Pour une titularisation générale des précaires dans les trois fonctions publiques :
l'exemple des territoriaux du 93
(article issu du blog des communistes libertaires de la CGT : voir ici)
Un protocole d'accord entre le gouvernement Fillon et six organisations syndicales (CGT, CFDT, UNSA, CFTC, CFE-CGC, FO), signé le 31 mars dernier, concerne le « Projet de loi gouvernemental portant sécurisation des parcours professionnels des agents contractuels dans les trois versants de la fonction publique ». Le projet en question vient de passer en conseil des ministres, et il sera probablement adopté dans le courant de l'automne pour être effectif au printemps de l'année prochaine. Et s'il semble vouloir apparemment s'inscrire dans une logique de résorption de l'emploi précaire dans l'ensemble des fonctions publiques, on sait aussi aujourd'hui qu'il existe deux manières radicalement différents d'entendre ce à quoi le mot de résorption renvoie : ou bien à la titularisation des précaires dans toutes les fonctions publiques (ce que nous voulons) ; ou bien à leur « CDIsation » afin d'accélérer le processus de relégation du statut de la fonction publique dans les oubliettes de l'histoire du salariat (ce que nous combattons et combattrons).
1/ Pas de statut « bis » : résorption de l'emploi précaire = titularisation !
Un statut « bis », c'est précisément ce que nous ne voulons pas. On rappelle ici que le 14 juin dernier, les organisations syndicales signataires et non signataires du protocole sur la résorption de l'emploi précaire dans les 3 fonctions publiques ont motivé leur départ de la séance du Conseil Supérieur de la fonction publique de l'Etat avant son terme, et ce au nom du désaccord portant sur les conditions d'accès à la titularisation des précaires (voir ici).
Nous avions déjà convenu de la situation suivante (voir ici) : certes, un CDI c'est mieux qu’un CDD, mais un CDI c'est moins bien que le statut de fonctionnaire. Le projet de loi porte en lui, au nom de la résorption de l'emploi précaire, la possibilité de la mise à mort lente de l’exception statutaire qui extirpe plusieurs centaines de milliers de salarié-e-s de la brutalité du marché de l’emploi. La politique de préférence de la « CDIsation » au détriment de la titularisation dans la fonction publique prolonge de toute évidence la logique néolibérale de la RGPP (Révision Générale des Politique Publiques) visant à inscrire dans les normes économiques de la rentabilité comptable le principe de gratuité régissant le principe des services publics. La « CDIsation » redouble donc dans le domaine salarial l'actuelle dynamique de privatisation des services publics. Ce qui signifie aussi la privatisation rampante des personnels travaillant dans les trois fonctions publiques.
2/ Des analyses faites par la base et dans l'unité des titulaires et des non-titulaires
Ce constat a été tiré par un certain nombre de syndicats CGT, dans les UL et même certaines UD, et des analyses ont été proposées afin de mieux comprendre ce que recèle le projet de loi. Par exemple, le syndicat CGT de la ville de Paris qui a initié une pétition afin de dénombrer les non-titulaires (voir ici), ainsi que le collectif CGT des non-titulaires du conseil général (CG) de la Seine-Saint-Denis (93). Ce dernier a d'ailleurs réalisé un quatre-pages plutôt bien fait dont l'efficacité consiste justement à mettre en parallèle en les distinguant « CDIsation » d'un côté et titularisation de l'autre (voir ici). Ainsi, on comprend que l’emploi du CDI de la Fonction Publique est totalement attaché à son poste. A n'importe quel instant, il peut y avoir interruption du CDI en raison de la suppression ou du transfert du poste, et même de sa remise en concurrence ! Le CDI-Fonction publique ne propose de surcroît aucun droit non plus en matière d’évolution professionnelle, de mobilité (pas de portabilité des droits), de niveau de rémunération (pas de droit à revalorisation, pas d'avancement d'échelon au même rythme que les fonctionnaires). La conclusion à tirer est donc claire : les droits d’un CDI Fonction-Publique sont très inférieurs à ceux d’un CDI privé ou à ceux d’un fonctionnaire.
Concernant la question de la titularisation, les exclus de l'accès au dispositif sont très nombreux : ceux recrutés après le 31 mars 2011 ; ceux qui ont exercé moins de 2 ans au 31 mars 2011 ; ceux qui ont exercé plus de 2 ans au 31 mars 2011 mais qui n’atteindront pas les 4 années de contrat requises, du fait de la non reconduction de leur contrat ; ceux qui ont exercé plus de 2 ans au 31 mars 2011 mais qui n’atteindront pas les 4 ans de contrat à la date de clôture des inscriptions aux examens ou concours professionnalisés ; les contractuels de soutien (remplaçants et renforts) hors-poste, c’est-à-dire non-reconnus « sur emploi permanent » ; les contractuels de nationalité hors-CEE ; les vacataires ; les contrats aidés ; les assistantes familiales et maternelles. La liste est longue, le Projet de Loi gouvernemental excluant plus de 80% des 1,2 million de non-titulaires de la Fonction Publique du plan de titularisation.
3/ Une stratégie générale soutenant des actions locales
Ces analyses, aussi juste soient-elles, resteraient inutiles si elles n'étaient pas relayées pratiquement par toute une série d'actions inscrites dans une même stratégie d'ensemble empêchant ainsi la dispersion habituelle. De ce point de vue-là, la rentrée des équipes syndicales et militantes est chaude. Exemples sur Paris et dans le 93 dans la fonction publique territoriale.
Ainsi, un courrier a été envoyé le 23 juin dernier à Claude Bartolone en ses qualités de Président du Conseil Général de Seine Saint-Denis et de député de Seine-Saint-Denis, afin de connaître ses intentions quant à l’application des mesures de ce projet de loi au sein de sa propre collectivité (identification des « emplois permanents », création de postes pour les contractuels de soutien, définition d’un dispositif transparent d’intégration basé sur la qualification et l’expérience). Tous les députés de Seine-Saint-Denis ont également été interpellés pendant le mois de juillet dans une démarche identique, en faveur d’une loi de titularisation générale et de la parité des droits salariaux pour tous les agents de la Fonction Publique. Plus précisément, le secrétaire de l'UD CGT du 93, Hervé Ossant, a envoyé un courrier le 17 août dernier à tous les députés du département en leur proposant de relayer à l'assemblée nationale cinq positions suivantes, parmi lesquelles : la titularisation de tous les agents précaires sur des besoins permanents et l'obligation par la fonction publique de création de postes publics satisfaisant à l'intégration des non-titulaires.
Ce courrier est l'expression d'une logique départementale d'action qui se décline dans la pratique de plusieurs manières. Sur le département a par exemple été institué par la coordination syndicale départementale du 93 (CSD – l'échelon départemental de la fédération CGT des services publics) un collectif précarité qui fait le lien entre les syndicats de toutes les collectivités territoriales que compte la Seine-Saint-Denis. Lieu de centralisation des informations, ce collectif est aussi le support d'une coordination des luttes qui s'engagent ensemble afin de peser plus fort dans la négociation. C'est qu'il s'agit maintenant de passer en l'acte en coordonnant toutes les actions prévues ou en cours afin de donner plus de poids aux mobilisations présentes et à venir. Effectivement, sur le plan strictement local (comme au Blanc-Mesnil : voir ici), se préparent plusieurs initiatives de rentrée en faveur de la reconduction des contrats, de la création de postes de soutien, de la parité de rémunération titulaires/non-titulaires et de la parité des droits sociaux (maladie, retraite, etc). La grande idée du moment, inspirée par la réussite du syndicat des territoriaux de Noisy-le-Sec dont l'action avait débouchée sur la titularisation (en deux vagues, en 2009 et 2010) de quasiment 200 agents non-titulaires (voir ici), c'est de mettre en place des bureaux d'embauche. Les équipes CGT sont ainsi invitées à faire le relevé de la situation des agents précaires afin de les mobiliser pour leur titularisation. Leur mobilisation devra alors devenir la mobilisation de tous les agents, titulaires et non-titulaires, attachés à préserver la force protectrice du statut contre la marchandisation toujours plus accentuée du travail sous la forme de l'emploi.
Sur la base de la mise en mouvement des précaires et des titulaires qui ont compris que le précariat des uns sera bientôt le leur, mais aussi des initiatives voisines communales et départementales, et bien sûr du contexte de la loi en d'être discutée, le rapport de forces peut alors être établi qui permettra de rappeler aux collectivités territoriales leurs propres contradictions. Et si nous héritons de leurs contradictions en termes de précarisation, nous n'en sommes pas les auteurs, exactement comme avec la question de la dette souveraine ! La perspective est donc celle d'une titularisation générale qui n'est pas synonyme d'autre chose que de préservation du statut de fonctionnaire et des missions de service public qu'ils incarnent. Parce que les services publics représentent le patrimoine de ceux qui n'ont pas de patrimoine.