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  • : Communistes libertaires de Seine-Saint-Denis
  • : Nous sommes des militant-e-s d'Alternative libertaire habitant ou travaillant en Seine-Saint-Denis (Bagnolet, Blanc-Mesnil, Bobigny, Bondy, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin, Rosny-sous-Bois, Saint-Denis). Ce blog est notre expression sur ce que nous vivons au quotidien, dans nos quartiers et notre vie professionnelle.
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21 juin 2014 6 21 /06 /juin /2014 12:54
De nos camarades d'AL Secteur Rail le 20 juin 2014 :
Des Assemblées Générales ont reconduit à la grève (une partie de la région parisienne, Grenoble, Annemasse, Annecy, Saint-Pierre des Corps, …), mais le mouvement national peine à tenir.
Ceux qui sont encore en grève permettront peut être de faire le lien avec le jour du vote de la loi à l’assemblée nationale (mardi 24 juin) pour lequel des rassemblements sont prévues.
Mais il est clair que le rapport de force n’est plus celui que nous avions obtenu. Le prétexte du débat parlementaire a aidé ceux qui voulaient que cette grève s’arrête. Ca n’aura pas été le week-end dernier, quand le secrétaire général de la confédération CGT l’annonçait déjà ; il aura fallu une semaine de plus pour en venir à bout, avec l’appui du Front de Gauche dont les députés devaient sauver les cheminots avec leurs amendements … qui en réalité ne changent rien au fond du texte et qui de toutes façons ne pouvaient répondre à une partie des revendications des grévistes.
Car à côté de la bataille contre le projet de loi, les cheminots étaient aussi en grève parce qu’ils et elles en ont marre ! Marre des conditions de travail pénibles, des salaires si faibles, des restructurations dans tous les coins, de la hiérarchie qui passe son temps à nous pourrir la vie, des directives idiotes qui descendent en cascade même quand personne ne comprend à quoi ça sert, des congés refusés, …
Contre tout ça, la bagarre se poursuit. La force d’une grève ne se mesure pas seulement aux résultats immédiats. Il faut entretenir l’esprit de révolte mais aussi d’organisation collective qui est celui de la grève.
Paroles de grèvistes 
(Vidéos réalisées par nos amis de CGT Paris-St Lazare) 
 
Réforme Ferroviaire - Grève - Chronique du 18 - Thierry et Jeremy

Réforme Ferroviaire - Manif du 19 à Paris - Steeve, Vaessa et Sébastien

 

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28 avril 2014 1 28 /04 /avril /2014 07:00

Décidément, quand un filon fonctionne une première fois, les écrivains s'y accrochent!

En 2010, Zoé Shepard (c'est un pseudo) avait sorti le drôlatique Absolument dé-bor-dée!, qui décrivait de l'intérieur le fonctionnement d'une municipalité, vue par une agent territoriale, arrivée pleine d'entrain et rapidement dégoûtée par les tire-au-flanc, la prévarication des politiques, le népotisme, l'incompétence des dirigeants des services... Le pamphlet lui a valu de lourdes sanctions dans la collectivité territoriale à laquelle elle appartenait. Il est vrai qu'il touchait juste sur beaucoup de points!

En 2012, une "suite" intitulée Ta carrière est fi-nie est sortie, puis en poche en 2013.

Le deuxième opus reprend les ficelles du premier. On y retrouve le même style incisif et drôle, le même énervement sans concession contre les gâchis causés par les politiciens au détriment des populations. C'est la force du livre, mais également sa faiblesse, car on sent une certaine répétition ou redite par rapport à Absolument dé-bor-dée! Si le sujet principal est la placardisation des agents territoriaux, on y trouve quelques éléments nouveaux significatifs par rapport au précédent ouvrage :

- D'une part, l'entrée en scène du syndicalisme dans sa description du paysage des collectivités territoriales, et qui plus est sous un jour plutôt positif (ce qui, il faut malheureusement bien le reconnaître, est relativement rare de la part d'agents de catégorie A, qui, quand ils sont syndiqués ce qui est plutot rare, réduisent malheureusement souvent le syndicalisme à un outil de promotion personnelle).

- D'autre part, l'aveu (enfin!) que certains agents territoriaux se tuent à la tâche, alors que dans son premier ouvrage, elle se contentait avec une certaine facilité de mettre en scène la glandouille. Ce deuxième opus est donc plus fidèle à la réalité, avec une fraction surchargée, à qui on confie des missions impossibles avec des moyens dérisoires, pendant qu'une autre fraction se tourne ostensiblement les pouces (souvent protégée par le fait d'avoir la "bonne" carte politique).

En conclusion, une suite à lire, ne serait-ce que parce qu'elle est drôle et apporte des compléments utiles à la description dantesque dressée dans le précédent ouvrage.

Laurent Scapin

Ta carrière est fi-nie, Zoé Shepard, Editions Points. Juin 2013, 286 pages, 7,20€.

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27 avril 2014 7 27 /04 /avril /2014 07:00

http://florevasseur.com/files/image_125_thumbnail.jpgLa crise économique a généré un nouveau genre de polar, les "éco-thrillers", dont l'action est centrée sur des sujets et/ou des acteurs économiques. Ainsi, Flore Vasseur avait sorti en 2010 Comment j'ai liquidé le siècle, centré sur la spéculation et les manipulations de cours par quelques grands "décideurs" discrets. Sans sombrer dans le conspirationnisme, le livre décortiquait un certain nombre de mécanismes et d'aberations capitalistes, au coeur de la crise économique actuelle.

Son dernier livre, En bande organisée relève du même genre. Il traite cette fois principalement de la question de la dette des Etats et de la manière dont elle a été organisée, développée par des institutions bancaires internationales qui ont en grassement tiré profit. L'ouvrage livre une galerie de portraits (le "génie de la finance", le "directeur de comm'", le "grand serviteur de l'Etat qui ne rêve que d'aller pantoufler dans le privé", la journaliste, etc.) réalistes et malheureusement très crédibles. Ils forment une caste fière de ses privilèges et farouchement décidée à les préserver coûte que coûte. La partie la moins convaincante du récit est en fait le ressort "romantique" de la quasi happy end du livre!

Il n'en demeure pas moins que ce roman se lit avec plaisir et facilement, rappelle quelques vérités aussi bien sur la capitalisme que sur le rôle de l'Etat et les media. Il ne s'agit pas d'un livre révolutionnaire, loin s'en faut. On n'y trouvera pas de remise en cause frontale et en profondeur du capitalisme; plutôt un immense dégoût pour ses fonctionnements "extrêmes" (mais intrinsèque au système capitaliste, c'est ce que l'auteur ne montre pas assez clairement).

A lire, donc!

Laurent Scapin

En bande organisée, Flore Vasseur, Editions Equateur Littérature. Août 2013, 318 pages, 19€.

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2 janvier 2014 4 02 /01 /janvier /2014 07:54

Bonne année 2014!

Ouais, ouais, ouais. Il faut beaucoup de méthode Coué et d'optimisme pour penser que 2014 sera une bonne année. Ah, évidemment, à titre individuel, ça peut le faire. Mais collectivement? Collectivement, on peut s'attendre à une vraie année de m... Et encore, la liste qui suit ne prétend pas à l'exhaustivité!

Offensive facho...

Cela fait malheureusement plusieurs années que la société se fachise. Le racisme, la xénophonie et le communautarisme sous toutes ses formes (nationalisme, chauvinisme, superstition religieuse, etc.) ne cessent de progresser. Les "partis de gouvernement" (autoproclamés) sont tous ralliés aux lignes de force idéologiques du F-haine: immigration considérée comme un "problème", nationalisme ridicule (défense du drapeau et de l'hymne national), hystérie sécuritaire (avec un tropisme de défense du "blanc âgé habitant en pavillon ou centre ville" contre le reste du monde), etc. Le PS ne diffère plus de l'UMP que sur la forme et Valls est clairement lancé dans une course-poursuite permanente avec les idées les plus répugnantes et réactionnaires... pour les déborder sur leur droite!

Côté fachos, 2013 a été marquée par les manifs homophobes. Elles ont redonné la niaque à l'extrême-droite, fédérée contre un bouc-émissaire commun. Les contre-offensives n'ont pas été à la hauteur. Les les porte-paroles de l'extrème droite ont eu libre accès aux média pendant des mois pour y déverser leurs idées homophobes et leur haine. Ces manifs ont aussi fait sauter des "interdits", qui n'étaient certes que de pure forme, mais tout de même symboliques, avec UMP, F-haine et Identitaires défilant bras dessus, bras dessous et se claquant ostensiblement la bise devant les caméras!

C'est dans ce contexte que le meurtre de Clément Méric a eu lieu. Il est d'abord le symptôme d'une extrème droite complètement décomplexée, qui pense pouvoir "casser du gaucho" en toute impunité et occuper la rue en lieu et place mais aussi contre la classe ouvrière et les mouvements sociaux. Cet assassinat a donné lieu à des manipulations répugnantes, consistant à "renvoyer dos à dos" fascistes et résistants antifascistes, tueurs et victime, avec la complicité de média infectés par l'idéologie fascisante ambiante.

2014 risque malheureusement d'être de la même veine. Les élections municipales et européennes vont être des caisses de résonnance pour l'extrême droite, en particulier le F-haine. Il compte bien "casser la baraque". Les journalistes ont gobé sans se poser trop de question la stratégie de dédiabolisation menée par Marine Le Pen et adorent ses têtes de listes "jeunes et propres sur elles". Plus encore qu'en 2002, le vote fasciste est décomplexé. Le F-haine va utiliser ces élections pour communiquer, mais aussi pour prendre des postes de pouvoir. Il peut espérer prendre plusieurs villes.

Malheureusement, cette offensive facho ne se limite pas à la France, et toute l'Europe voit l'extrême droite progresser.

... et offensive patronale

2013 n'a été qu'une longue succession d'annonces de plans de licenciements (camouflés en "plans sociaux" alors qu'ils sont anti-sociaux, ou en "plans de sauvetage de l'emploi" dans le jargon libéral alors que leur objectif est de détruire des emplois!). Le PS fait de l'agitation et de la comm', mais se garde bien d'agir réellement et concrètement: ça pourrait froisser les patrons et les actionnaires!

Or les voeux de Hollande ont confirmé ce que nous savions: le PS et le gouvernement sont pleinement ralliés au capitalisme le plus libéral et sont ses parfaits soutiens. Ainsi Hollande a repris la novlangue capitaliste en parlant de "charges" au lieu de cotisations sociales. Il a promis de les baisser, c'est-à-dire, concrètement, de baisser les salaires (dont les cotisations sociales sont une part socialisée!). C'est vrai que "baisser les charges", ça fait un peu moins fumier que "baisser les salaires" pour ceux qui gobent encore ces manipulations. Prétexte  officiel: obtenir des embauches. Hollande croit encore que ce sont les patrons et les actionnaires qui créent de la richesse! Alors que ce sont les travailleurs et travailleuses. Le patronat encaissera le nouveau cadeau gouvernemental pour gonfler les dividendes, et continuera à virer et délocaliser.

2013 a vu aussi l'alliance contre-nature des salariés, des victimes de licenciements et leurs bourreaux patronaux dans le mouvement des "bonnets rouges". Quand l'interclassisme prend le dessus sur la conscience de classe, que les travailleurs en arrivent à soutenir leur exploiteurs, c'est l'extrême-droite qui se frotte les mains, c'est son projet de société qui progresse. C'était vrai quand Daniel Guérin l'a décrit dans La peste brune et Fascisme et grand capital, ça le reste aujourd'hui.

Et tout le reste...

Il faudrait aussi ajouter le désastre écologique qui continue: compromissions sur le gaz de schistes; complicités ouvertes sur les pesticides; dictature nucléocrate qui allonge d'un trait de plume la durée de vie des centrales nucléaires, ces bombes à retardements, en dépit des risques indéniables; grands projets inutiles comme Notre-Dame-des-Landes qui bénéficient d'un soutien aveugle et irresponsable de la part des responsables politiques. Et j'en oublie forcément!

 

Bref, pas de quoi sauter de joie en ce début d'année. Mais il va bien falloir trouver des raisons et surtout des motivations pour aller contre ce courant, mener des luttes sociales et les gagner, prendre tous et toutes ensemble nos vies en main et décider par nous même, changer la société, inventer de nouveaux modes de production.

Alors quand même: bonne année de lutte pour 2014!

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10 mai 2013 5 10 /05 /mai /2013 09:41
Les Inégalités ethno-raciales

Une recension du livre de Mirna Safi publiée sur le site des Mots sont importants

par Franz B
10 mai 2013

 

Mirna Safi est une sociologue affiliée à Sciences Po Paris. Conjuguant participations à l’Observatoire sociologique du changement et recherches au Laboratoire de sociologie quantitative du CREST (Centre de Recherche en Economie et Statistique), elle travaille en particulier sur les questions de ségrégation ethno-raciale et de discriminations. L’ouvrage de synthèse qu’elle vient de publier pour la collection « Repères » des éditions de La Découverte est une admirable introduction proposant la perspective analytique et conceptuelle à partir de laquelle rendre compte des inégalités ethno-raciales.

 

Qu’il s’agisse des problèmes de méthodologie posés par un genre d’inégalités qui demandent à être rigoureusement définies aux résultats de la recherche empirique qui peuvent notamment décrire les interactions entre ces inégalités et d’autres inégalités sociales, la synthèse de Mirna Safi risque de devenir un incontournable à l’adresse de tout militant de la cause antiraciste.

 

Spécificité des inégalités ethno-raciales et intersectionnalité


Et c’est d’autant plus vrai que la France souffre de cette situation paradoxale selon laquelle la question des inégalités ethno-raciales hante constamment le débat public (des « statistiques ethniques » aux diverses politiques publiques dites de « discrimination positive ») alors que la tradition sociologique nationale (d’Emile Durkheim à Pierre Bourdieu) ne s’est guère intéressée à prendre en considération ce type d’inégalités. L’hégémonie de la grille de lecture « classiste » a longtemps prévalu, y compris pour expliquer, à l’encontre des opinions et autres idées reçues amplement ventilées par les médias, l’importance non-discutable des déterminations économiques à l’origine des phénomènes migratoires.

 

Les années 1970 furent aussi aux Etats-Unis le moment d’un grand débat afin de savoir si les inégalités de race étaient aussi intenses et déterminantes que les inégalités de classe. Les arguments développés par le chercheur William Julius Wilson selon lesquels les acquis des Civil Rights lors de la décennie précédente n’ont pas complètement permis d’améliorer le sort des fractions les moins favorisées du prolétariat afro-américain butent malgré tout sur le « fait social total » (Marcel Mauss) de l’inégalité ethno-raciale prouvée par maintes recherches empiriques, dont celles montrant par exemple que les classes moyennes noires sont victimes de mécanismes inégalitaires les empêchant d’accéder à une meilleure réussite socioéconomique.

 

C’est qu’il y aurait alors tout intérêt à reprendre la distinction avancée par le sociologue Charles Tilly (l’inventeur étasunien du concept de « répertoire d’action collective ») pour qui les inégalités sociales peuvent s’expliquer tantôt par des logiques d’exploitation (soit l’extraction de profits à partir du travail d’autrui), tantôt par des logiques d’« accaparement d’opportunités » (soit l’exclusion interindividuelle ou institutionnelle d’autrui des zones d’opportunité existantes).

 

C’est pourquoi il faut affirmer une vision en « intersectionalité » mieux à même de caractériser la réalité multidimensionnelle de la stratification sociale, exprimant l’interdépendance des inégalités sociales (de classe, de genre, générationnelles, liées aux orientations sexuelles comme ethno-raciales) tout en respectant leurs spécificités propres. L’intersection des inégalités ainsi que leur renouvellement processuel ne doivent donc pas autoriser la prévalence d’un genre d’inégalités (par exemple de classe) sur un autre (par exemple ethno-raciales), d’autant plus que leurs causes respectives ne sont pas, loin s’en faut, toujours les mêmes.

 

Ethnie ou race ?


La synthèse richement documentée de Mirna Safi (sa bibliographie fait 27 pages sur un total de 125 !) débute en posant strictement les définitions délimitant le cadre analytique de son travail : pourquoi, en effet, celle-ci s’appuie-t-elle sur la formule adjectivale « ethno-raciale » au lieu de privilégier l’un des deux termes (ethnique ou racial) ? Dans tous les cas, l’auteure rappelle en premier lieu que nous avons affaire là à des « construits sociaux » séparés de toute « connotation biologique ou naturelle » (p. 7).

 

Surtout, l’ethnicité (une classification particularisante et localisée) comme la race (une classification moins euphémique et péjorative se voulant plus globalisante et générique) participent à la catégorisation sociale de groupes humains minoritaires, en particulier de sous-populations dans une société donnée ou un Etat-nation particulier. L’ethnicité et la race sont donc des « faits sociaux  » (p. 8) qui pourraient se distinguer de quatre façons toutes interconnectées.

 

Selon que l’on privilégie la biologie (la race) ou la culture d’origine (l’ethnicité). Selon que la catégorisation relève d’une assignation issue de l’extérieur du groupe (la race) ou d’une identification venant du groupe lui-même (l’ethnicité). Selon que la catégorisation induise une hiérarchisation morale (la race) ou non (l’ethnicité). Selon que les catégories raciales proviennent enfin de rapports de domination (la race) ou non (l’ethnicité).

 

L’assignation raciale s’appuie particulièrement sur l’« efficacité cognitive » (p. 9) des caractéristiques phénotypiques (la forme des yeux ou couleur de la peau comme des cheveux) qui peuvent s’élargir en incluant des critères culturels (comme la religion). Les marqueurs ethno-raciaux sont ici qualifiés d’« ascriptifs » parce qu’ils sont vécus et considérés comme appartenant en propre aux individus, même s’il s’agit toujours de constructions sociales. Il faut enfin souligner que l’assignation raciale en tant qu’identification du sous-groupe dominé par le groupe dominant peut historiquement se renverser en identification collective et ethnique (comme on l’a vu pour les Afro-Américains, un groupe relevant à la fois de l’ethnique et du racial).

 

L’histoire de l’esclavage, de la colonisation et des migrations postcoloniales aura ainsi soutenu les doubles processus de « racialisation  » (comme assignation sur un mode biologisant) et d’« ethnicisation  » (comme construction d’une identité collective) attestant in fine de la justesse de la définition ethno-raciale. Cette définition largement établie dans le champ des études étasuniennes sur le sujet rend compte à la fois des rapports de pouvoir entre groupes dominants et dominés et des logiques de construction identitaire des groupes racisés.

 

De cette définition découlent des conceptions, tantôt en termes (microsociologiques) de discriminations inconsciente, indirecte ou implicite (avec une « inertie cognitive  » pesant sur les représentations négatives), tantôt en termes (macrosociologiques) de discrimination structurelle ou systémique pouvant produire un « racisme sans racistes » (p. 20).

 

Faut-il des statistiques ethniques ?


La mesure des inégalités ethno-raciales repose sur les recensements effectués par des instituts de statistique publique plus ou moins directement dépendant de la sphère étatique. Ce qui signifie que les catégories raciales ou ethniques proposées par ces recensements sont d’emblée dotées d’une dimension d’officialisation. C’est ce que l’on nomme le « caractère performatif de la catégorisation statistique  » (p. 28).

 

Il faudra ensuite distinguer catégories assignées objectives (sous la forme d’informations factuelles renseignant l’ethno-racial, plutôt valorisées en Europe) et auto-déclarées ou subjectives (sous la forme de questions directes sur l’appartenance ressentie par l’enquêté, plutôt répandues en Amérique). L’existence de différentes catégories ainsi que leur perpétuelle problématisation méthodologique donnant à mieux percevoir l’imperfection structurelle dans le travail d’objectivation des inégalités ethno-raciales.

 

Sur 138 pays appartenant à l’ONU et ayant effectué un recensement de sa population autour de l’an 2000, 87 d’entre eux avaient collecté des données ethno-raciales. Ce qui fut le cas du Brésil, un modèle dans ce genre de collecte qui privilégie de plus une conception plus fluide (contrairement aux Etats-Unis) des catégories ethno-raciales (avec la prise en compte d’une possible multi-identification des enquêtés). Ce qui le fut aussi au Royaume-Uni, un des rares pays européens à utiliser dans ce cadre des auto-déclarations.

 

Ce qui ne fut pas le cas en France qui ne dispose que d’une seule étude intitulé « Trajectoires et Origines » et menée en 2008-2009 par Patrick Simon avec l’INED à avoir expérimenté différents modes de collecte de données ethno-raciales. On remarquera toute l’hypocrisie française (l’auteure parle d’état « schizophrène », p. 31) au sujet du débat public concernant les « statistiques ethniques » qui prend prétexte de l’universalisme abstrait du modèle républicain pour nier l’usage statistique de catégories ethno-raciales (par exemple auto-déclarées). Des catégories qui sont pleinement opérationnelles dans le monde social, tant dans le registre des interactions ou des relations interindividuelles que dans celui des institutions étatiques (exemplairement la police).

 

Comme le fait d’être aveugle (« color-blind ») aux inégalités ethno-raciales n’induit pas mécaniquement leur non-existence ou négation, leur prise en compte ne signifierait pas automatiquement leur validation sous la forme d’une inscription dans le marbre des institutions étatiques. Certes, l’utilisation historiquement désastreuse en Europe (à l’époque du nazisme) de données ethno-raciales est un argument digne de respect, mais « une certaine dynamique démocratique exerce une pression au sein des Etats occidentaux pour leur usage en tant que facteurs d’égalité » (p. 29). Surtout en France, un pays qui s’est historiquement enrichi en profitant successivement de l’esclavagisme, du colonialisme et de l’immigration postcoloniale.

 

Les inégalités ethno-raciales au travail


L’objectivation des inégalités ethno-raciales entreprise par Mirna Safi prend pour champ d’analyse les quatre domaines du marché du travail, de la ville, de l’école et de la sphère civique. Concernant le marché du travail, les questions de l’emploi, des trajectoires professionnelles et des conditions de travail sont priorisées. Aux Etats-Unis, « les travailleurs issus des minorités sont ainsi exposés à des périodes de chômage plus longues et plus fréquentes qui réduisent de fait leur expérience professionnelle, ce qui à son tour entrave la progression de leurs salaires  » (p. 42).

 

En France, « à niveau d’éducation égal, les immigrés ont de plus fortes chances d’être au chômage et de plus faibles chances de connaître une mobilité professionnelle ou une promotion salariale  » (p. 42).

 

Plus significatifs encore, les chiffres disponibles en France concernant les enfants d’immigrés (particulièrement maghrébins et africains) attestent de plus grandes difficultés d’accès à l’emploi, toutes choses égales par ailleurs (autrement dit, même quand leurs qualifications sont égales à celles des enfants de parents non-immigrés). Ce constat est plus nettement accentué pour les femmes d’origine maghrébine qui ne bénéficient que très peu de l’effet de rattrapage offert par l’acquisition de diplômes.

 

Le débat plus étasunien que français (encore que les analyses d’un sociologue comme Hughes Lagrange auteur en 2010 d’un problématique Déni des cultures poussent dans cette direction) de la « différence culturelle » ou de la « culture de la pauvreté  » qui caractériseraient certains sous-groupes (les Afro-Américains aux Etats-Unis, les enfants français de parents originaires d’Afrique sahélienne) hésite entre acculturation spécifique du groupe dominé aux inégalités ethno-raciales et culturalisme figé (au risque du racialisme).

 

Extérieure au marché du travail, la ségrégation territoriale et résidentielle (ou un mauvais appariement spatial entre le lieu de travail et le lieu de résidence) comme, interne à ce marché, la désindustrialisation (avec la hausse corrélative de la demande de travail qualifié) participent également à renforcer des logiques inégalitaires relativement compensées par un capital social inégalement distribué entre groupes dominés. Les méthodes régulières de « testing » (p. 53) vérifient empiriquement ce que certains dénomment « discrimination par l’adresse » et d’autres « tri ethno-racial » dans les métiers déterminés par des stratégies entrepreneuriales attribuant fallacieusement une moindre productivité aux personnes perçues via les marqueurs « ascriptifs  » de la race.

 

Les études comparatives qui ont émergé depuis le début des années 2000 (par exemple mettant en regard en 2011 la France et le Royaume-Uni) convergent vers de semblables conclusions : « (…) quasiment partout, les minorités issues de l’immigration sont défavorisées devant l’emploi, plus vulnérables au chômage, concentrées dans les métiers les plus difficiles et perçoivent des salaires inférieurs aux natifs toutes choses égales par ailleurs  » (p. 55).

 

L’ethno-racial au prisme de la ville et de l’école


Les inégalités ethno-raciales s’exerçant sur le marché du travail et concernant généralement l’emploi représentent peut-être la part la mieux connue ou la plus étudiée. Et c’est elle qui induit souvent le biais selon lequel ce genre d’inégalités sociales doit finalement se comprendre en tant que subsumées sous les inégalités de classe. Le racisme étant soluble avec le capitalisme dont l’abolition entraînerait mécaniquement la disparition de l’ethno-racial. Mais alors, comment expliquer que, dans le domaine résidentiel ou territorial, « les Afro-Américains qui perçoivent un revenu annuel égal à 50.000 dollars sont aussi ségrégués que ceux qui gagnent moins de 2.500 dollars  » (p. 59) ?

 

Pensée comme un phénomène transitoire par les partisans de l’hypothèse de l’assimilation spatiale (comme les fondateurs de la prestigieuse Ecole de Chicago), la ségrégation ethno-raciale représente une dynamique sociale persistante, en dépit de l’affaiblissement ou de la disparition de ses causes historiques. Il faudra ici distinguer des phénomènes (parfois connectés) de ségrégation contrainte et désavantageuse, d’auto-ségrégation volontaire (comme certains groupes ethniques originaires d’Asie se regroupant afin de parer collectivement aux discriminations à l’emploi) et d’évitement (c’est le « White Flight » des Blancs désireux d’habiter des quartiers homogènes racialement).

 

La discrimination rebondit également sur toutes les étapes de la recherche d’un logement, que l’on prenne pour exemple les pratiques étasuniennes du « steering » (soit la proposition de logements par des bailleurs dans des quartiers pauvres et homogènes ethniquement à des individus catégorisés comme appartenant à ce groupe ethnique) ou du « redlining » (soit la disparité d’octroi de prêts bancaires en fonction de classifications ethno-raciales). La crise des « subprimes » en 2008 a notamment été alimentée par l’attribution des crédits les plus pourris aux individus parmi les plus assignés ethno-racialement.

 

Pour les raisons invoquées plus haut, les chiffres manquent en France même si elle s’ouvre progressivement aux méthodes de « testing » (comme le fit par exemple la Halde en 2006) qui rendent compte d’une forme de « discrimination informelle » (d’après la définition de Sylvie Tissot, p. 66) déterminant l’existence d’une dynamique socio-spatiale ségrégative.

 

L’école est un autre champ social dans lequel se perpétuent les inégalités ethno-raciales, encore trop souvent rabattues sur une stricte perspective socioéconomique. Certes, la faiblesse des ressources (économiques mais aussi sociales ou culturelles) des parents pèse sur la réussite scolaire de leurs enfants. Et ce mécanisme est accentué par l’existence des systèmes éducatifs (en France, en Allemagne, en Belgique, en Autriche, en Suisse) rapidement sélectifs (comme le montre une étude de l’OCDE de 2010 s’appuyant sur des données comparatives fournies par l’enquête PISA).

 

Pourtant, la dynamique égalitaire traverse (exemplairement aux Etats-Unis) les enfants assignés de manière ethno-raciale, quelle que soit la position de classe de leurs parents. Là encore, l’explication culturelle se fait pressante, tantôt dans le sens du développement par les dominés d’une « culture oppositionnelle » (c’est la thèse de William Julius Wilson, p. 73) identifiant l’école au groupe dominant, tantôt dans celui d’une « pauvreté culturelle » (c’est en France celle de Hughes Lagrange, p. 72) découlant de structures familiales héritées du pays d’origine, ceci afin de mieux différencier les « minorités volontaires  » (issues de l’immigration à motif économique) des « minorités involontaires  » (originaires de l’esclavage ou de l’immigration postcoloniale).

 

Pourtant, les enquêtes empiriques montrent une forte aspiration à la réussite scolaire des enfants des minorités ethno-raciales, même si persistent leurs désavantages objectifs. A l’écart de ces deux hypothèses culturelles, la psychologie sociale rappelle quant à elle l’importance de l’intériorisation par les enfants des groupes minoritaires des stéréotypes ethno-raciaux affectant leurs performances scolaires. La reprise de ces stéréotypes par les enseignants eux-mêmes comme par les manuels scolaires, ainsi que la segmentation hiérarchisée des parcours et le différentiel de ressources offertes par les établissements (mis en concurrence et suscitant l’« évitement scolaire  » de la part des parents qui le peuvent) viennent également renforcer la reproduction des inégalités ethno-raciales.

 

« L’école fonctionnerait ainsi comme une institution de pérennisation des inégalités dont le contexte socioéconomique familial est la source ; elle prépare les enfants issus des minorités à occuper leur position inférieure dans la stratification sociale  » (p. 75).

 

Discriminations légales et inégalités ethno-raciales face à la santé


Il existe enfin tout un champ qui participe à l’établissement des inégalités ethno-raciales et ce n’est pas l’un des moindres puisqu’il bénéficie de la légitimité et de l’autorité offertes par le droit lui-même : ce sont les discriminations légales qui, séparant juridiquement les nationaux des autres (par exemple les étrangers non-européens vivant en France), excluent ces derniers de quasiment un quart des emplois disponibles (en gros les trois fonctions publiques à l’exception de l’enseignement supérieur).

 

A ces inégalités légales d’accès à l’emploi public s’ajoutent complémentairement des discriminations policières et judiciaires, alors que ce sont les populations minoritaires qui souffrent le plus de la criminalité. En France, la surreprésentation des étrangers dans les prisons est de 25 % rapportée aux 6 % qu’ils représentent par rapport à l’ensemble de la population nationale. Aux Etats-Unis, le ratio d’incarcération des Noirs par rapport aux Blancs est de l’ordre de 1 à 8, tous crimes confondus. Quant à l’intensité du « profilage racial » (p. 85), autrement dit l’utilisation par les policiers en exercice des catégories ethno-raciales comme signes d’une délinquance potentielle, elle a été maintes fois avérée (notamment par un chercheur comme Laurent Mucchielli).

 

Comme les chercheurs ont prouvé que le coût social en termes de pérennisation des stéréotypes raciaux et de reproduction des inégalités sociales est au fond bien plus élevé que les éventuels bénéfices censément rapportés par l’utilisation de telles pratiques. Ainsi que le montrent notamment les travaux de Loïc Wacquant, la criminalité se trouve racialisée en même temps que la misère pénalisée. La misère est enfin tributaire des inégalités de santé et d’accès aux soins. C’est que les individus appartenant aux minorités ethno-raciales sont moins couverts par les assurances complémentaires, maitrisant moins les interactions avec les représentants des organismes de santé, victimes d’erreurs plus nombreuses de la part de ces derniers ou encore soumis à un stress ou une anxiété qui, découlant de la stigmatisation raciste, finit par détériorer leur santé.

 

Pour conclure :

 

En conclusion de son ouvrage, Mirna Safi explique qu’elle aurait pu également traiter d’autres registres dans lesquels s’exercent avec plus ou moins d’intensité les inégalités ethno-raciales (de revenus ou de patrimoine, face à la pauvreté ou dans le domaine de l’action politique). C’est qu’il n’y a pas une seule sphère sociale qui échapperait à la mesure d’inégalités.

 

Ce qui la pousse à parler de « discrimination institutionnelle » (pour reprendre la formule de l’un des militants historiques du Black Power, Stokely Carmichael) afin de couper court aux analyses qui ne s’en tiendraient qu’à une fragmentation de la réalité sociale. Parce que les sphères sociales sont toutes en interaction, les inégalités ethno-raciales caractérisées par le même aspect cumulatif qualifiant toutes les inégalités sociales (comme le montrent les travaux communs d’Alain Bihr et Roland Pfefferkorn).

 

Intrinsèquement liées aux institutions et ne se réduisant donc pas aux seules interactions ou relations interindividuelles, imbriquées à d’autres formes d’inégalités sans pour autant valoir (à l’instar des inégalités de genre) comme une déclinaison particulière des inégalités de classe, les inégalités ethno-raciales manifestent in fine l’existence d’un « projet racial » ou « raciste ». Celui d’une société créant ou reproduisant « des structures de domination fondées sur une caractérisation ethno-raciale » (p. 92).

 

Et c’est là tout l’intérêt libérateur des sciences sociales que d’objectiver une dynamique inégalitaire afin d’offrir aux minorités racisées, par-delà le déni français s’adossant sur la croyance dans les pouvoirs assimilationnistes ou intégrationnistes de la République, les moyens symboliques d’un « empowerment » propice à lutter et s’émanciper.

P.-S.

Les Inégalités ethno-raciales a été publié à La Découvert, coll. « Repères, 2013.

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18 février 2013 1 18 /02 /février /2013 13:06

Non à l’accord de régression sociale du 11 janvier !


Aujourd’hui, dans tout le pays, des dizaines de milliers de salariés « ne lâchent rien ». Ils continuent de s’opposer à la restructuration ou à la fermeture de leur entreprise pour empêcher les milliers de licenciements directs et indirects qu’elles entraînent.


Pas un jour, pas une heure sans que les salariés d’Arcelor Mittal, de Renault, de PSA, de Sanofi, de Virgin, de Candia, de Doux, de Pétroplus, de Good Year, d’Alcatel Lucent, de la Banque de France, de France Télévision, de Fralib, de Pilpa, et tant d’autres dans de plus petites entreprises ne fassent la une des journaux locaux et des journaux télévisés.


Les salariés résistent, parce qu’ils refusent de voir leur outil de travail détruit alors qu’aucun motif économique ne le justifie. Ils ne veulent pas, et ils ont raison, être les « dindons de la farce » des revirements stratégiques des grands groupes ou des brusques ruptures de contrats commerciaux par les donneurs d’ordres ! Ils ne veulent pas, et ils ont raison, avoir pour seule perspective, pour eux et leur famille, la précarité et l’inscription à Pôle emploi !


Ils refusent à juste titre d’être sacrifiés sur l’autel de la crise, alors que les grands groupes continuent d’engranger toujours plus de profits : l’an dernier, les entreprises du CAC 40 ont versé 40,9 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, soit 5 % de plus que l’année précédente. à cela, s’ajoutent 172 milliards d’euros d’aides diverses, que le gouvernement a encore complété au beau milieu des négociations sur l’emploi par un chèque « crédit d’impôt » de 20 milliards d’euros !


À l’issue des négociations sur l’emploi qui ont duré près de 4 mois, le Medef a réussi, le 11 janvier 2013, à conclure un accord avec trois organisations syndicales. Et les parlementaires sont sommés de retranscrire cet accord dans une loi, dont le projet sera présenté le 6 mars au conseil des Ministres.


Les confédérations CGT et FO (qui représentent plus de salariés que les trois organisations syndicales signataires) ont refusé de signer cet accord de régression sociale. Elles appellent ensemble, et c’est une première depuis de nombreuses années, à l’action dans toute la France le 5 mars.


L’affaire est sérieuse.


Au coeur de l’accord est donnée la possibilité à l’employeur, avec des syndicats « consentants » au sein de son entreprise, de passer des accords sous prétexte de difficultés « conjoncturelles » pour organiser des mutations forcées, pour accélérer et rendre plus facile les licenciements, faire en sorte qu’ils soient beaucoup moins coûteux et le moins contestables possibles par les salariés (articles 15, 18 et 20 de l’accord).


Et pour mettre tout le monde au pas, toutes celles et ceux qui refuseraient l’application d’un accord de mobilité forcée seraient licenciés pour… motif personnel !


Par contre, il n’y a rien de neuf dans l’accord pour aider les chômeurs, pour aider les salariés qui en ont le plus besoin à accéder à des formations qualifiantes.


En fait, le Medef obtient les moyens d’empêcher les salariés des grandes entreprises qui peuvent encore résister visiblement, mais aussi ceux des petites et moyennes entreprises, menacés de ruptures conventionnelles ou de plans de « départs volontaires », de mener les combats qu’ils mènent pour la défense de leur travail, de leur emploi et de leur entreprise.


Tout cela pour gagner « en compétitivité », c’est à dire travailler plus avec des salaires gelés et avec moins de salariés.


Cet accord est un marché de dupes !

 

Il est dangereux pour les salariés ! Tout le droit social conquis par les luttes des salariés depuis des dizaines d’années est remis en cause.


C’est effectivement un « nouveau modèle économique et social », en rupture avec celui existant aujourd’hui en France. C’est celui du libéralisme, celui où le salarié se retrouve seul face à son patron, celui où les salariés et leurs représentants doivent dire « oui » à tout « avec le revolver sur la tempe », comme si leur salaire ou leur emploi étaient la cause des difficultés économiques.


Ce n’est pas en facilitant les licenciements qu’on sécurise et développe l’emploi ! Il n’y a pas besoin de plus de flexibilité en France. Elle fait déjà des ravages dans tous les secteurs, dans le privé comme dans le public ! Partout en Europe, l’austérité et la déréglementation sociale mènent l’économie à l’abîme et les salariés au chômage !Les exigences du Medef ne peuvent pas faire la loi ! Les élus de la République ne doivent pas retranscrire l’accord tel quel ! Faisons leur savoir ! Faisons-nous entendre !

Tous dans l’action le 5 mars !


Pendant la négociation, la CGT a notamment revendiqué :


- Un droit de veto suspensif des représentants du personnel sur les plans de licenciement et les plans de restructuration, permettant la recherche et la construction de propositions alternatives aux licenciements.


- Une loi contre les licenciements boursiers et pour la reprise des sites rentables, en cas de menace de fermeture.


- La généralisation de la présence des représentants des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance avec voix délibérative.


- Une gestion prévisionnelle des emplois qui ne soit pas une gestion prévisionnelle des suppressions d’emplois.

 
- L’encadrement des ruptures conventionnelles et la lutte contre le passage forcé à l’auto-entreprenariat.


- Des instances représentatives interentreprises du personnel pour gagner une plus grande responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants.


- Des CHSCT centraux à l’instar des CCE, avec respect des droits et moyens pour les CHSCT locaux.


- L’extension du contrat de sécurisation professionnelle à tous les salariés des entreprises de moins de 50 salariés et l’amélioration du congé de reclassement dans les entreprises de plus de 50.


- La construction d’un droit au travail à temps plein, sur un bassin d’emplois, pour les salariés pouvant cumuler plusieurs temps partiels.


- Des droits attachés à la personne, transférables d’une entreprise à une autre pour tous les salariés (ancienneté, qualification, formation, prévoyance…) à négocier au niveau des branches.


- Une taxation de tous les CDD et des contrats d’intérim, à hauteur de ce qu’ils coûtent à l’assurance chômage.


- Un compte individuel de formation opposable à l’employeur et un renforcement des droits à la formation professionnelle qualifiante pour chaque salarié, quel que soit son parcours.

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 17:51

  Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino

« L’Exercice a été profitable, Monsieur »

 

« (…) chacun tend à la mort de l’autre »

(G. W. F. Hegel, La Phénoménologie de l'Esprit [1806-1807],

tome 1, traduction Jean Hyppolite, éd. Aubier Montaigne, 1941, p. 158-159)

 

« Nous comprenons maintenant pourquoi le Noir ne peut se complaire dans son insularité.

Pour lui il n’existe qu’une porte de sortie et elle donne sur le monde blanc »

(Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, éd. Seuil-coll. « points essais », 1952,p. 41)

 

« Cette vérité, nous l’avions sue, je crois, et nous l’avons oubliée :

les marques de la violence, nulle douceur ne les effacera : c’est la violence qui peut seule les détruire (…)

Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer (…) » (Jean-Paul Sartre,

préface à Les Damnés de la terre[1961] de Frantz Fanon,

éd. La Découverte-coll. « poche », 2002, p. 29)

 

« Autrement dit, il ne suffit pas de trouver de nouveaux termes par lesquels se définir en dehors de la tradition blanche dominante

– encore faut-il avancer d’un pas et priver les blancs du monopole qu’ils exercent sur la définition de leur tradition »

(Slavoj Zizek, Après la tragédie, la farce. Ou comment l'histoire se répète,

éd. Flammarion-coll. « La Bibliothèque des savoirs », 2010, p. 187-188)

 

 

1/ Cinéphilie postmoderne :

de la jouissance à la reconnaissance

http://ts3.mm.bing.net/th?id=H.4719259400013534&pid=15.1En 2007, le cinéaste japonais Takashi Miike réalise un long-métrage intitulé Sukiyaki Western Django envisagé comme le remake version manga pop de Django, ce western italien réalisé en 1966 par Sergio Corbucci avec Franco Nero dans le rôle principal. Le personnage de Ringo dans le film de Takashi Miike était alors interprété par Quentin Tarantino lui-même, prouvant qu’il n'avait toujours pas cédé sur le plaisir du jeu (il faut l'entendre dans le film de Takashi Miike mimer en anglais l'accent japonais !). Et ce malgré toutes les critiques reçues concernant sa manière de jouer la comédie. Dans la plupart de ses propres films (y compris son tout premier essai inachevé intitulé My Best Friend's Birthday en 1987 dans lequel il tenait le rôle principal). Dans ceux de son complice Roberto Rodriguez (Desperado en 1995, From Dusk Till Dawn en 1996, Planet Terror en 2007), comme dans les films d'autres réalisateurs (entre autres Somebody To Love d'Alexandre Rockwell en 1994, Girl 6 de Spike Lee en 1996 ou Diary Of The Dead de George A. Romero en 2008). Surtout, ce rôle secondaire manifestait de la manière la plus explicite son désir d’inscrire un futur long-métrage (qui sera Django Unchained) dans le registre, habituel chez lui, de l'hommage révérencieux et cinéphile (c'est déjà l'affiche inspirée de celles conçues par Saul Bass pour les films d'Otto Preminger à partir du milieu des années 1950 jusqu'au milieu des années 1960). Un hommage cette fois-ci logiquement consacré au genre westernien dans sa variante italienne et déjà amplement entrepris à l'occasion de son précédent film, Inglourious Basterds (2009). On se rappelle déjà que, suite au prologue consacré à la constitution de l'équipe des « bâtards » menée par le lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt), la première séquence de Inglourious Basterds prenait appui, avec sa durée étirée, ses longues focales et sa musique opératique, sur la célèbre ouverture du film Le Bon, la brute et le truand (1966) de Sergio Leone. Alors même que le genre visé par Inglourious Basterds était celui du film de guerre, précisément du sous-genre du film de commando exemplairement représenté par The Dirty Dozen (1968) de Robert Aldrich. La présence symbolique dans Django Unchained de Franco Nero, l'acteur de Django (son tout premier rôle), de Keoma (1976) d’Enzo G. Castellari comme de Django 2 (1987) de Nello Rossati (la suite du film de Sergio Corbucci), réitère le principe tarantinien bien connu de la citation faite corps. Et c’est Enzo G. Castellari, l'auteur de The Inglorious Basterds (1978) démarqué de The Dirty Dozen, que l’on reconnaîtra d’ailleurs dans Inglourious Basterds sous la défroque d'un officier nazi. Ou de la citation faite nom, et c’est celui d'AntonioMargheriti, servant de camouflage à l'un des « bâtards » du film de Quentin Tarantino, et qui était l'auteur en 1968 du western intitulé Avec Django, la mort est là (un film qui, surfant sur la vague du succès du film de Sergio Corbucci, n'entretient par ailleurs aucun rapport diégétique avec celui-ci). Ce sont encore toutes les musiques écrites par le compositeur emblématique Ennio Morricone et qui, utilisées entre autres dans les deux derniers films de Quentin Tarantino, proviennent de cette frange longtemps méprisée du cinéma italien populaire qui s'est pourtant ingénié à vérifier héroïquement à partir de ses particularismes culturels le caractère universel ou générique du western, la grande invention cinématographique des États-Unis.

http://t0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcTiWtKg8bKYQU3VLrgq4r0tnYPZuT-ft9BPJWikSoAztgPcTjRqJIgZIZDfNwCe souci quasi-anxieux, maniaque et obsessionnel de relever sur le mode de la consécration la référence au cinéma bis ou d'exploitation, s'il a été frontalement exprimé avec le diptyque Grindhouse réalisé en compagnie de Roberto Rodriguez (Planet Terror pour lui et Death Proof pour Quentin Tarantino), ne représente peut-être pas la part la plus passionnante du cinéma pratiqué par Quentin Tarantino depuis son véritable premier long-métrage en 1992, Reservoir Dogs. Les multiples hommages extrêmement référencés que le cinéaste a mis savamment en scène au bénéfice du film noir (Reservoir Dogs) et de la littérature « pulp » (Pulp Fiction en 1994), de la « blaxploitation » (Jackie Brown en 1997) et du film de kung-fu (Kill Bill volumes 1 et 2 en 2003 et 2004, dont la bande sonore citait déjà sept compositions d’Ennio Morricone) consistent en des feux d'artifice spectaculaires qui possèdent indéniablement une double valeur, en termes de jouissance et de reconnaissance. L'excitation ludique et postmoderne du savoir du spectateur (la jouissance) ne se comprenant qu'en relation dialectique avec une entreprise de légitimation (la reconnaissance) qui fonctionne de manière récursive puisque la citation consacre le cinéaste consacrant les auteurs qu'il cite. Réciprocité structurelle donc, de la jouissance du spectateur qui est la marque de sa reconnaissance en tant qu'individu malin et cultivé et de la reconnaissance du cinéaste qui jouit, en faisant reconnaître ses multiples inspirations, de se faire reconnaître lui-même par leur biais. Mais, une fois la jouissance (du spectateur) satisfaite et la reconnaissance (du réalisateur) atteinte, il ne resterait dès lors plus grand chose à voir ou à attendre, tant chaque film de Quentin Tarantino semblerait systématiquement se contenter de répondre à la double exigence (en termes de jouissance et de reconnaissance) d'une programmation référentielle dont le ludisme explosif et frénétique représenterait l'horizon ultime – la fin comme borne au-delà de laquelle rien d'autre n'existerait : l'horizon comme une impasse. En dehors de cette idée, maniériste et un peu épuisée, d'un cinéma d'aujourd'hui reluquant le cinéma d'hier pour se faire admirer et revenant vers les recettes d'hier afin d’en resservir les plats actualisés, aucune place dévolue au réel ne paraît dès lors plus devoir subsister. C'est bien pourquoi d’ailleurs les procès successifs concernant les déchaînements de violence dont les films de Quentin Tarantino sont régulièrement zébrés tombent toujours un peu à plat. Ratant systématiquement leur cible, ils ne saisissent rien du caractère hyperbolique d'une violence dont la représentation pop est assénée avec suffisamment d'artifice et d'exagération (ce sont encore les poches d’hémoglobine éclatant dans Django Unchained comme des citrouilles remplies de jus de tomate) pour réussir à sauter au-dessus de la bêtise pulsionnelle. Et ce, au nom de la puissance ludique et cathartique propre à une vraisemblance relative et, comme telle, normalement jamais identifiable au réel brut de la violence. Sauf que...

 

2/ Au-delà du principe du plaisir citationnel et narratif-déconstructif :

le goût néoclassique de l’histoire

http://ts3.mm.bing.net/th?id=H.4914753385857506&pid=15.1Le triple registre du collage de citations hétérogènes, de l'abolition des hiérarchies culturelles et de la déconstruction narrative (on ajoutera la décontraction langagière, frôlant la préciosité comme manière de distanciation), hérité de la modernité cinématographique des années 1960 (avec Jean-Luc Godard comme référence avouée, comme le prouve le nom de A Band Apart, la société de production montée par Quentin Tarantino après le succès de Reservoir Dogs), semblerait donc ne devoir nourrir aucune ambition esthétique radicale. A la grande différence, aussi, de l'auteur des Histoire(s) du cinéma (1988-1998) qui a refusé de prolonger le moment déconstructif et pop des années 1960 au nom d'une poétique mélancolique du cinéma comme art disjonctif rapporté à l'histoire. Rien de tel chez Quentin Tarantino, sinon l'affirmation quasi-autistique et démiurgique du principe de plaisir joyeusement préservé de tout rapport dialectique avec le principe de réalité. La preuve en deux films. D'abord avec le diptyque Kill Bill dont les deux « volumes » (pour reprendre la nomination choisie par le cinéaste) énonçaient le plus explicitement les principes de la compilation (play-list ou juke-box) commandant une narration entièrement soumise aux morceaux de bravoure ultra-référencés (exemplairement la séquence en anime produite par Mamoru Oshii, le réalisateur de Ghost In The Shell en 1995). Le premier volume jouait d’ailleurs tellement à fond la carte de la jouissance et de la reconnaissance citationnelles qu’il reléguait largement la question du récit, des personnages et de leurs relations dans le second volume, moins tape-à-l’œil et plus mélancolique. La preuve ensuite avec Inglourious Basterds qui proposait de voir dans sa fiction uchronique, au nom de laquelle la vengeance d'une jeune femme juive pendant l’occupation débouchait sur l'élimination du premier cercle de l'enfer hitlérien (dont Adolf Hitler lui-même), la valorisation allégorique des puissances (de déni fantasmatique) cinématographiques opposées à l'horrible entreprise nazie de subordination du cinéma aux seuls objectifs de la propagande antisémite. Tantôt s’affirme le pur plaisir de la mise en scène indexée sur la reconnaissance citationnelle d'augustes modèles cinématographiques avoués ; tantôt c'est le pur délire fictionnel propre au genre narratif de l'uchronie qui autorise le privilège jouissif d'un imaginaire du déni censé rédimer les horreurs réelles de l'histoire. Dans les deux cas, le réel, fondamentalement traumatique, est ce qui doit précisément être évité, à l'inverse donc de ce que Jean-Luc Godard a puissamment entrepris avec ses Histoire(s) du cinéma. Les pirouettes narratives et la déstructuration chronologique que celles-ci appellent ou le perspectivisme et la multiplicité des points de vue contradictoires sur le récit que celui-là induit ne manifesteraient, là encore, pas autre chose que l'assomption postmoderne d'un ludisme jouissif offert en réaction fantasmatique contre le réel par le démiurge cinéphile à ses spectateurs évidemment reconnaissants. Blasés, ceux-ci en savent toujours plus et, habitués par l'opérabilité compulsive multi-médiatique (longtemps préfigurée par le zapping télévisuel), apprécient qu’ils soient reconnus comme tels, jouissant des contournements et autres retournements (les switch), voire des transgressions perpétrées à l’encontre de la vieille linéarité diégétique. Ce n'est donc pas non plus de ce côté-là qu'il faudra apprécier à sa juste mesure le geste cinématographique de Quentin Tarantino, qui suscite pourtant l’intérêt et sait malgré tout remporter l'adhésion qu'en réussissant à aller au-delà de là où l’emmènent les petits jeux habituels de collage des références hétérogènes, de la confrontation superficielle des registres langagiers et de la fragmentation antilinéaire du récit auxquels ses films sont aussi trop souvent identifiés et réduits. En vérité, le cinéaste est un extraordinaire narrateur, probablement le meilleur conteur et dialoguiste du cinéma étasunien (avec les frères Joel et Ethan Coen), et qui envisage puissamment les mots comme des choses et les paroles comme des actes qui peuvent entretenir la violence, entraînant et intensifiant celle des uns ou bien différant et conjurant celle des autres. C'est que Quentin Tarantino, qui a réalisé un bien meilleur western avec Django Unchained que ne l'était le pourtant intéressant True Grit (2010) des Coen (malgré un goût commun, probablement hérité de Howard Hawks, pour les puissances performatives de la parole : cf. Des nouvelles du front cinématographique (49) : Howard Hawks et Joel & Ethan Coen), est un immense conteur, un des plus grands du cinéma contemporain. C’est qu’il est un passionnant raconteur d’histoires et créateur de personnages qui, accordant toujours plus de crédit à son goût du récit, s'affirme de moins en moins comme un petit malin postmoderne, et de plus en plus comme un auteur néo-classique pour qui le devenir des personnages doit l'emporter sur les jeux de références citationnelles, ainsi que sur les décisions arbitraires relatives à la pratique démiurgique de la chronologie chahutée, de la multiplicité éclatée des points de vue et de la narration déconstruite.

http://ts1.mm.bing.net/th?id=H.4839879227934348&pid=15.1C'était il y a quinze ans la mini-révolution déjà manifestée par Jackie Brown d'après Rum Punch (1992) d'Elmore Leonard (le seul film à ce jour de Quentin Tarantino à ne pas disposer d'un scénario original), ce troisième long-métrage décisif qui a su dominer la virtuosité référentielle et narrative tarantinienne, ainsi circonscrite à une seule séquence (celle du vol des 500.000 dollars) dont le perspectivisme littéralement désœuvré (trois points de vue dont l’emboîtement équivalait à un jeu à somme nulle) ne servait alors à rien. Un perspectivisme volontairement impuissant, laissant à la trajectoire d'émancipation individuelle de son héroïne afro-américaine (incarnée par Pam Grier, l'actrice des films de Jack Hill tels The Big Bird Cage en 1972, Coffy en 1973 et Foxy Brown en 1974) le soin de trouver le principe d'une dynamisation accomplie à partir de ses propres ressources lui permettant de doubler et le marchand d'armes Robbie Ordell pour qui elle travaillait et l'agent de l'ATF Ray Nicolette qui voulait mettre la main sur ce dernier. On verra alors en quoi le héros (afro-américain) de Django Unchained représente comme la version masculine de l'héroïne de Jackie Brown, et que cette proximité se comprend également sur le registre d'une grande tenue formelle et narrative, certes émaillée de quelques clins d’œil appuyés, de quelques zooms intempestifscoupant le vent comme des coups de kung-fu et de quelques flash-back saturés et superflus, mais surtout tendue par le rendu le plus exhaustif possible des processus d'individuation et de subjectivation vécus par le protagoniste. Les grandes coupures de Kill Bill (en deux films) et de Death Proof (en deux parties), comme s'il s'agissait de réinitialiser le récit en le refaisant partir de zéro, ou bien comme s’il s’agissait de le redémarrer pour le faire se recommencer ailleurs (mais le voir aussi finir par revenir à son point de départ), ont désormais laissé place à une structure feuilletonesque, certes en grands épisodes, mais respectant dans ses grandes lignes le vieux principe de la linéarité chronologique (comme dans les westerns de Sergio Leone en fin de compte). Des épisodes envisagés comme de longs moments ou de gros blocs diégétiques qui arrivent à faire croire en leur indépendance narrative et qui rythment et façonnent une trajectoire subjective dont la consistance éthique touche, enfin, au réel de la période historique à laquelle Django Unchained se réfère. Inglourious Basterds fonctionnait déjà de manière semblable, mais il disposait sa fiction sous la forme de chapitres distribués en deux lignes parallèles (la bande des « bâtards » d’Aldo Raine d'un côté et l’existence périlleuse de Shoshanna Dreyfus de l'autre) qui, d'alternées, finissaient par converger dans la grande séquence accueillant la vengeance fantasmatique des Juifs et du cinéma sur les nazis et leur machine de propagande militariste et antisémite. Django Unchained préfère pour sa part se concentrer sur son personnage éponyme (incarné par Jamie Foxx) trouvant dans la matière sociale-historique dont est faite son époque les moyens d’une lente maturation et transformation subjective. Soit un esclave du sud des États-Unis en 1858 (deux ans avant la guerre de sécession) qui va, de rencontre (le chasseur de primes King Schultz joué par Christoph Waltz de retour après sa magistrale interprétation du colonel SS Hans Landa dans Inglourious Basterds) en rencontre (le propriétaire terrien Calvin J. Candie interprété par Leonardo di Caprio et son majordome Stephen incarné par Samuel L. Jackson), progressivement s'émanciper de sa condition afin d’accéder au statut d'homme libre, et dont la liberté aura été nécessairement accouchée dans et par la violence. La violence comme accoucheuse de l’histoire selon Karl Marx et Friedrich Engels est aussi l’accoucheuse des êtres libres, libérés des rapports sociaux hérités d’une époque déjà dépassée du point de vue des émancipés. Et c'est la nécessité de la violence objective comme principe subjectif d'émancipation qui permet, pour la première fois de manière conséquente chez Quentin Tarantino, de justifier le motif récurrent et archaïsant de la vengeance trop souvent réduite à la jouissive punition des méchants (le psychopathe Stuntman Mike dans Death Proof ou les nazis dans Inglourious Basterds). Que le récit violent de cette nécessaire émancipation s'inscrive dans un désir de cinéma lui-même nécessairement émancipé de la plupart des tics, trucs, tropes et réflexes propres à l'esthétique tarantinienne ne représente pas, comme on va s'en apercevoir, la moindre des réussites d'un film (peut-être le meilleur à ce jour de son auteur) qui, en plus, arrive enfin à avoir le courage de se coltiner avec le réel historique conditionnant ou surdéterminant sa diégèse. Alors, s’il fallait en passer par le dynamitage symbolique de la personne du cinéaste (dans un rôle secondaire de convoyeur d’esclave réduit en poussière par Django activant l’explosion des bâtons de dynamite en sa possession) pour prendre acte d’une émancipation qui se comprend triplement (d’un personnage par rapport à son narrateur, d’un acteur par rapport à son metteur en scène comme d’un Noir par rapport à un Blanc), le film assumera d'en passer joyeusement par là, faisant de ce gag plus qu'une simple potacherie occasionnelle (comme lorsqu'il tenait dans Pulp Fiction le petit rôle du voisin raciste Jimmie Dimmick). Et cela au nom d’une articulation esthétique des registres que l’on rapportera ici au modèle heuristique de la triade lacanienne dans la congruence structurale du symbolique (la fiction hollywoodienne), de l’imaginaire (l’histoire nationale étasunienne et l’importance que l’esclavage y a exercé) et du réel (la différence post-esclavagiste des races sociales logée dans les corps respectifs de Quentin Tarantino et de Jamie Foxx, héritiers à leurs corps défendant d’une histoire commune dont les contradictions sédimentées structurent toujours leur présent, à l'heure de la toute récente réélection de Barack Obama, le premier président afro-américain de l'histoire des États-Unis).

 

3/ Sophistique des identités simulées et vérité du socius incorporé :

le goût (logologique) du théâtre et l'os (ontologique) de l'habitus

http://ts3.mm.bing.net/th?id=H.4544806418908826&pid=15.1La jouissance et la reconnaissance habituelles relèvent alors moins, dans Django Unchained, des jeux décontractés de la citation et de la déconstruction que de l'expression subtile de ce qui, dans les mots (peu usités de King Schultz) et dans les corps (émaciés des esclaves), dans les bouches (aux dents gâtées par les bonbons comme celles de Calvin Candie) et sur les peaux (marquées par le fouet du système esclavagiste) détermine et structure les identités respectivement aliénées des dominants et des dominés. L’identité aliénée (au sens hégélien d'une conscience de soi dialectiquement dépendante d'une autre conscience de soi pour être reconnue) se manifeste d’emblée chez Quentin Tarantino par l’usage du mensonge comme acte de parole énonçant pour celui qui la profère une vérité fausse comme si elle était vraie pour celui à qui elle est destinée. A l’exemple paradigmatique du mensonge qui structure l'existence du gang de braqueurs de Reservoir Dogs dont la « convention collective » en termes de protection des identités individuelles consistait pour chacun à user de sobriquets insolites déclinant le spectre des couleurs (un truc repris d’ailleurs du film The Taking of Pelham One Two Three de Joseph Sargent en 1974). Ainsi, Mister White (Harvey Keitel) ignore l’identité réelle de Mister Blonde (Michael Madsen), comme de Mister Orange (Tim Roth), de Mister Pink (Steve Buscemi), de Mister Blue (Edward Bunker) et de Mister Brown (Quentin Tarantino, héritant d'ailleurs de la couleur censée qualifier la peau des Noirs), à l’instar de tous et réciproquement. Sauf que ce registre de la facticité nominative partagée, en plus d’expliciter un désir de cinéma bâti sur la réactualisation des archétypes du cinéma de genre bis, incluait la figure classique du traître (probablement héritée du cinéma de Samuel Fuller et de Martin Scorsese), puisque Mister Orange (et l'orange confinant au jaune symbolise la trahison syndicale) est en fait un policier infiltré dans le gang afin de le démanteler. L’identité nominative factice, si elle s’inscrit au départ dans une stratégie criminelle dont l’un des soucis est donc de préserver les réelles identités de ses membres occasionnels, se double d’une autre forme de facticité langagière, cachée comme telle par l’un des gangsters au nom de sa mission policière, et qui subvertit la première puisqu’elle fragilise la confiance des gangsters en renforçant d'autant plus leur paranoïa que le braquage du diamantaire (purement et simplement glissé dans l'intervalle d'une ellipse) foire brutalement. La révélation a posteriori de la folie pathologique de Mister Blonde d’une part et la confiance vraie accordée par Mister White à Mister Orange d’autre part représentent enfin deux moments privilégiés où le vrai (pathologique ou affectif) trouble le registre partagé du faux, lui-même dédoublé en faux (nominatif) à usage (collectif) criminel et en faux (langagier) à usage (individuel) policier. Toutes les séquences montrant le flic Freddy Newendyke joué par Tim Roth en train d’apprendre à investir son personnage de Mister Orange (aux côtés d'un coach afro-américain, ce qui anticipe déjà mais à l'envers les leçons de jeu du Blanc à destination du Noir dans Django Unchained), par exemple en se servant d’une anecdote racontée par l’un de ses collègues pour gagner la confiance du chef de la bande Joe Cabot, manifestent un goût du théâtre relayé par la centralité scénique du hangar vide où se cachent après coup les survivants du braquage raté. C’est d’ailleurs quasiment toute la durée de Reservoir Dogs qui s’y déroule, la narration en forme d’huis-clos du film étant entrecoupée de divers flashbacks interrompant de manière perspectiviste la linéarité chronologique du récit, un peu à la manière de The Killing (1956) de Stanley Kubrick.

http://ts2.mm.bing.net/th?id=H.4995726386528421&pid=15.1Ce sens de la théâtralité, parfaitement assumé par un cinéaste qui pourrait autant revendiquer le titre de feuilletoniste que celui de dramaturge, de conteur que de metteur en scène de théâtre, trouverait à se prolonger magistralement avec la séquence géniale (peut-être la plus intense de tout le cinéma tarantinien) de la taverne française La Louisiane de Inglourious Basterds. Dans celle-ci, les personnages aux identités cachées (en fait trois faux officiers allemands, un Anglais joué par Michael Fassbender et deux « bâtards » d’Aldo Raine) étaient contraints à jouer avec des soldats nazis au jeu dit de « l’Indien » avec ses cartes posées sur le front et présentant aux autres joueurs le nom de personnages connus, fictifs ou non, qu’il faut soi-même découvrir. Relevons en passant ces deux gags significatifs : la première figure à deviner est Winnetou, l'Indien repris par le romancier allemand Karl May des histoires de l'écrivain français Emile de Wogan dans des aventures de papier qui deviendront au début des années 1960 des films relevant d'une appropriation germanique du genre westernien ayant historiquement anticipé celle entreprise en Italie ; un nazi doit découvrir le personnage mentionné sur la carte posée sur son front qui n'est autre que King-Kong et dont il se demande en cours de partie s'il ne s'agit pas tout d'abord d'un esclave noir enchaîné. Dans les deux cas, le jeu de « l’Indien » induit la révélation d'une identité de fiction qui vient racialement troubler l'identité réelle de personnages intoxiqués par la fiction nazie de l'existence de la race aryenne. Le principe des devinettes nominatives, en radicalisant au carré le jeu langagier des actes de parole soutenant les identités simulées (ou performées en actes de paroles), venait alors accentuer l'idée hégélienne d'aliénation identitaire exigeant l'existence d'un autre que soi pour que soi-même soit reconnu pour ce qu'il est (ou ce qu'il veut faire croire qu'il est dans la poursuite de ses intérêts). La valse du vrai et du faux, autrement dit des identités nominatives (dans le cadre du jeu) et des identités simulées (dans le cadre de la mission), s’intensifiait jusqu’à toucher à l’os du réel, la trahison du mensonge révélé comme mensonge (dans une pointe d'accent ou un geste de la main) exprimant ainsi la vérité d'une impossible conciliation entre les nazis et ceux qui, faisant semblant d'en être, sont en fait leurs pire ennemis. L'os du réel, c'est-à-dire le massacre final (sous la forme d'un « mexican standoff » pour reprendre l’expression consacrée, comme à la fin de Reservoir Dogs), et explosant au terme d'une séquence qui avait commencé sous les auspices de To Be Or Not To Be (1942) d'Ernst Lubitsch pour se prolonger sous ceux de Hangmen Also Die (1943) de Fritz Lang à partir d'un scénario de Bertolt Brecht. Comme l'expression symptomatique d’une impossibilité de continuer pour la parole mensongère à entretenir le théâtre de la (dis)simulation en prolongeant encore longtemps le différé du vrai. La sophistique tarantinienne connaîtrait dès lors cette limite philosophique que la logomachie des personnages comme expression du règne de la logologie soit interrompue par l'affirmation intempestive d'une ontologie : l'inconscient culturel ou social compris comme socius inconsciemment incorporé ou comme habitus fait corps et gestes. La violence pulsionnelle sous la forme de décharges explosives indiquerait alors, dans la sphère agonistique de la rivalité interindividuelle habitée par ceux qui luttent pour la reconnaissance et la victoire de leurs intérêts propres, et de la manière la plus symptomatique qui soit, la suspension du faux et l'irruption corrélative du vrai. La violence relative à l'expression du vrai : preuve avec les croix gammées incisées à vif et au couteau par les « bâtards » sur le front des nazis à qui la vie est laissée afin de témoigner de leur avancée ; preuve avec la cicatrice sur la gorge de ce beau parleur qu'est Aldo Raine. La carte du faux tombant du front comme une peau morte, c’est alors le vrai de l’incision (de la croix gammée ou de l'égorgement) qui survient. A cette aune, on comprendra peut-être mieux pourquoi, dans Reservoir Dogs, Mister Blonde s’en prend à un policier capturé après le braquage raté, en s’attaquant en particulier à son oreille qu’il découpe à coup de rasoir. On comprendra pourquoi, également, les accents imités et les manières de signifier avec ses doigts un chiffre peuvent, dans Inglourious Basterds, littéralement tuer, trahissant ce que Pierre Bourdieu a appelé des habitus. Soit les habitudes sociales et culturelles incorporées ou l'histoire individuelle des socialisations faites corps et gestes, à l'instar de la manière anglaise de signifier le chiffre quatre qui se distingue de la manière continentale (« [...] l'habitus est le produit du travail d'inculcation et d'appropriation nécessaire pour que ces produits de l'histoire collective que sont les structures objectives (e. g. de la langue, de l'économie, etc.) parviennent à se reproduire, sous la forme de dispositions durables, dans tous les organismes (que l'on peut, si l'on veut, appeler individus) durablement soumis aux mêmes conditionnements, donc placés dans les mêmes conditions matérielles d'existences » in Esquisse d'une théorie de la pratique, éd. Seuil-coll. « point essais », 1972, p. 282). On comprendra enfin pourquoi, dans Django Unchained, King Schultz se fait passer pour un dentiste qui cache son butin dans la grosse dent creuse qui se balance au-dessus de sa carriole, usant par ailleurs du verbe français « parler » (intelligemment traduit en français par « aboucher ») pour troubler à coup de préciosité langagière des ennemis englués dans la viscosité de leur idiolecte. Oreille et dent, accent et posture : tout dans les corps et dans les bouches peut être symptôme d'une dialectique des identités aliénées, réelles et simulées ou performées, débouchant ultimement sur une vérité posturale d'un socius incorporé que le faux langagier ne saurait continuellement différer.

 

4/ « L'exercice a été profitable, Monsieur » :

la dialectique du maître esclavagiste et de son sujet esclavagé

http://ts1.mm.bing.net/th?id=H.4930404256319680&pid=15.1Le pragmatisme tarantinien se vérifierait donc à chaque fois que le simulacre langagier vient buter sur l'irrépressible et inconsciente manifestation des habitus, que le théâtre des mots joués se cogne sur les choses de la culture faite corps. Dans le même ordre d'idée (mais déclinée sur un mode mineur et rappelant lointainement la contestation des sobriquets par les gangsters de Reservoir Dogs), c'est le gag des sudistes qui, ayant revêtu les cagoules du KKK pour s'attaquer de nuit à King Schultz et Django, n'arrivent pas bien à voir à cause des trous pour les yeux mal faits, ce qui déclenche la colère de celui dont l'épouse a été chargée de les concevoir. Le mauvais théâtre du racisme sudiste vient ainsi buter sur la matérialité de sacs en toile mal troués et la remise en cause du travail gratuit des femmes appartenant au groupe en question. Au-delà de ce gag (pas vraiment gratuit), la redéfinition radicale des positions de pouvoir et des identités révélées dans leur caractère simulé s'inscrit dans une théâtralisation assumée des enjeux « rivalitaires » (René Girard) qui, dans le nouveau film de Quentin Tarantino se joue entre, d'une part, l’impossibilité de contenir pour les amoureux enfin retrouvés Broomhilda (Kerry Washington) et Django les échanges de regards trop longtemps désirés et, d'autre part, le refus pour King Schultz de serrer la main de Calvin Candie, l'ego du premier ayant été blessé par celui du second flatté d'avoir réussi à neutraliser l'escroquerie dont il allait être la victime. Les récurrentes visions fantasmatiques de Django, croyant voir à chaque coin de séquence sa belle dont il cherche la trace, ne représentent certes pas la meilleur part de Django Unchained. Il est même évident que le personnage féminin ne possède pas beaucoup de consistance, un peu sacrifiée par rapport au reste exclusivement masculin des personnages, cette relégation étant le seul vrai point faible du film. Pourtant, ces visions informent d'une puissance affective qui pèsera in fine sur l'importance des regards que les amoureux vont se lancer dans un lieu (le salon impérial d'inspiration romaine de Calvin Candie) où il est précisément impossible de manifester cet amour. Au risque de le dévoiler et de faire de ce dévoilement l'os qui contrariera la machination échafaudée par King Schultz pour sauver la compagne toujours esclavagée de son ami. Pendant ce temps, toujours aux aguets, le vieux majordome Stephen, exagérant sa « négritude » et simulant la claudication pour tromper la vigilance des ennemis de son maître Calvin Candie, dispose quant à lui du regard d'aigle qui saura saisir phénoménalement les signes exprimant cet amour, lui permettant de comprendre que cet amour-là trahit une mise en scène consistant en la promesse fallacieuse de l'achat de « Mandingues » (de « nègres » originaires d'Afrique de l'ouest dont la chair et les muscles sont bons pour les nouveaux jeux du cirque mortels auxquels se livre Calvin Candie se rêvant décidément Caligula sudiste), en fait un leurre cachant le rachat pour presque rien de la fiancée de Django. L'habitus du vieil esclave Stephen ayant fait siens les intérêts de son maître au point de l'autoriser à occuper la position hiérarchique enviable de chef des esclaves de la plantation est justement ce qui lui permet de reconnaître l'amour caché de deux esclaves. L'irrépressible manifestation de l'habituss'était auparavant manifestée chez King Schultz, ému par l'histoire de Django quand il reconnut dans le prénom de sa fiancée Broomhilda la mythique Brünhilde du cycle germanique des Niebelungen. De la même façon que l'émigré-immigré allemand est touché par le signe nominatif le rappelant à la nostalgie de la culture de son pays d'origine, le chasseur de primes individualiste qu'il est devenu en arrivant aux États-Unis et qui sait mobiliser toutes les ressources intellectuelles en sa disposition (sur le plan langagier autant que juridique)ne peut accepter de serrer la main de Calvin Candiequi a révélé au grand jour la mise en scène fomentée avec l'aide de Django afin de lui arracher son esclave Broomhilda. C'est un paradoxe scénaristique bouleversant dans Django Unchained : l'habitus qui, chez King Schultz, le pousse à outrepasser ses petits calculs utilitaristes (l'emploi de l'esclave Django afin d'échanger son aide dans la quête de trois « Wanted Men » contre la promesse de sa liberté) en proposant un partenariat inégal (Django devient à son tour chasseur de primes mais payé moins de la moitié des sommes totales récoltées) débouchant sur l'amitié (la quête de son coéquipier identifiée à celle du héros mythologique Siegfried devenant alors la sienne), est le même qui le pousse au refus de la poignée de mains. La prégnance de cette blessure narcissique (Calvin Candie aidé par Stephen ayant découvert la supercherie qu'il avait savamment mise en scène en compagnie de Django) est telle qu'elle va entraîner un nouveau « mexican standoff » au début duquel King Schultz tue Calvin Candie puis perd dans la foulée la vie. Les vies de Django et de Broomhilda risquent alors d'être anéanties par suite de l'impossible maîtrise de soi du seul ami du héros, regrettant juste avant d'être abattu son incapacité à contenir ou dépasser son honneur bafoué. La sauvegarde de l'honneur aura ainsi été plus impérieuse que celle de la vie – celle de King Schultz ainsi que celle, dès lors plus que compromise, de ses amis. Si l'os du socius compris comme habitus (les regards amoureux de Broomhilda et Django d'un côté et de l'autre la poignée de main refusée par King Schultz) est bien ce sur quoi butent les artifices langagiers, l'impossibilité de continuer à jouer le jeu théâtral du faux au nom de l'expression irrépressiblement corporelle du vrai n'induit pas pour autant l'arrêt définitif de la dialectique des identités réelles et simulées. Au contraire, l'explosion de la violence propose la radicale redéfinition des enjeux et des positions, la nouvelle situation obtenue étant dès lors susceptible de valoir comme synthèse provisoirement constituée et donc en attente (hégélienne) de la confrontation avec une nouvelle antithèse, une nouvelle négation dont résultera une autre synthèse en tant que « négation de la négation ».

http://ts2.mm.bing.net/th?id=H.4857389830636533&pid=15.1Si la référence culturelle à la mythologie des Niebelungen participe à nourrir l'amitié de King Schultz envers Django, elle instruit l'allégorisation de la trajectoire accomplie par ce dernier, frotté à un imaginaire culturel européen et germanique au sein duquel on reconnaîtra, entre autres choses, le roman Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (1795-1796) de Johann Wolfgang von Goethe (un ouvrage que Karl Morgenstern qualifiera en 1820 de « roman de formation » ou « Bildungsroman »). N'est-il d'ailleurs pas question de théâtre dans ce roman narrant comment le jeune Wilhelm Meister part à la découverte du monde en intégrant une troupe errante grâce à laquelle il va comprendre que la fiction littéraire et dramatique est un excellent moyen dialectique de concilier la sphère de l'idéal et le monde de la vie ? Après la mort de King Schultz, Django évite de justesse une séquence de torture mortelle. Surtout, il prouve qu'il a retenu les leçons de son compagnon en jouant du verbe avec une telle intelligence qu'il arrive à se défaire des convoyeurs (parmi lesquels, comme on l'a vu, Quentin Tarantino lui-même) qui étaient payés pour l'emmener finir sa vie au fond d'une mine. Il pourra dès lors et souverainement revenir venger son ami décédé (ainsi que l'esclave D'Artagnan dont on va bientôt parler), et réussir à définitivement délivrer sa fiancée des chaînes de l'esclavage. « L'exercice a été profitable, Monsieur » aurait pu souffler au cadavre retrouvé de son ami l'homme qui s'est inspiré de lui comme d'un maître en aisance langagière afin de s'émanciper de ses maîtres esclavagistes. Et ce d'autant plus que cette phrase, prononcée par le jeune héros de Moonfleet (1954) de Fritz Lang d’après le roman éponyme de John Meade Falkner (équivalent paradigmatique, dans l'art du cinéma, du « Bildungsroman » en littérature), est devenue le viatique de toute la cinéphilie depuis qu'elle a été utilisée comme titre de l'ouvrage posthume du critique Serge Daney publié en 1993 par les éditions P.O.L. Il y aurait donc les maîtres qui nous sont imposés dans la logique subie de la domination et les maîtres qui s'imposent et que l'on se donne dans celle, désirée, de l'émancipation. Mais, dans les deux types de maîtrise (celle qui augmente comme celle qui diminue sa puissance d'être), des leçons de choses sont toujours susceptibles d'être tirées. Et c'est toute l'émouvante intelligence du cinéphile Quentin Tarantino que de proposer avec Django Unchained la mise en regard productive de la reconnaissance d'un cinéaste envers les maîtres cinématographiques qui l'ont autorisé à s'écarter des chaînes de la servilité académique et de la reconnaissance d'un personnage envers ceux dont il aura croisé sa route et qui l'auront aidé à se libérer des chaînes de la servitude esclavagiste. Cette dialectique de la maîtrise et de la servitude conceptualisée par G. W. F. Hegel (cf. Des nouvelles du front cinématographique (75) : Des femmes et de la modernité au cinéma), un philosophe qui fut par ailleurs le contemporain de Goethe, est aussi ce qui se reconnaît et s'hérite dans l'allégorisation de la trajectoire de Django via la référence germanique au mythique Siegfried et au cycle des Niebelungen. « Se présenter soi-même comme pure abstraction de la conscience de soi consiste à se montrer comme pure négation de sa manière d’être objective, ou consiste à montrer qu’on n’est attaché à aucun être-là déterminé, pas plus qu’à la singularité universelle de l’être-là en général, à montrer qu’on n’est pas attaché à la vie. Cette présentation est la double opération : opération de l’autre et opération par soi-même. En tant qu’elle est opération de l’autre, chacun tend à la mort de l’autre. Mais en cela est aussi présente la seconde opération, l’opération sur soi et par soi ; car la première opération implique le risque de sa propre vie. Le comportement des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sorte qu’elles se prouvent elles-mêmes et l’une à l’autre au moyen de la lutte pour la vie et la mort », ainsi que l'écrit Hegel dans la langue difficile de La Phénoménologie de l’Esprit écrite entre 1806-1807 (tome 1, traduction Jean Hyppolite, éd. Aubier Montaigne, 1941, p. 158-159). Traduisons dans le contexte de notre analyse du film de Quentin Tarantino. « Se présenter comme pure abstraction de la conscience de soi (…) comme pure négation de sa manière d'être objective » signifie que Django, aidé par les bons conseils de King Schultz, a dû revêtir provisoirement les oripeaux détestables (pour lui et pour ses pairs de l'économie esclavagiste) du négrier afin d'approcher Calvin Candie et le convaincre qu'il est ce qu'il est alors qu'il est autre que ce qu'il paraît être. « (…) montrer qu'on n'est pas attaché à la vie » se déduira alors, dans une des séquences les plus moralement courageuses du film, du fait que Django n'encouragera même pas King Schultz (il le découragerait plutôt) dans le rachat de l'esclave D'Artagnan, pauvre « Mandingue » fuyant sa condition et rattrapé par les chiens de Calvin Candie. La mort par dévoration du vieil esclave étant assumé par celui dont l'éthique secrète lui commande fermement de refuser le soulagement de sa conscience (qui le trahirait) au sujet d'un meurtre programmé dont la responsabilité relève directement du pouvoir répressif du maître esclavagiste. Au risque encouru d'apparaître aux yeux des autres esclaves présents comme le traître obéissant à la cause de l'oppression esclavagiste. « Cette présentation est la double opération : opération de l’autre et opération par soi-même. En tant qu’elle est opération de l’autre, chacun tend à la mort de l’autre. Mais en cela est aussi présente la seconde opération, l’opération sur soi et par soi ; car la première opération implique le risque de sa propre vie » : Django, en risquant sa propre vie pour s'émanciper et émanciper celle qu'il aime, risque de se faire détester à mort par ceux-là même partageant la condition qui fut la sienne et qui continue à l'être pour celle qu'il aime. Se présenter comme une pure abstraction, une pure négation induit bien « le risque de sa propre vie » afin faire de sa conviction en soi le moyen d'emporter la conviction des autres que soi-même, maîtres comme esclaves. Et le fait que « chacun [tende] à la mort de l'autre » n'exprimerait alors pas autre chose que l'idée, essentielle, selon laquelle la mort du maître esclavagiste donnée par le serviteur esclavagé n'est rien moins que nécessaire.

5/ Hegel et Haïti dans un « western-spaghetti »

http://ts3.mm.bing.net/th?id=H.4899901404742426&pid=15.1« Le comportement des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sorte qu’elles se prouvent elles-mêmes et l’une à l’autre au moyen de la lutte pour la vie et la mort ». D'où le privilège accordé dans la démonstration hégélienne à la figure de l'esclave, l'inactivité de la figure complémentaire et antagoniste du maître étant comprise en relation dialectique avec le travail exécuté dans la contrainte de l’esclave. Car l’esclave représente la principale force motrice dans le travail de la négation de l’Être. Certes, la brutalité du maître s'enracine dans l’existence subordonnée de l’esclave travaillant, par crainte de sa mort, au bénéfice du maître qui pourrait décider de lui ôter la vie, à l'instar de ce que fit Calvin Candie pour D'Artagnan. Mais l’esclave est actif, jouissant d'une relation directe à l’Être. Une relation de l’esclave à l’Être qui est une relation elle aussi dialectique, l’Être étant nié pour être transformé par le travail contraint de l’esclave sous la forme de biens et de marchandises. Affirmant en conséquence que l’esclave aiguillonné par la crainte de la mort devient l’agent de la transformation et de la révolution historique, Hegel conclut alors que l’historicité de l’existence humaine est intrinsèquement liée à la question de la violence. Un monde entièrement pacifique ou apaisé offre une représentation consensuelle en contradiction avec la vision dialectique et agonistique de l'historicité exprimée par Hegel et dont héritera Karl Marx (en renversant dialectiquement l'idéalisme hégélien des consciences de soi en lutte en matérialisme de la luttes de classes), l’existence humaine n'étant du coup pleinement saisissable qu'en termes de lutte à mort pour la reconnaissance de soi et de ses intérêts (de classes aurait ainsi ajouté Marx).« règne la violence, il n'est de recours qu'en la violence ; où se trouvent les hommes, seuls les hommes peuvent porter secours » écrivait Bertolt Brecht dans Sainte Jeanne des Abattoirs (1929-1932). Ou, dit autrement : « Seule la violence aide, où la violence règne » pour reprendre le titre secondaire (inspiré de la phrase de Brecht) du premier long-métrage Nicht Versöhnt (1965) de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (cf. Des nouvelles du front cinématographique (41) : Straub, encore et toujours). Alors, nul besoin de message politique, nulle nécessité didactique, nulle obligation à l'énonciation littérale d'une prise de conscience individuelle puis collective, la manifestation de la violence s'affirmant, en situation d'oppression et d'exploitation, comme pédagogie émancipatrice appelant la répétition, l'émulation et l'imitativité : ainsi, quand Django se libère à la fin du film des convoyeurs d'esclaves, il n'a certes aucun mot à adresser à ses pairs en esclavage mais il laisse ouverte la cage à ses autres occupants. Et ces derniers en souriant montrent qu'ils ont pourtant parfaitement compris ce qu'il leur restait à faire. A l'opposé du récit uchronique de la vengeance fantasmatique de la juive et cinéphile Shoshanna Dreyfus offert de manière quasi-compensatoire par Inglourious Basterds, Django Unchained propose plus subtilement de vérifier l'actualité du modèle hégélien de la dialectique du maître et de l'esclave par rapport à la question de la domination raciste telle qu'elle a façonné l'histoire étasunienne via l'économie esclavagiste. Du coup, il y a un grand intérêt heuristique à rapprocher la proposition cinématographique de Quentin Tarantino de l'ouvrage de la philosophe Susan Buck-Morss qui, intitulé Hegel & Haiti (éd. Léo Scheer-coll. « Lignes », 2006 [2000 pour l'édition originale]), interroge le paradoxe selon lequel le programme émancipateur de la philosophie des Lumières n'a pas su inclure la rupture avec le système esclavagiste dont la France alors bénéficiait, l'idéalisme des Lumières venant alors buter sur l'os des intérêts matériels de l’État français. Ce faisant, Susan Buck-Morss demande de réfléchir à l'élaboration par Hegel du passage de la dialectique du maître et de l’esclave dans La Phénoménologie de l'esprit afin de savoir s'iltémoigne d'une cécité cohérente avec les contradictions de l’époque ou bien s'il représente a contrario une tentative de critique de cette situation contradictoire. « Hegel écrivit ainsi son texte à l'encre, invisible, de la réalité historique contemporaine » (opus cité, p. 50) postule la philosophe qui émet l’hypothèse selon laquelle Hegel aurait réussi à vectoriser son discours philosophique en le faisant passer du stade de l'abstraction spéculative à celui, concret, d'une opposition dialectique directement issue du réel social-historique. De ce point de vue circonstancié, Hegel aurait alors véritablement permis de rendre le rationnel réel (op. cit., p. 65), ainsi que le préconisait idéalement son geste philosophique (par exemple dans la préface des Principes de la philosophie du droit en 1820). La Révolution haïtienne « "entra dans l'histoire avec cette singulière particularité d'être impensable lors même qu'elle eut lieu" » (Susan Buck-Morss citant l'anthropologue haïtien Michel-Rolph Trouillot, ibidem, p. 48). Cet « événement remarquable » (ibid., p. 49) de l'histoire mondiale n'a certes pas empêché le philosophe allemand, comme en témoigne sa période berlinoise, de revenir vers un conservatisme de pensée justifiant (par exemple dans les Principes de la philosophie du droitdans lesquels Karl Marx y voyait « la misérable arrogance du fonctionnarisme prussien » et surtout dans ses Leçons sur la philosophie de l'histoire données entre 1822 et 1830) la promotion du discours eurocentriste en harmonie avec la progressive substitution impérialiste du vieillissant modèle économique de type esclavagiste par le nouveau modèle économique de type colonialiste. Le racisme culturaliste persistant de Hegel n'aura pourtant pas eu, selon Susan Buck-Morss, entièrement raison d'un moment « où la dialectique de la reconnaissance devient la thématique de l'histoire mondiale, le récit de la réalisation universelle de la liberté » (ibid., p. 64). 

http://ts1.mm.bing.net/th?id=H.4716261485708792&pid=15.1Slavoj Zizek s'appuie à son tour sur l'analyse de Susan Buck-Morss pour affirmer que la Révolution française a été révélée dans son caractère universel seulement à partir du moment où elle a été répétée, ni comme tragédie et ni comme farce, par la révolte des esclaves de la colonie française de Saint-Domingue aboutissant sur la proclamation de la République d'Haïti en 1804 : « Le jour où, en écho à la Révolution française, les esclaves noirs d’Haïti se révoltèrent au nom des mêmes principes de liberté, d’égalité et de fraternité, ce fut "l’épreuve, le baptême du feu pour les idéaux des Lumières françaises" » (in Après la tragédie, la farce ! Ou comment l'histoire se répète, éd. Flammarion-coll. « Bibliothèque des savoirs », 2010 [2009 pour l’édition originale], p. 174). Il y aurait alors matière à dédoubler la dialectique du maître et de l'esclave, en identifiant deux manières pour l'esclave d'imiter le maître. Ou bien l'esclave imite le maître afin de s'identifier à son pouvoir et d'en bénéficier pour son propre compte : et c'est l'option choisie par Stephen qui finit par devenir dialectiquement le maître de son maître (comme le singe au-dessus de son épaule), la révélation de la supercherie de King Schultz et de Django prouvant qu'il est devenu indispensable à la maîtrise et la clairvoyance de Calvin Candie. Ou bien l'esclave imite le maître afin de s'inspirer de ses manières de faire (d'agir et de parler, de tirer au pistolet comme d'argumenter), de telle sorte que la violence du maître lui soit retournée par l'esclave même qui aurait dans ce registre tout appris de ce dernier : et c'est l'option privilégiée par Django, qui aura suffisamment appris d'un maître progressivement aimé (King Schultz), tellement habile dans l'art de s'avancer masqué et de dégainer le premier qu'il fallait imiter cette aisance langagière afin de réussir à s'émanciper et émanciper celle qu'il aime des maîtres détestés de l'économie esclavagiste, esclaves ralliés à leur cause inclus à l'image de Stephen. « Les ex-esclaves d’Haïti prirent les slogans révolutionnaires français plus à la lettre que les Français eux-mêmes : ils ignoraient toutes les restrictions implicites qui abondaient dans l’idéologie des Lumières (liberté – mais uniquement pour les sujets "adultes" dotés de raison, non pour les barbares sauvages et immatures qui allaient devoir suivre un long traitement éducatif avant de mériter la liberté et l’égalité…). Cela donna lieu à de sublimes moments "communistes", comme la fois où la soldatesque française (dépêchée par Napoléon pour mater la rébellion et rétablir l’esclavage) parvint à proximité de l’armée noire des esclaves (auto)libérés. Lorsqu’ils entendirent un murmure initialement indistinct s’élever de la foule noire, les soldats supposèrent d’abord que ce devait être là quelque chant de guerre tribal ; mais, en s’approchant, ils comprirent que les Haïtiens entonnaient La Marseillaise, et ils commencèrent à se demander tout haut s’ils ne combattaient pas du mauvais côté » (Slavoj Zizek, op. cit., p. 174-175). Et ce n'est vraiment pas la moindre des qualités de Django Unchained que d'autoriser à reconnaître ici, au cœur de sa fiction historiquement située, et dans un court-circuit que Walter Benjamin aurait décrit comme une « image dialectique », l'exemple immortel et générique de l'insurrection des esclaves d'Haïti. Comme, et c'est une autre « image dialectique », le petit cours rapide de phrénologie proposé par Calvin Candie à ses invités, expliquant que la raison de l'impuissance des Noirs réside à l'intérieur de leur crâne, ne peut pas ne pas se comprendre en relation dialectique avec le racisme négrophobe affiché par Goebbels dans Inglourious Basterds. C'est bel et bien un même imaginaire commun (le racisme biologique, déjà critiqué par Hegel dans sa ) qui relie par-delà les différences historiques le propriétaire sudiste et le ministre de la propagande nazi. Un

imaginaire légitimé par les sciences de l'époque (Michel Foucault aurait parlé, avec son ouvrageo Les Mots et les choses en 1966, d'« épistémè ») et matériellement soutenu par le système esclavagiste jusqu'au 19ème (cf. Des nouvelles du front cinématographique (23) : White Material de Claire Denis), avant que le colonialisme ne prenne le relais pendant un siècle, ses effets continuant à s'exercer (par hystérésis postcoloniale) encore aujourd'hui (cf. Des nouvelles du front cinématographique (37) : Vénus noire d'Abdellatif Kechiche).

http://ts3.mm.bing.net/th?id=H.4689727179064362&pid=15.1« Autrement dit, comment résister à la tentation de se définir soi-même en référence à quelque identité mythique et totalement extérieure ("les racines africaines"), laquelle, en coupant les liens avec la culture "blanche", prive du même coup l’opprimé d’un jeu d’outils intellectuels déterminant pour son combat (à savoir la tradition égalitaro-émancipatrice) aussi bien que d’alliés potentiels » explique encore Slavoj Zizek (ibid., p. 187). On touche peut-être là à l'os du différend largement médiatisé existant entre Quentin Tarantino et Spike Lee. Ce dernier avait déjà amplement critiqué le premier par son utilisation abusive de l'insulte « nigger » répétée 38 fois dans Jackie Brown, alors même que les personnages qui l'utilisent dans le film sont en majeure partie des Afro-américains (en particulier le machiavélique Ordell Robbie génialement interprété par Samuel Jackson) qui, en situation d'interlocution réelle, useraient tout autant de la même insulte dans un cadre d'interactions langagières compréhensible à partir de ce que le sociologue Ervin Goffman aurait appelé le « retournement du stigmate » (cf. Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, éd. Minuit, 1975 [1963 pour l'édition originale]). Aujourd'hui, Spike Lee renouvelle sa critique (le terme est répétée cette fois-ci 110 fois), en étendant surtout le registre de la polémique au fait, comme il l'écrivit lui-même dans un tweet, que « l'esclavage aux États-Unis n’est pas un western spaghetti à la Sergio Leone. C’était un Holocauste. Mes ancêtres étaient esclaves. Volés à l’Afrique. Je les honorerai ». Ce n'est pas la première fois que Spike Lee critique les manières de représenter dans les films hollywoodiens les populations issues de l'ignoble commerce des esclaves africains, tombant notamment sur Flags Of Our Fathers (2006) de Clint Eastwood qui aurait selon lui minoré l'importance, pendant la guerre du Pacifique, des soldats afro-américains lors de la conquête de l'île japonaise d'Iwo Jima en mars 1945 (ce qui peut d'ailleurs expliquer pourquoi Spike Lee a voulu rectifier sur ce sujet précis le tir en réalisant Miracle At St. Anna en 2008, un film hélas jamais distribué en France portant sur la campagne d'Italie pendant la seconde guerre mondiale vue du point de vue de ces soldats afro-américains appelés les « Buffalo Soldiers »). On peut légitimement se demander si un réalisateur n'a pas autre chose à faire qu'à réduire la vigilance critique au rôle de censeur de la représentation cinématographique (à partir d'une position éthique semblable à celle régulièrement occupée par Claude Lanzmann, qui avait par ailleurs et paradoxalement aimé Inglourious Basterds alors même que le film dérogeait sans vergogne à la réalité historique de la seconde guerre mondiale). Ceci ne devant pas non plus empêcher Spike Lee d'insister avec raison sur les réflexes racistes qui ont tellement prévalu sur la production hollywoodienne qu'ils peuvent encore persister. Sauf que, du point de vue de l'émancipation telle que Django Unchained en pose frontalement la question (à la fois dans son caractère situé comme dans sa visée potentiellement universelle), le problème relèverait moins de la désinvolture stylistique du film de Quentin Tarantino qu'il appartiendrait au registre de la promotion morale, adossée au respect des victimes de l'histoire, des bonnes et des mauvaises manières de représenter l'histoire de l'esclavagisme étasunien (le « western-spaghetti » étant alors ici identifié du côté des mauvaises façons de faire). Le fait que, dans Django Unchained, la reprise de la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave s'effectue en miroir d'un moment historique (l'esclavagisme étasunien) qui a largement informé la question raciale et raciste aux États-Unis comme elle s'effectue en regard de la variante italienne du western (considérée comme « bâtarde » et méprisée du point de vue étasunien qui, à l'époque des « westerns-spaghettis », pouvait se permettre d'êtrevaguement racisant), variante elle-même infusée de références culturelles allemandes inattendues et prestigieuses, vaut sur le plan politique pour l'affirmation « transgénérique » (Marie-José Mondzain) d'une bâtardise volontaire au nom de laquelle déduire de l'hybridation des citations hétérogènes le plus réjouissant des antiracismes. Et c'est bien pourquoi, en toute logique, les conservateurs aux États-Unis détestent le film de Quentin Tarantino qui raconte comment un Noir a tout à apprendre des Blancs (dans l'usage des mots comme d'une arme et des armes comme d'arguments d'autorité pour faire avancer une cause individuelle suffisamment exemplaire pour appeler l'imitation collective) afin de se défaire des Blancs perpétuant une oppression individuelle inséparable de son caractère collectif. Au terme d'un récit configuré par la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, Django use aussi bien des mots que King Schultz lui a appris à le faire, alors qu'au début du film, ravagé par la douleur du fouet et la honte du stigmate, il ne savait pas lire. Et, aussi bien sapé que Calvin Candie (il lui a même volé ses propres vêtements), le héros manifeste à la toute fin du film une fierté d'être dont le rayonnement ne s'arrête pas au charisme d'un seul individu fanfaronnant de savoir faire accomplir à son cheval quelques pas de danse (quand, au début du film, le fait seulement pour un Noir de monter un cheval apparaissait comme un écart insupportable aux Blancs). Car cette fierté d'être, rompant avec la peur et la honte ravageant tous les esclaves croisés en chemin, aura aussi été parfaitement identifiée par Stephen, avant que Django ne le contraigne à coups de pistolet à passer du stade du simulacre (ses faux boitements) à celui de la réalité (ses genoux sont brisés). « Tu ne pourras pas tuer tous les Blancs de la Terre » dit, en substance et avant de mourir dans l'explosion de la plantation, le représentant accompli (à nouveau extraordinairement incarné par un Samuel Jackson méconnaissable) de la servilité, reconnaissant ainsi dans la trajectoire particulière de Django la « singularité universelle » d'une émancipation générique, valable pour tous, et dont le cheminement dialectique ne pouvait pas ne pas ignorer devoir emprunter des éléments (l'usage des mots comme des armes et des armes comme des mots) issus du monde des dominants. « On devrait donc légèrement corriger le propos de Carmichael [Stokely Carmichael, auteur en 1967 avec Charles V. Hamilton de l'ouvrage Le Black Power. Pour une politique de libération aux États-Unis, éd. Payot & Rivages-coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2009] : ce que les oppresseurs craignent vraiment n’est pas quelque autodéfinition totalement mythique sans lien aucun avec la culture blanche, mais une autodéfinition qui, en s’appropriant certains éléments clés de la tradition égalitaro-émancipatrice "blanche", redéfinit cette même tradition, la transformant non tant dans ce qu’elle dit que dans ce qu’elle tait – oblitérant ainsi les restrictions implicites qui ont de facto exclu les Noirs de l’espace égalitaire. Autrement dit, il ne suffit pas de trouver de nouveaux termes par lesquels se définir en dehors de la tradition blanche dominante – encore faut-il avancer d’un pas et priver les blancs du monopole qu’ils exercent sur la définition de leur tradition » (Slavoj Zizek, ibid., p. 187-188). L'hommage aux ancêtres de Spike Lee ne devrait, à ce titre, vraiment pas autoriser sa cécité volontaire, par exemple devant ce plan de Django Unchained si simple et si éloquent montrant une giclée de sang arrosant des pousses de coton. Devant surtout l'efficace stratégique et pratique, théorique et pratique (comme on l'a vu avec l'exemple haïtien), d'une pareille dialectique s'agissant de celle de l'émancipation générique.

6/ Dialectiques des peaux et des masques blancs et noirs

http://ts4.mm.bing.net/th?id=H.4515093838955307&pid=15.1Au cours de son apprentissage (notamment dans l'usage des armes à feu), Django s'exerce au tir en visant un bonhomme de neige. On aurait tort d'y voir seulement le symptôme persistant de la « coolitude » d'un réalisateur décontracté qui s'amuse comme un gosse des codes de la représentation cinématographique en sachant comment séduire en un éclair ses spectateurs blasés. Parce que ce bonhomme de neige symbolise tout autant le monde blanc que le héros devra combattre de plus en plus frontalement, tout autant que cette fragile et ironique construction de glace annonce la figure plus obscure de Stephen, le Noir qui simule et exagère la négritude afin d'endormir les ennemis, noirs ou blancs, de son maître blanc, Calvin Candie. Stephen est ce Noir à la peau noire qui joue du masque de sa négritude au bénéfice du masque qu'il préfère : le masque blanc. Alors, il n'y aura pas de hasard si Django, dans son rôle de (faux) négrier moquant le vieux majordome, l'interpelle la première fois qu'il le voit en le traitant de « Boule-de-Neige ». Ces deux personnages représentent ainsi deux manières, moins complémentaires qu'antithétiques, de jouer du faux pour avoir accès au vrai, les figures du négrier pour l'un et du « vieux nègre » pour l'autre ne valant que comme stratégies transitoires ou circonstanciées, en tous les cas antagoniques et nécessaires pour démasquer les intérêts camouflés de l'un ou cacher les siens en les dérobant au regard de l'autre. Au final, s'affirment dialectiquement deux manières en lutte réciproque d'être Noir dans un monde blanc : en s'identifiant aux intérêts des Blancs (Stephen) ou bien en s'inspirant des Blancs pour mieux les combattre (Django). « Nous comprenons maintenant pourquoi le Noir ne peut se complaire dans son insularité. Pour lui il n’existe qu’une porte de sortie et elle donne sur le monde blanc » relevait déjà Frantz Fanon dans son ouvrage Peau noire, masques blancs (éd. Seuil-coll. « points essais », 1952, p. 41), insistant sur la motivation du Noir de fuir son être afin de s'approprier la seule « porte de sortie » existante, celle qui« donne sur le monde blanc. D’où cette préoccupation permanente d'attirer l'attention du Blanc, ce souci d'être puissant comme le Blanc, cette volonté déterminée d'acquérir les propriétés de revêtement, c'est-à-dire la partie d'être ou d'avoir qui entre dans la constitution d'un moi » (op. cit.,p. 41). On le sait, l'essai du psychiatre d'origine martiniquaise Frantz Fanon avance une interprétation psychanalytique de la « question noire » permettant au Noir de « se libérer de l'arsenal complexuel qui a germé au sein de la situation coloniale » (ibid., p. 24). « Ce travail vient clore sept ans d’expériences et d’observations ; quel que soit le domaine par nous considéré, une chose nous a frappé : le nègre esclave de son infériorité, le Blanc esclave de sa supériorité, se comportent tous deux selon une ligne d’orientation névrotique. Aussi avons-nous été amené à envisager leur aliénation en référence aux descriptions psychanalytiques. Le nègre dans son comportement s’apparente à un type névrotique obsessionnel ou, si l’on préfère, il se place en pleine névrose situationnelle. Il y a chez l’homme de couleur tentative de fuir son individualité, de néantiser son être-là. Chaque fois qu’un homme de couleur proteste, il y a aliénation. Chaque fois qu’un homme de couleur réprouve, il y a aliénation » (ibid., p. 48). Django Unchained aura ainsi proposé l'examen, frotté à une relecture circonstanciée de la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave (par ailleurs jamais ignorée par Frantz Fanon dans son analyse propre), de deux types d'hommes aliénés, ceux qui, à peau noire, revêtent des masques blancs. Il y a donc le type d'hommes auprès desquels il faudra ranger Stephen dont le credo serait le suivant : « Le Noir veut être comme le Blanc. Pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est blanc. Il y a de cela longtemps, le Noir a admis la supériorité indiscutable du Blanc, et tous ses efforts tendent à réaliser une existence blanche » (ibid., p. 185). La duplicité de Stephen n'aurait alors pas d'autre source que le privilège de la domination blanche grâce à laquelle il pourrait (fallacieusement) échanger son statut d'esclavagé contre celui de dominant des dominés. Et cette duplicité trouverait à se prolonger dans la figure intermédiaire et autrement aliénée de la prostituée noire de Calvin Candie (sorte de double occupant le niveau supérieur de Broomhilda, elle aussi contrainte à la prostitution). En même temps que le mépris qu'elle professe à l'encontre de celui qui se présente (fallacieusement, mais cette fois-ci en toute connaissance de cause) sous la défroque du négrier marchand de « Mandingues » exprime aussi son dégoût des Noirs jouissant d'une liberté seulement exercée au détriment de leurs pairs. Et il y a donc aussi le type d'hommes auquel appartient Django, ces hommes qui ont pu commencer à se dire intérieurement ceci : « Je me découvre, moi homme, dans un monde où les mots se frangent de silence ; dans un monde où l’autre, interminablement se durcit » (idem). Puis comprendre cela : « Le Noir, à certains moments, est enfermé dans son corps. Or, ''pour un être qui a acquis la conscience de soi et de son corps, qui est parvenu à la dialectique du sujet et de l’objet, le corps n’est plus cause de la structure de la conscience, il est devenu objet de conscience'' » (Fanon citant Maurice Merleau-Ponty, ibid., p. 182). Il faudra alors être attentif à l'enchaînement des stations ponctuant le roman de formation du personnage de Django : d'abord l'esclave mutique puis l'homme à cheval, ensuite le dominé qui surjoue exagérément sa condition par les habits bleus satinés de valet français 18ème siècle (l'artifice valant déjà pour un début de distanciation ironique) et le cow-boy (exactement habillé comme le personnage de Little Joe dans la sériée télévisée Bonanza)qui se fait passer pour négrier, enfin l'homme émancipé ayant revêtu les oripeaux aristocratiques du maître (Calvin Candie) qui singeait la culture française en ignorant que le nom de D'Artagnan donné à l'un de ses esclaves provenait d'Alexandre Dumas (dont le père était un général mulâtre originaire de Saint-Domingue, victime des purges raciales dans l'armée napoléonienne à l'époque de l'insurrection !). Cet enchaînement narratif manifeste ainsi le caractère allégorique de l'émancipation progressive d'un Noir passé par divers degrés dans la reconnaissance (par le monde blanc) d'une conscience de soi noire. Comme cet enchaînement allégorique autorise à tenter de penser une constellation de l'histoire de l'émancipation au sein de laquelle il serait parfaitement légitime de rapprocher Django Unchained de la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave réfléchie à l'aune de la révolte des esclaves de Saint-Domingue, comme des réflexions psychanalytiques d'un intellectuel antillais qui s'engagea dès l'insurrection de 1954 auprès des Algériens en guerre contre le joug colonial français et pour leur indépendance (cf. La Guerre d'indépendance, une généalogie tourmentée).

http://ts1.mm.bing.net/th?id=H.4530336673431812&pid=15.1Dans la radicale préface rédigée pour l'ouvrage Les Damnés de la terre (1961) de Frantz Fanon, Jean-Paul Sartre s'adresse directement aux Français en leur expliquant ceci : « (…) les pères, créatures de l'ombre, vos créatures, c'étaient des âmes mortes, vous leur dispensiez la lumière, ils ne s'adressaient qu'à vous, et vous ne preniez pas la peine de répondre à ces zombies. Les fils vous ignorent : un feu les éclaire et les réchauffe, qui n'est pas le vôtre. Vous, à distance respectueuse, vous vous sentirez furtifs, nocturnes, transis : chacun son tour ; dans ces ténèbres d'où va surgir une autre aurore, les zombies, c'est vous » (éd. La Découverte & Syros, 2002, p. 22). Ou ceci : « Nos victimes nous connaissent par leurs blessures et par leurs fers : c'est ce qui rend leur témoignage irréfutable. Il suffit qu'elles nous montrent ce que nous avons fait d'elles pour que nous connaissions ce que nous avons fait de nous » (op. cit., p. 22). Ou encore cela : « Quels instincts ? Ceux qui poussent les esclaves à massacrer le maître ? Comment n'y reconnaît-il pas sa propre cruauté retournée contre lui ? » (ibid., p. 25). Que la peur change de camp et les zombies esclavagés dans la nuit du début du film de Quentin Tarantino sont alors devenus ceux qui, ne craignant pas de retourner la cruauté des maîtres contre eux-mêmes, retournent le fouet et le feu contre leurs premiers propriétaires (tel cet homme aux chiens joué par Tom Savini, l'homme des effets spéciaux « gore » des films de zombies de George A. Romero – cf. Des nouvelles du front cinématographique (81) : Par le travers indifférent des différences, l'égalité (l'image in-différente II)) tout en éclairant la nuit de l'esclavage avec les flammes finales du brasier de l'émancipation. Que la peur change de camp et les esclaves qui ont peur et regardent leurs pieds quand ils avancent enchaînés au début de Django Unchained expérimentent à partir du savoir de leurs blessures une puissance d'être dont l'augmentation est proportionnellement corrélée à la diminution de celle de leurs oppresseurs. « La première chose que l’indigène apprend, c’est à rester à sa place, à ne pas dépasser les limites ; c’est pourquoi les rêves de l’indigène sont des rêves musculaires, des rêves d’action, des rêves agressifs. Je rêve que je saute, que je nage, que je cours, que je grimpe. Je rêve que j’éclate de rire, que je franchis le fleuve d’une enjambée, que je suis poursuivi par une meute de voitures qui ne me rattrapent jamais. Pendant la colonisation, le colonisé n’arrête pas de se libérer entre neuf heures du soir et six heures du matin » (ibid., p. 53-54). Ou encore : « Cette impulsion à prendre la place du colon entretient un tonus musculaire de tous les instants. On sait, en effet, que dans des conditions émotionnelles données la présence de l’obstacle accentue la tendance au mouvement », ainsi que l'écrit Frantz Fanon dans Les Damnés de la terre (ibid., p. 55). Une autre façon, d'ailleurs relevée par Susan Buck-Morss (in Hegel & Haïti, op. cit., note 89, p. 59), pour l'intellectuel martiniquais de réintroduire la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave héritée peut-être de lectures sartriennes et telle qu'elle brille aujourd'hui dans le récit proposé par Quentin Tarantino, dont l'inscription historique dans le réel du racisme issu de l'esclavagisme étasunien n'empêche nullement un décollage allégorique au nom de l'universel et transhistorique désir d'émancipation. C'est que Django Unchained ressemble moins enl'exposé didactique des raisons d'abolir l'esclavage à partir des arguments d'autorité de Frederick Douglass (voire, après la période esclavagiste et les séquelles racistes laissées au cœur de la société étasunienne, de W.E.B. Du Bois, l'un des fondateurs du National Association for the Advancement of Colored People ou NAACP en 1909) qu'il propose de voir dans l'expérience historique de l'esclavage aux États-Unis un moment privilégié pour dégager la forme structurale d'une trajectoire d'émancipation qui passerait forcément par le modèle heuristique hégélien de la dialectique du maître et de l'esclave. Et, de la même façon que, au cours de cette trajectoire, Django use pour la toute première fois du fouet (claquant comme un coup de feu qui réellement impressionne) dont sa peau a souvent dû endurer la foudre en le retournant contre un maître jouissant de corriger une autre esclave, Frantz Fanon a retourné, à l'époque de Peau noire, masques blancs,les arguments progressistes de Jean-Paul Sartre au point de considérer pour ce dernier sa préface rédigée au livre Les Damnés de la terre comme l'occasion d'une sévère autocritique. Au sujet de Jean-Paul Sartre (qui fut l'auteur de Orphée noir, préface à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Léopold Sédar Senghor publiée par les éditions PUF en 1948), Frantz Fanon écrit par exemple : « Pas encore blanc, plus tout à fait noir, j'étais un damné. Jean-Paul Sartre a oublié que le nègre souffre dans son corps autrement que le Blanc. Entre le Blanc et moi, il y a irrémédiablement un rapport de transcendance » (Peau noire, masques blancs, op. cit.,p. 112). Et puis aussi ceci : « Si les études de Sartre sur l’existence d’autrui demeurent exactes (dans la mesure, nous le rappelons, où L’Être et le Néant décrit une conscience aliénée), leur application à une conscience nègre se révèle fausse. C’est que le Blanc n’est pas seulement l’Autre, mais le maître, réel ou imaginaire d’ailleurs » (note 22, idem). Le rapport de transcendance qui fait du Blanc non seulement « l'Autre, mais le maître » du Noir est précisément ce qu'apprend à transcender progressivement Django dans une dynamique suffisamment universelle (même si elle n'est jamais énoncée comme telle par son représentant afin d'éviter au film tout didactisme) pour éviter d'identifier son combat à une « négritude » que valorisait hier Léopold Sédar Senghor. Et qui se déduit hélas un peu trop facilement de la position identitaire et communautaire occupée aujourd'hui par Spike Lee dans sa critique du film de Quentin Tarantino. « Le nègre vise l’universel, mais, à l’écran, on maintient intacte son essence nègre, sa ''nature'' nègre », ainsi que l'écrit Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (ibid.,p. 150). Ce que l'on pourrait se retraduire ici comme suit : « le nègre Django vise sur l'écran de projection du film de Quentin Tarantino l'universel, mais, à l'écran des protestations communautaires (noire ou blanche), on maintient intacte son essence nègre, sa ''nature'' nègre ».

 

Pour conclure : la politique de la violence révolutionnaire,

Sartre et Fanon contemporains de la « blaxploitation » et du « western-spaghetti »

http://ts3.mm.bing.net/th?id=H.4984125705749162&pid=15.1On pourra dès lors repenser à la manière grotesque et carnavalesque, pop et hyperbolique dont Quentin Tarantino envisageait généralement la question de la violence, déconnectée de tout rapport au réel, juqu'à ce que Inglourious Basterds veuille enfin en redistribuer ses cartes (même si cette redistribution faisat en ce cas précis confiner l'uchronie non pas vers les rivages du révisionnisme historique mais vers ceux, fantasmatiques, du clivage fétichiste à visée compensatoire). C'est qu'il s'agit désormais, pour Django jeté dans l'obligation d'une émancipation universelle relevant et sublimant tout à la fois les chasses à primes, la quête de la bien-aimée et la vengance individuelle, d'incarner une violence qui, loin de répéter à l'identique celle des oppresseurs, s'en différencierait radicalement. C'est quie ces derniers violentent au nom de l'exercice de leur domination quand leurs victimes violentent sur la base du refus de celle-ci. On pourrait alors user de la distinction benjaminienne avancée dans le texte intitulé Critique de la violence (1921) entre « violence mythique » reproduisant la norme du droit et « violence divine » qui l'interrompt (cf. Des nouvelles du front cinématographique (77) : Le Décalogue de Krzysztof Kieslowski (première partie)). « Si la violence mythique est fondatrice de droit, la violence divine est destructrice de droit (...) » (in Œuvres I, éd. Gallimard-coll. « folio-essais », 2000, p. 238). La lecture zizekienne de la différenciation benjaminienne entre deux formes antagoniques de la violence accentue le caractère révolutionnaire de la « violence divine ». « Par conséquent, pour reprendre les termes de Badiou, la violence mythique appartient à l’ordre de l’Être tandis que la violence divine relève de l’ordre de l’Événement : il n’existe aucun critère ‘‘objectif’’ nous permettant de qualifier un acte de violence divine ; le même acte qui, aux yeux de l’observateur extérieur, n’est qu’un débordement violent peut relever de la violence divine aux yeux de ses auteurs. Puisqu’il n’y a pas de grand Autre garantissant la nature divine de l’acte, c’est au sujet seul de prendre le risque de l’interpréter et de l’assumer comme un acte de violence divine » (Slavoj Zizek,Violence. Six réflexions transversales, éd. Au Diable Vauvert, 2012 [2008 pour l’édition originale], p. 266). Ce sujet, bien évidemment ici, c'est Django et les flammes apocalyptiques qu'il déchaîne en toute fin de film accomplissent la nature divine de la violence qu'il a exercée à l'encontre des figures idéal-typiques et complémentaires ayant allégorisé l'oppression, le Blanc sudiste passionné de phrénologie Calvin Candie et son majordome servile, le Noir Stephen.

Mais, revenons à nouveau à Jean-Paul Sartre et sa brûlante préface à l'ouvrage tout aussi incendiaire de Frantz Fanon, Les Damnés de la terre : « Ils sont coincés entre nos armes qui les visent et ces effrayantes pulsions, ces désirs de meurtre qui montent du fond des cœurs et qu’ils ne reconnaissent pas toujours : car ce n’est pas d’abord leur violence, c’est la nôtre, retournée, qui grandit et les déchire ; et le premier mouvement de ces opprimés est d’enfouir profondément cette inavouable colère que leur morale et la nôtre réprouvent et qui n’est pourtant que le dernier réduit de leur humanité » (op. cit., p. 26). Et puis un peu plus loin : « Cette vérité, nous l’avions sue, je crois, et nous l’avons oubliée : les marques de la violence, nulle douceur ne les effacera : c’est la violence qui peut seule les détruire (…) Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer (…) » (ibid., p. 29). Ce qui fut alors, du point de vue conservateur, voire réactionnaire, lu comme l'apologie barbare de la violence a été particulièrement bien compris par tous les « damnés de la terre », opprimés parce qu'exploités, minorés parce que racisés, qui finissent tous par comprendre un jour ou l'autre que, en regard de la domination et de sa persévérance structurelle à assurer les conditions matérielles et idéelles ou idéologiques de sa reproduction, « seule la violence aide, où la violence règne ». La beauté du geste cinématographique initiée par Quentin Tarantino avec Django Unchained aura dès lors consisté à affirmer l'actualité de la nécessité de la violence, dépassée dans son caractère strictement vengeur et punitif comme on l'a vu dans les précédents films du cinéaste, pour être désormais perçue comme l'indépassable condition de toute trajectoire d'émancipation déployée à partir d'une situation historique d'oppression semblable à celle produite par le système esclavagiste étasunien.Et l'affirmation de l'émancipation, inscrite structuralement dans le balancement dialectique hégélien du maître et de l'esclave, prendra nécessairement la forme de l'affrontement entre celui qui, tel Django, veut échapper à la servitude noire et celui qui, si proche de lui parce que Noir comme Stephen, désire coller avec le maximum de servilité à la servitude établie par les maîtres blancs. « Cette agressivité sédimentée dans ses muscles, le colonisé va d’abord la manifester contre les siens. C’est la période où les nègres se bouffent entre eux et où les policiers, les juges d’instruction ne savent plus où donner de la tête devant l’étonnante criminalité nord-africaine », ainsi que l'affirme Frantz Fanon dans Les Damnés de la Terre (ibid., p. 53-54) dans une analyse qui vaut, structuralement, autant pour le colonisé nord-africain que pour l'esclavagé afro-américain. « Forcément, on bute sur soi-même. On découvre ici le noyau de cette haine de soi-même qui caractérise les conflits raciaux dans les sociétés ségréguées (…) Encore une fois, l’objectif du colonisé qui se bat est de provoquer la fin de la domination. Mais il doit également veiller à la liquidation de toutes les non-vérités fichées dans son corps par l’oppression (…) La libération totale est celle qui concerne tous les secteurs de la personnalité. L’embuscade ou l’accrochage, la torture ou le massacre de ses frères enracinent la détermination de vaincre, renouvellent l’inconscient et alimentent l’imagination » (ibid., p. 297). Comme l'a avancé Quentin Tarantino au Comic-Con lors de l'édition de 2012, Django et Broomhilda von Shaft seraient en fait les ascendants (les arrières-arrières-arrières grands parents !) de John Shaft, le héros d'une série de films (Shaft en 1971 et Shaft's Big Score en 1972 de Gordon Parks, mais aussi Shaft In Africa de John Guillermin en 1973 et la série télévisée Shaft réalisée entre 1973 et 1974 par Gordon Parks) relevant de la fameuse « blaxploitation » auxquels a rendu hommage Jackie Brown. Pour l'anecdote, un remake de Shaft fut entrepris en 2000 sous la directement de John Singleton, avec dans le rôle-titre (tenu hier par Richard Roundtree) Samuel Jackson, l'acteur interprétant ici Stephen ! Un autre tour de roue de la dialectique du maître et de l'esclave qui intéresse surtout parce que, s'agissant au moins du premier film de la série, le détective privé Shaft représentait explicitement la retraduction de la politique révolutionnaire des « Black Panthers » à laquelle il fut lié en pratique individualiste du redressement civil ou pénal des torts vécus par ses pairs. Un moyen pour le personnage de continuer à faire de la politique autrement afin d'éviter la clandestinité et la brutale répression perpétrée à l'encontre des militants du groupe par la FBI, même si la posture du détective privé incarne symptomatiquement aussi le reflux de la politique d'émancipation noire prônée par les « Black Panthers ».

http://ts1.mm.bing.net/th?id=H.4784955197424712&pid=15.1Quand on sait l'influence que les écrits de Frantz Fanon, et en particulier Les Damnés de la terre, ont exercée sur les militants du mouvement du « Black Panther Party For Self-Defense » (par exemple ses fondateurs Huey P. Newton et Bobby Seale, mais aussi Elridge Cleaver), et quand on a saisi à quel point la mobilisation de la pensée du psychiatre martiniquais et militant du FLN a été productive pour comprendre le film de Quentin Tarantino, on constate d'autant mieux à quel point Django Unchained possède une indéniable valeur généalogique, concernant tant Jackie Brown et la « blaxploitation » auquel ce film se rattache de manière cinéphilequele western dont la déclinaison italienne, du milieu des années 1960 au milieu des années 1970, a été contemporaine de la montée, en Italie comme dans le monde entier, d'un gauchisme frotté à un tiers-mondisme nourri (notamment en Afrique) des textes de Frantz Fanon. Le mépris qui s'exerce encore de nos jours sur les « westerns-spaghettis » (qualification initialement conçue comme stigmatisante) induirait qu'il n'y aurait dès lors pas grand-chose à penser de films aussi divers et réussis que Tire encore si tu peux (1967) de Giulio Questi, Tue et fais ta prière (1967) de Carlos Lizzani ou encore Et le vent apporta la violence (1969) d’Antonio Margheriti (dont le patronyme est, nous l'avons vu, cité en clin d’œil dans Inglourious Basterds). Sans oublier la passionnante série de films réalisés par Sergio Corbucci qui, outre Django (1966), a également tourné les passionnants Le Justicier du Minnesota – Minnesota Clay (1964), Navajo Joe (1966), Le Grand silence (1968), El Mercenario (1968) et Campañeros (1970). N'est-ce pourtant pas le militant communiste Franco Salinas (scénariste entre autres de La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo en 1966, de Costa-Gavras et de Francesco Rosi) qui a écrit El Chuncho, quien sabe ? (1966) de Damiano Damiani, bel exemple de « western-Zapata », ce sous-genre du « western-spaghetti » investissant l'histoire de la guerre des États-Unis avec le Mexique entre 1846 et 1848 afin de commenter de manière indirecte et détournée les luttes d'indépendance tiers-mondistes de l'époque ? N'est-ce pas Jean-Luc Godard qui, à l'époque de la période militante et maoïste, a lui aussi investi la forme populaire du « western-spaghetti » pour réaliser durant l'été 1969 Vents d'est avec Jean-Pierre Gorin et Daniel Cohn-Bendit Vents d'est, le film fondateur du groupe Dziga-Vertov ? D'autres films ont encore été réalisés, proposant des mises en scène inventives et des récits forts aux résonances politiques réelles : c'est la « Trilogie Chuchillo » de Sergio Sollima composée de Colorado (1966), Le Dernier face à face (1967) et Saludos hombre (1968) avec Tomas Milian dans le rôle de Manuel « Cuchillo » Sanchez. Enfin, n'oublions pas de mentionner Il était une fois la révolution (1971) de Sergio Leone (cet arbre majestueux qui ne doit pourtant pas cacher la forêt touffue du western italien) et ses références au chinois Mao et l'anarchiste russe Mikhaïl Bakounine. Enfin, le beau Mon nom est personne (1973) de Tonino Valerii initie la vogue du « western-fayot » qui annonce une fin de règne dominée par les potacheries du duo formé par Terence Hill et Bud Spencer, Les Quatre de l’Apocalypse (1975) de Lucio Fulci (un film à mi-chemin du western, du fantastique et du film d'horreur) et le lyrique et mélancolique Keoma (1976) d’Enzo G. Castellari avec son Indien christique joué par Franco Nero représentant concomitamment le chant du cygne de l'acclimatation italienne (sous le soleil d'Almeria en Espagne) d'un genre spécifique à l'histoire étasunienne et pourtant vérifié dans son potentiel à la fois commercial et allégorique, populaire et politique. Autant dire universel. Acclimatation qui avait été préfigurée par la vogue allemande des westerns racontant au début des années 1960 les aventures de Winnetou et Old Shatterland : « Les conditions économiques empêchaient pratiquement de faire un film en Italie en 1964. En 1962, la vague des péplums avait cessé brutalement. En 1963 s'est produit l'énorme krach de la Titanus et toutes les banques ont arrêté le crédit. Et c'est à cause du succès de la série allemande Winnetou de Harald Reinl, que le western a intéressé les producteurs italiens » : l'homme qui parle ici est Sergio Leone (in Cinéma 69, n°140, novembre 1969), et l'on comprend alors de quelle manière Inglourious Basterds (un film dont certaines parties sont les plus réussies du cinéma tarantinien, mais qui est raté dans sa ligne générale) déploie malgré tout l'espace nécessaire à cet accomplissement artistique représenté par Django Unchained. Si le fait que Quentin Tarantino ait cité dans Kill Bill 2 une musique de Riz Ortolani extraite du film Le Dernier jour de la colère (1967) de Tonino Valerii manifestait déjà un sens de la relève citationnelle des petits maîtres au bénéfice de celui qui sait se faire reconnaître en leur rendant hommage, Django Unchained porte bien plus loin un projet de cinéma dont la cinéphilie lui a permis de découvrir dans le cinéma bis (qu'il vienne des Allemands, des Italiens ou des Afro-américains) la matière inattendue d'une « créolisation » (comme l'aurait dit Edouard Glissant : cf. Edouard Glissant, notre vigie poétique du "chaos-monde") dont la radicalité en termes d'historicisation et de politisation l'autorise désormais à amplement dépasser et sublimer ses propres petites habitudes postmodernes. Donc, rien à voir avec l'exercice de style référentiel, virtuose et vain de The Quick And The Dead (1995) de Sam Raimi dans lequel jouait déjà Leonardo DiCaprio. Ce qui était préfiguré par Jackie Brown et amorcée (sans complètement convaincre) dans Inglourious Basterds séduit définitivement dans Django Unchained, que l'on regarderait peut-être dans quelques années comme l'équivalent artistique d'un film de Sergio Leone pour notre temps. L'exercice de la dialectique du maître et de l'esclave aura été bel et bien profitable à un « bâtard » de cinéma qui a enfin su percevoir tout le potentiel esthétiquement et politiquement émancipateur véhiculé par les mélanges cinéphiles les plus hétérogènes, et dont l'impureté créole (comme le punch dans le roman d'Elmore Leonard !) est la garante éthique du plus authentique antiracisme.

Au fait, en romani, « Django » signifie « Je m'éveille ». Et c'est le prénom du guitariste manouche Django Reinhardt qui a inspiré le personnage du film éponyme de Sergio Corbucci auquel celui de Quentin Tarantino rend hommage via l'apparition de l'acteur Franco Nero, dont le nom signfie quant à lui « noir » en italien. Cinéma créole, on vous dit !

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13 janvier 2013 7 13 /01 /janvier /2013 14:47

Le dernier opuscule publié par Onfray* se divise en deux parties. Dans la première (et c’est toujours intéressant parce que l’humain nous intéresse) Onfray raconte son enfance, les chemins de sa révolte et de sa politisation. Ses rencontres et ses lectures. Ses postures également qui sont censées protester de son bon droit à donner des leçons d’anarchisme à la planète : refus d’intégrer le petit milieu intello parisien pour rester vivre et enseigner dans un lycée technique de l’Orne pendant 20 ans (ce qui est éminemment respectable tout comme la construction de son Université populaire). Le lecteur note tout de même qu’il n’y a nulle trace d’un militantisme réel et que ce défaut d’ancrage peut expliquer partiellement les prétentions et l’erreur terminale de cette thèse. 

En seconde partie l’auteur distribue un peu vite bons et mauvais points aux différents penseurs et courants de l’anarchie. Réintègre Nietzsche et les postmodernes. Affirme une rupture complète avec le communisme autoritaire. Refuse l’historiographie simpliste qui sépare définitivement individualisme et collectivisme. Remarque que la pensée anarchiste semble paralysée voir dogmatique. Propose de revisiter les rapports à l’Etat et aux élections. Critiques et propositions souvent pertinentes mais qui s’adressent sans nuances aux différentes sensibilités et organisations de la galaxie libertaire comme s’il était le premier à poser ces débats.

Malheureusement ce joyeux remue-ménage accouche d’une souris. Et l’ouvrage ne comblera le vide sidéral qu’il dénonce. En rejetant d’un même mouvement le Grand Soir, Marx et Bakounine pour leur apologie de la violence, Onfray nie la matérialité de la politique réelle c'est-à-dire l’affrontement entre les classes et la violence que la classe possédante est résolue à utiliser pour maintenir ses privilèges. La lutte pour le socialisme libertaire qu’il nous propose, au demeurant plutôt sympathique, devient l’épisode de « Oui-Oui prête sa voiture rouge » ! Appuyé sur une belle citation de La Boétie « Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres » il propose une éthique militante en effet indispensable. Mais il conclu pour proposer que cette éthique au pouvoir démultiplié par la coopération entre toutes et tous (qui à suffit aux lilliputiens pour entraver Gulliver**) suffira pour forger un monde nouveau. En jetant l’eau sale des expériences tragiques du siècle Onfray jette également le bébé. Je parie que sa grand-mère verra bien que son loup est sans dent, sans danger.

Jean-Yves Lesage

* Le Postanarchisme expliqué à ma grand-mère : le principe de Gulliver ; Galilée octobre 2012

** Relire les contes de Swift sans hésiter cependant !

 

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13 janvier 2013 7 13 /01 /janvier /2013 14:44

Issu d’une famille de terroristes anti-tsaristes, anarchiste emprisonné en France et combattant à Barcelone, libertaire honni des anarchistes pour son ralliement au parti bolchevique en pleine révolution russe, militant de l’appareil de la III° Internationale emprisonné pour trotskysme par Staline, mis en quarantaine par les sectes trotskystes lorsqu’il soutient qu’aucune 4° Internationale ne peut être créée sans quelques partis nationaux sérieusement implantés, Victor Serge reste jusqu’à son dernier souffle en recherche d’une révolution à laquelle il consacre d’abord sa vie puis ses « Mémoires » ainsi que plusieurs romans portés par un vrai souffle et d’authentiques qualités littéraires. Lui l’ignore probablement mais il est sans nul doute l’un des premiers « communistes libertaires », tentant l’improbable pari de faire vivre le meilleur des traditions marxistes et anarchistes, à chaud, dans le torrent de l’histoire qui se construit. Quand la moindre erreur se paie cash. 

Les Carnets* publiés cet hiver témoignent de la vivacité et de la rigueur morale et intellectuelle du militants vieillissant. Très largement inédits, ils couvrent la période 1936-1947 de son départ en exil au Mexique puis aux USA où il meurt en 47. Au jour le jour se succèdent des considérations artistiques, des tentatives de prévisions géopolitiques sur la guerre et l’après-guerre, des descriptions touristiques, des réflexions toujours pointues sur l’actualité, des échos de son militantisme dans l’émigration, et puis à l’occasion de tel ou tel décès, pas toujours naturel, le portrait de dizaines de dirigeants révolutionnaires de toutes nationalités qu’il eut l’occasion de fréquenter. Se dessine un monde empli de militants qui s’entrechoquent mais où les masses se font rares laissant les uns et les autres à leurs erreurs ou à leurs crimes.

On peut lire ces épais Carnets comme un blog d’hier ou un dictionnaire en piochant de ci de là. Une manière de s’imprégner de la violence des espoirs et désespoirs forgés dans la fournaise des révolutions du court 20° Siècle ; une introduction sans les lourdeurs d’un manuel. Pour celles et ceux qui connaissent déjà bien leur sujet, on trouve ici mille détails, précisions, personnages, sensations vécues, points de vues personnels qui enrichissent en profondeur la réflexion. Nöel c’est dans un an, achetez le livre sans attendre !

Jean-Yves LESAGE

 

* Carnets (1936-47) de Victor Serge chez Agone 30 euros.

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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 12:39

LE MONDE | 21.12.2012

Par Marc Norguez, secrétaire général SGLCE-CGT

Certes, Presstalis ne distribue pas la totalité de la presse en France. Mais la distribution de la presse a besoin de la totalité de Presstalis. Il est du devoir des pouvoirs publics, des éditeurs et des salariés de la filière de pérenniser un outil essentiel pour le pluralisme de la presse.

L'accord signé en octobre 2012 entre Presstalis, les éditeurs et l'Etat a été baptisé dans un récent rapport parlementaire de "rafistolage provisoire".

L'ETAT DOIT RÉINVESTIR LA FILIÈRE

Nous pensons, comme le rapporteur, que cet accord auquel nous n'avons pas été associés ne peut constituerla base d'une reconstruction du système de distribution ni une quelconque feuille de route.

Il convient de se remettrevite au travail en organisant une table ronde avec l'Etat, les éditeurs, les messageries et les représentants des salariés. Nous pensons que l'Etat doit réinvestir la filière.

La distribution de la presse est bien plus qu'un échange de marchandises. Elle transmet un bien culturel ayant une influence décisive sur le cours des événements.

La presse est un lien socialfort entre ceux qui cherchent à informer et ceux qui cherchent à savoiret à réfléchir. Elle est fille de la démocratie et soeur de l'idéal républicain.

La distribution ne peut être laissée dans les mains d'intérêts particuliers.

Depuis avril 1947, la loi Bichet régit un système coopératif de distribution mutualisant les coûts tout en s'appuyant sur un opérateur privé.

HACHETTE, S'EST RETIRÉ

Il y a dix-huit mois, l'opérateur, Hachette, s'est retiré, et la loi a été modifiée par l'ancienne majorité. Aujourd'hui, la situation est très préoccupante.

Presstalis est affaiblie, ses résultats d'exploitation sont négatifs, et un conflit social majeur s'y développe. Après moins de dix-huit mois, l'Etat est le grand absent des lieux de décision.

Il n'est considéré par les éditeurs que comme bailleur de fonds grâce aux aides à la presse et au financement des plans sociaux.

Il nous paraît indispensable de revoirtout le dossier. Nous réaffirmons les principes fondamentaux en ajoutant que c'est à l'Etat de les sauvegarder. Le rôle et la liberté de la presse pourraient être reconnus et garantis dans la Constitution.

Pour être pluraliste, la presse doit s'appuyersur une entreprise à qui est dévolue cette mission de service public. Aujourd'hui, l'entreprise qui peut prétendre à cette fonction, c'est Presstalis.

Le plan de la direction remet en question l'existence même de l'entreprise. Il ne s'agit pas seulement de supprimerplus d'un emploisur deux, mais des secteurs entiers de l'activité.

La direction tente de régler les difficultés en les supprimant. Cette méthode ne fonctionne que sur le papier. Sans Presstalis, en réalité, on ne sait pas distribuerla presse en France.

L'Etat doit réaffirmer sans ambiguïté la nécessité d'un système ouvert, coopératif et mutualisé. Ce système ne peut fonctionner sans une intervention des pouvoirs publics.

IMPASSE DE "L'ACCORD TRIPARTITE" DU 4 OCTOBRE

Il doit être un exemple social dans une profession où la précarité, les conditions de travail très pénibles et les bas salaires sont dominants.

L'Etat sera sollicité pour sortirde l'impasse de "l'accord tripartite" du 4 octobre, il doit s'imposerdans l'organisation de la filière en participant au Conseil supérieur des messageries de presse et au conseil d'administration de Presstalis. Nous demandons aussi la présence d'élus des salariés au conseil d'administration de Presstalis.

Depuis trop longtemps, les salariés sont tenus à l'écart des responsabilités, alors que ce sont eux qui, jour et nuit, réalisent le travail et paient les erreurs de gestion des dirigeants. Nous revendiquons une véritable gestion à trois : éditeurs, pouvoirs publics et salariés.

Pour sortirde la grave crise de la distribution de la presse, il est nécessaire de la consolideren fonds propres, de maîtriser ses déficits et d'anticiperles évolutions et leurs conséquences sur les salariés.

Les procédures au tribunal de commerce et un rapport économique récent demandé par les organisations syndicales ont confirmé les besoins de recapitalisation de la société.

Cette situation est l'oeuvre des administrateurs et des clients de l'entreprise, souvent les mêmes, qui paient des prestations à des tarifs inférieurs à leur valeur.

Ce sont eux qui doivent contribuer- avec les Messageries lyonnaises de presse, qui ont leur part de responsabilité dans les difficultés de Presstalis - à la remise à flot du distributeur.

Les principaux éditeurs, administrateurs, clients de Presstalis sont bénéficiaires dans leur activité d'éditeurs de presse et adossés à de grands groupes financiers ou bancaires.

Ils ont toujours bénéficié d'un système de distribution et de mise en vente au numéro exceptionnel, qui a permis de grands succès éditoriaux aux titres de presse magazine comme aux suppléments hebdomadaires des quotidiens.

L'AVENIR DE PRESSTALIS

Pour des milliers de titres, la vente au numéro en kiosques ou ailleurs est une opportunité pour la rencontre entre un titreet son lecteur.

La question de l'avenirde Presstalis est déterminante pour la profession et la distribution, mais aussi pour le déroulement du dossier et son issue positive.

Si on pense que la disparition de Presstalis est la condition de la survie de la filière, on va non vers un conflit lourd mais vers la fragilisation de la distribution de la presse, la disparition de la spécificité du produit presse, sa distribution par des entreprisesde transport.

La volonté politiqueet économique de construireun avenirà Presstalis doit être réaffirmée, c'est un préalable.

La deuxième question est celle de l'équilibre de ses comptes d'exploitation. Il faut travailler à l'apport de nouvelles ressources, à une meilleure répartition des aides, à une recherche d'économies, à une mutualisation qui ne contredise pas les choix des éditeurs, renforçant l'entreprise au lieu de l'affaiblir. Notre organisation a présenté des propositions en ce sens.

LA PRESSE PLURALISTE

On peut aussi réduire des points de déficit importants en rapatriant la charge de travail. La distribution de la presse pluraliste et vécue comme une entreprise de service public est et restera déficitaire.

C'est pourquoi les aides de l'Etat sont nécessaires. Il est indispensable de les réaffecter en les répartissant équitablement.

L'aide de l'Etat à Presstalis est la moitié de l'aidedite "postale" et inférieure à celle destinée au portage à domicile.

Nous proposons que l'Etat contribue à équilibrer les comptes de Presstalis pour l'année 2012 et que s'engagent les discussions nécessaires à une réduction des déficits pour les années suivantes.

Ces mesures doivent fairepartie d'un engagement des parties pour maîtriser et réduire les dépenses. Dans ce cadre, il est nécessaire d'examinerl'évolution des effectifs en refusant tout licenciement.

Car, si l'activité peut se réduire, c'est, d'une part, à vérifier et, d'autre part, elle ne disparaît pas. De plus, les salariés de la distribution et de Presstalis savent évoluer dans le cadre d'une garantie d'emploi prenant en compte la pénibilité.

SUSPENSION IMMÉDIATE DU PLAN DE CASSE

En résumé : l'Etat doit réaffirmer l'existence de Presstalis dans le cadre d'un système de distribution dédié à la presse. Il doit imposer aux éditeurs des contributions au maintien du système à la hauteur des servicesrendus.

Il est en effet de plus en plus difficile à admettreque les bénéficiaires d'un taux de TVA quasi nul (2,1 %) et d'aides importantes de l'Etat soient les fossoyeurs d'une entreprise au service d'un bien commun, le pluralisme de la presse.

Enfin, notre organisation affirme sa disponibilité pour débattre dès maintenant, avec l'esprit de responsabilité qui la caractérise, sur la base des positions qu'elle développe dans ce texte.

Cette discussion suppose la suspension immédiate du plan de casse que la direction de Presstalis tente de mettre en oeuvre.

Marc Norguez, secrétaire général du Syndicat général du livre et de la communication écrite SGLCE-CGT

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