours à entendre les revendications parfaitement légitimes des salariés.  Ces entreprises privées ne défendent que leurs profits, elles sont des parasites dans la sûreté aéroportuaire, qui se nourrissent du travail des agents et de la taxe payée par les passagers.

Si les salariés de la sûreté en sont là aujourd'hui, c'est en raison de la privatisation du secteur.  Si les pouvoirs publics veulent intervenir dans cette grève, au lieu de tenter de la briser, qu'ils prennent leurs responsabilités pour imposer les revendications des salariés au patronat et ouvrent immédiatement des négociations pour réintégrer les agents de sûreté sous statut public.  

 

Il est de l'intérêt des salariés et des passagers que la sûreté aéroportuaire ne soit plus confiée à des entreprises privées dont le seul objectif est de faire de cette activité une source de bénéfice pour leurs actionnaires.

Retrait des forces de l'ordre des postes de travail des grévistes !

200 € d'augmentation tout de suite !

Amélioration des conditions de travail !

Arrêt de la précarité !

Pour l'emploi, les salaires, les conditions de travail et la qualité du service public de sûreté, il faut réintégrer la sûreté aéroportuaire au sein d'un corps d'Etat, existant ou à créer !

Roissy, le 22 décembre 2011

Editeur :  UL CGT Roissy <http://www.ulcgtroissy.fr>

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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 09:28

                Pour imposer les revendications il faut étendre la grève !

La grève des agents de sûreté aéroportuaire en est à son 6ème jour et le mouvement s'amplifie. A Roissy, une majorité est en grève. La plupart des sociétés de la branche sont touchées : ICTS, Securitas, Brink's et Alyzia Sûreté notamment. Le mouvement de grève gagne de plus en plus d'aéroports à travers le pays, après Roissy, Orly, Lyon, Nice, Rennes, Mulhouse, Bordeaux, Toulouse, ce sont les aéroports de Beauvais et de Lorient qui entrent en lutte. Cette démonstration de force, du jamais vu depuis dix ans dans la sûreté, est le résultat d'une lutte coordonnée des salariés de plusieurs entreprises. Ce front uni de grève est non seulement indispensable à la construction d'un vaste rapport de force pour porter les revendications, mais il est nécessaire pour que la grève ait un impact fort sur l'activité aéroportuaire. Sans cette coordination, les employeurs du secteur peuvent se remplacer mutuellement en cas de cessation de travail et ainsi réduire les salariés à l'impuissance. L'unité d'action des grévistes du secteur de la sûreté est un exemple à suivre pour l'ensemble des salariés de Roissy !

      Grâce à l'unité d'action, le rapport de force s'élève en faveur des salariés.

Grâce à l'ampleur du mouvement, le rapport de force est favorable aux salariés. Le patronat refuse pour l'heure toute concession et compte sur le « pourrissement » de la grève. Mais les grévistes ne montrent aucun signe de fatigue. Au contraire, leur détermination se renforce de jour en jour. Cette combativité s'explique par leur refus de leurs conditions de travail très dégradées (horaires décalés, plannings variables constamment modifiés, stress professionnel, etc.), le tout pour des bas salaires qui ne permettent pas de vivre dignement. Les revendications sont parfaitement légitimes : augmentation des salaires de 200 €, amélioration des conditions de travail, arrêt de la précarité…


      L'UL CGT Roissy dénonce les tentatives du gouvernement de briser la grève.

Le patronat et le gouvernement craignent une contagion. Ils font tout pour discréditer cette lutte exemplaire. Ils font semblant de se soucier du sort des vacanciers en ces périodes de fêtes alors que ce qui pourrit la vie des salariés, des jeunes et des retraités, c'est la baisse générale du niveau de vie imposée par le gouvernement et le patronat. Au-delà de la propagande, le gouvernement joue maintenant un rôle actif pour tenter de briser la grève : il cautionne le remplacement des grévistes par des salariés étrangers en autorisant leur détachement en toute illégalité ; il cautionne aussi le remplacement des grévistes par des salariés non habilités à la sûreté ce qui menace la sécurité des vols ; il brandit la menace de réquisition des grévistes et leur remplacement par les forces de l'ordre ; il prépare un projet de loi pour un service minimum. Comme lors de la grande grève de l'automne 2010 pour les retraites, le gouvernement défend les intérêts du patronat et déploie des trésors d'énergie pour briser les grèves ! Mais ces tentatives accroissent la tension sociale dans le pays. L'UL CGT Roissy a par exemple pris acte très favorablement de la position exprimée par le syndicat SGP-FO, 1er syndicat des gardiens de la paix, qui s'est déclaré opposé au remplacement des agents de sûreté en lutte, estimant que le rôle de la police n'est pas de jouer les « briseurs de grève ».

 

                                       Il faut étendre la grève !

Ces tentatives sont le signe que gouvernement et patronat paniquent devant la mobilisation des salariés. C'est l'extension de la grève et sa reconduction qui peuvent apporter la victoire et nous appelons maintenant l'ensemble des agents de sûreté, quelle que soit leur entreprise, à rejoindre la grève. D'ores et déjà, des salariés d'autres secteurs de l'aérien montrent des signes de mobilisation. A Roissy, par exemple, des intérimaires s'organisent dans un collectif CGT. Partout où la mobilisation des salariés est possible, l'UL CGT Roissy appelle à rejoindre la grève, y compris au-delà du secteur de la sûreté.


Roissy, le 21 décembre 2011

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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 14:59

http://snadgi-cgt93.pagesperso-orange.fr/ballon%20CGT%2093.jpgMagnetto, Aulnay-sous-Bois :

Un rassemblement d’une dizaine de salariés s’est tenu le 15 novembre dernier à l’initiative de la CGT de l’usine sous-traitante Magnetto (une entreprise d’emboutissage appartenant au groupe italien CLN), devant le siège parisien de son principal donneur d’ordre, le constructeur automobile PSA. Un « appel à tous les sous-traitants pour rejoindre les salariés de PSA » a été à cette occasion lancé afin de manifester la solidarité des salariés des usines sous-traitantes avec les salariés de PSA. En effet, tous sont menacés par le plan d’économie de 800 millions d’euros prévu par une direction qui, en voulant satisfaire les actionnaires, va entraîner la possible fermeture des sites d’Aulnay et de Sevelnord (malgré une caisse de 11 milliards d’euros en fonds propres et l’allocation de 200 millions d’euros en dividendes l’année dernière). Les 318 salariés de Magnetto travaillent à fournir des pièces aux sites PSA d’Aulnay, de Poissy et de Sevelnord (cf. PSA Aulnay et Sevelnord : une petite note pour un gros boucan !).

 

TFN, La Courneuve :

A la suite de trois semaines de grève, un accord avec la direction de TFN, multinationale du nettoyage, a été arraché par les salariés grévistes, notamment soutenus par l’union locale CGT. Le paiement intégral des trois semaines de grève, le maintien de l’intégralité des salariés sur le site de la Courneuve et l’annulation des mutations en cours ont été courageusement gagnés par des salariés en lutte contre la volonté de rentabilité financière animant la direction. En effet, l’entreprise chargée de la prestation de nettoyage des immeubles appartenant à Plaine Commune a repris un chantier à une autre entreprise, ISS, dans une stratégie globale de réduction des coûts et des personnels afin de satisfaire l’accaparation actionnariale de la plus-value. C’était sans compter la combativité des salariés de TFN qui entendaient au contraire préserver l’emploi et le respect des conditions de travail. Leur victoire, dont nous informe un communiqué daté du 16 novembre dernier, rappelle que seule la lutte paie.

 

SEPUR, Bondy :

12 jours de grève ont été nécessaires aux salariés en lutte de la SEPUR (une entreprise de traitement des déchets et de nettoiement employant 36 personnes) pour faire entendre et accepter leurs revendications. A l’occasion d’une passation de marché entre la mairie de Bondy désirant changer de prestataire et la société TEP au détriment de la SEPUR, la TEP refusait de s’engager auprès des salariés de la SEPUR. Au final, le 30 novembre dernier, 24 contrats de travail avec maintien ont été obtenus de la TEP, avec en sus le maintien du treizième mois, la prime d’ancienneté, la majoration de 100% (plus un jour de récupération chaque jour férié travaillé), la prime de panier, la majoration de 100% en cas de travail le dimanche, la participation mutuelle de l’employeur, etc. Quant aux autres travailleurs qui ne dépendaient plus directement du chantier de Bondy suite à la décision de changement de prestataire du donneur d’ordre, ils demeurent toujours employés par la SEPUR.

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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 12:47

(article de Mickaël Guiho paru le 16 décembre 2011 dans Politis : http://www.politis.fr/Israel-va-liberer-Salah-Hamouri,16417.html)    

  

http://ts3.mm.bing.net/images/thumbnail.aspx?q=1448399209042&id=592bc836fac904cbf9389a622db22563Après presque 7 ans de prison pour « délit d’intention terroriste », le Franco-Palestinien devrait être libéré ce dimanche avec 550 détenus palestiniens, dans le cadre de la seconde vague de l’accord entre Israël et le Hamas. 

  

Détenu par Israël depuis le 13 mars 2005, Salah Hamouri fera partie de la seconde vague de prisonniers politiques libérés par le gouvernement israélien. Suite à un accord conclu avec le Hamas, Israël avait procédé à un premier échange, le 18 octobre 2011, pour obtenir la libération du soldat israélien Gilat Shalit contre 477 détenus palestiniens. Le nom de Salah Hamouri est apparu sur une liste de 550 prisonniers libérables dimanche, ou lundi, communiqué par Israël mercredi 14 décembre. « On a eu un coup de fil de Paris, on nous a dit voilà il est sur la liste, a déclaré Denise Hamouri, la mère du jeune homme. On est un peu dans l’euphorie […]. Ces trois jours vont peut-être être plus longs que tous les moments qu’on a passés […]. Le plus important, c’est qu’il rentre à Jérusalem, à la maison ».   

 

« Délit d’intention terroriste »  

 

Le jeune Franco-Palestinien de 26 ans a été condamné en 2008 à 7 ans de prison par un tribunal militaire pour son appartenance au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) ainsi que pour un « délit d’intention terroriste ». Sa libération, qui aurait dû être effective le 28 novembre 2011, avait été arbitrairement repoussée au mois de mars 2012. Mais, il y a quelques jours, le grand rabbin Ovadia Yossef, cible de l’assassinat prétendument envisagé par Salah Hamouri et le FPLP, et leader du parti Shass, dont l’avis dicte celui du Premier ministre Benyamin Netanyahou, a fini par accepter cette délivrance. Le gouvernement israélien a alors répondu favorablement à la demande - timide mais bienvenue - de Nicolas Sarkozy de faire figurer le jeune homme dans la liste des prochaines libérations.  

  

La mobilisation acharnée du Comité national de soutien à Salah Hamouri notamment - qui rassemble des personnalités aussi diverses que Jean-Claude Lefort (coordinateur national), Stéphane Hessel (co-président), Marie-Georges Buffet, Noël Mamère, Jean-Louis Bianco, Jack Lang, Olivier Besancenot, Edgard Morin ou même François Cluzet – a donc porté ses fruits. Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, salue également « le courage et l’action permanente des parents, ami-e-s et proches de Salah qui n’ont cessé d’agir pour sa libération ainsi que les organisations et associations qui se sont mobilisées pour cette cause juste. Après l’entrée de la Palestine à l’UNESCO, l’annonce de la libération de Salah Hamouri est la deuxième très bonne nouvelle de la semaine »

  

Le Mouvement des Jeunes Communistes de France s’est également réjoui de cette libération prochaine. Selon le secrétaire général Pierric Annoot, « la libération de Salah constitue un formidable point d’appui pour continuer la lutte pour la libération de tous les prisonniers politiques et pour la Palestine ». Il appelle à un rassemblement dimanche à 15h00 au Trocadéro pour fêter la libération de Salah Hamouri.

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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 09:36

Une promesse UMP pour les élections présidentielles consiste donc en la baisse par l’Etat de 10 milliards d’euros sur 5 ans les dotations aux collectivités territoriales. L’annonce à la presse s’est faite jeudi 15 décembre 2011. Le projet budgétaire UMP pour 2012 inclut donc la baisse de 2 milliards d'euros par an en dotation pour les collectivités locales. Ce qui représente 10 milliards sur l'ensemble du quinquennat jusqu’en 2017.

 

Comment s’effectuera la compensation ? Le ministre de l’agriculture Bruno Le Maire, en charge de l’élaboration de ce beau projet, avance le caractère équitable de celui-ci en insistant notamment sur des réductions de dépenses concernant la protection sociale ». Equité : le terrible mot qui voudrait se substituer à celui d’égalité est lâché (cf. Egalité, équité, égalité des chances : de l'ordre des mots) : « c’est un principe d’équité. Les collectivités locales ont, depuis plusieurs années, augmenté leurs dépenses de fonctionnement et n’ont pas fait les mêmes efforts que l’Etat en matière de réduction de leurs dépenses. Ca ne peut pas être toujours les mêmes qui font les efforts, les collectivités doivent contribuer autant que l’Etat ». Outre le caractère éminent politique de cette histoire, puisque la majorité des collectivités territoriales est gouvernée par la gauche, on retrouve l’argument ressassé de la hausse des dépenses de fonctionnement, alors même que cette hausse se traduit à la fois par plus d’emplois publics et plus de services publics locaux.

 

En fait, c’est comme si le gouvernement se plaignait qu’il y avait trop de boulot dans ce pays, trop de liens sociaux assurés par trop de services publics. Voilà le projet de « décivilisation » promue par l’UMP pour 2012. L’autre aspect de cette sordide histoire de gros sous, c’est bien évidemment la question de la dette publique, puisque le deuxième plan d’austérité annoncé cet automne veut mettre à contribution les collectivités locales à hauteur de 200 millions d’euros. Le gel des dotations pourtant prévues dans le cadre des deux lois de décentralisation afin d’assurer l’autonomie des collectivités territoriales ne signifie pas autre chose que l’abandon du coût exorbitant de la dette de l’Etat sur le dos des collectivités qui, malgré les heurts et malheurs dus à la banque Dexia (Les collectivités territoriales intoxiquées par Dexia !), s’en sortent financièrement plutôt mieux. Ce qui bien sûr entraînera des destructions d’emplois publics et la réduction de services publics qui bénéficient surtout aux personnes et aux familles les moins aisées.

 

Nouvelle occasion de comprendre la nature des solutions face aux pièges qui asphyxient les classes populaires : d’une part, l’autonomie des collectivités territoriales ou locales ne s’effectuera jamais dans le cadre étatique des deux lois de décentralisation mais dans une logique politique fédérale évitant la concentration verticale des pouvoirs et leur centralisation sous la forme de l’Etat ; d’autre part, la dette publique ne peut pas se dire souveraine puisqu’elle engage l’exclusion antidémocratique des populations du champ politique des décisions politiques et économiques, et c’est bien pourquoi il faut en demander l’annulation pure et simple.

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15 décembre 2011 4 15 /12 /décembre /2011 09:53

Tract de la CGT PSA Aulnay

(http://www.cgt-psa-aulnay.fr/tract/jeudi-15-donnons-la-reponse-sarkozy

09/12/2011

 

Jeudi 15 décembre : donnons la réponse à Sarkozy

 

Lundi 5 décembre, tous les syndicats d’Aulnay (SIA, CGT, FO, SUD, CFTC, CFDT) se sont réunis et ont décidé d’adresser un courrier au Président de la république, Sarkozy (et de se revoir dés le début du mois de janvier).

 

En effet depuis le mois de juin, de nombreux ministres (Besson, Bertant, Bourin, Fillon) ou tous déclaré qu’ils seraient inadmissible que PSA ferme des usines en France et sont intervenus pour dire que M. VARIN leur avait assuré que la fermeture de l’usine d’Aulnay n’était pas d’actualité.

 

Le 17 novembre, le président de la République, Sarkozy, a de nouveau reçu M. Varin qui lui a dit : le groupe PSA n’examine pas de projet de fermeture de site en France.

 

La Presse à titrer : Sarkozy reprend le dossier PSA en main.

 

Nous ne discuterons pas de l’hypocrisie de la direction qui consiste à dire que 6800 emplois vont être supprimés sans aucun licenciement ! Seuls les imbéciles peuvent le croire, et les malhonnêtes le répéter.

 

Le jour choisi pour donner cette réponse à Sakorzy est le Jeudi 15 décembre au moment ou le Comité Central d’Entreprise (CCE) se déroulera à Paris.

 

De nouveau à l’ordre du jour il y aura les suppressions d’emplois.

 

Le 15 décembre sur le parking, donnons tous ensemble la réponse à Sarkozy

 

Jeudi nous lirons la lettre qui sera envoyée à Sarkozy. Cette lettre sera mise à l’approbation des salariés à l’Assemblée Générale qui se tiendra à la porte 3 à partir de 14 H

 

Débrayage d’une heure par équipe avec assemblée général

sur le parking à la porte 3

 

Equipe A de 13 H 37 à 14 h 37 et l’équipe B de 14h 37 à 15h 37

 

De nombreuses délégations des autres sites de PSA participerons à se rassemblement Jeudi 15, notamment de Poissy, ST Ouen , Mulhouse , La Garenne, Sochaux.

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