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  • : Nous sommes des militant-e-s d'Alternative libertaire habitant ou travaillant en Seine-Saint-Denis (Bagnolet, Blanc-Mesnil, Bobigny, Bondy, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin, Rosny-sous-Bois, Saint-Denis). Ce blog est notre expression sur ce que nous vivons au quotidien, dans nos quartiers et notre vie professionnelle.
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30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 11:46
Retour sur les lois antivoile

par Christine Delphy
23 août 2012

 

Le texte qui suit, issu du site Internet Les Mots sont importants, est la retranscription, en quatre parties, d’un entretien avec Christine Delphy, réalisé par Daniel Bertaux, Catherine Delcroix et Roland Pfefferkorn, publié initialement dans Migrations et sociétés en janvier-février 2011.

 

 

 

Partie précédente

 

 

Roland Pfefferkorn : À propos du foulard ou du voile, j’aimerais que tu reviennes
sur la manière dont les comparaisons internationales sélectives ont
 été utilisées dans l’argumentation par rapport à la situation française. Il me
 semble clair qu’on déplace les problématiques et que, en même temps, ce 
déplacement permet de privilégier l’émotionnel chez beaucoup de gens.
Peux-tu revenir sur cet usage sélectif des comparaisons internationales ?


Je parlais récemment avec une femme journaliste à la télévision
 du débat sur l’interdiction du foulard à l’école et du fait que cela 
pénalisait de jeunes Françaises. Elle en était d’accord mais elle pensait que
 cette interdiction pouvait aider… les Iraniennes ! Quand je lui ai demandé 
en quoi, elle m’a répondu que cela pouvait « être un signe ». Mais un 
signe de quoi et dirigé vers qui ? On ne peut comprendre ce qu’elle voulait
 dire qu’en s’inscrivant à l’intérieur du mythe national qui voit la France 
comme phare et guide des nations. Dans ce paradigme, dès que les 
Français font quelque chose, à l’étranger on se dit : « Ah, les Français font 
ça ! ! Ça doit être intéressant ! Et si on faisait la même chose ? ». Mais
 les autres pays ne se disent pas cela, ils sont dans leur propre mythe
 national, pas dans le nôtre, et ils ne nous voient pas comme un exemple.

 

Il faut qu’on se mette bien cela dans la tête. Je trouve triste que des 
gens aient cette vision… qu’ils imaginent encore la France comme une 
espèce de fanal qui inonde de sa lumière les autres pays. Parce que c’est
une illusion. Et ce n’est pas du tout ainsi que la France est perçue, surtout
 dans les pays naguère colonisés. Ce n’est pas parce qu’on interdit le
 foulard sur le sol français que ça va arranger la situation en Algérie. Au 
contraire, tout ce qui est francophile ou même francophone est perçu en
 Algérie comme appartenant au « Parti de l’étranger », et l’Algérie ferait
 plutôt le contraire de ce que fait la France, par principe. En nous croyant 
un exemple, dans notre rêve franco-français, nous sous-estimons complètement
 le ressentiment qui continue d’exister en Afrique du Nord, et en 
Afrique tout court, contre la France, contre toutes les puissances coloniales.
On ne veut pas en tenir compte, on se raccroche à notre version du
 conflit, une version pro-colonialiste, et on refuse de voir ce ressentiment.

 

De la même façon que l’on ne veut pas tenir compte de ce qui risque d’arriver en France. J’entends beaucoup de gens dire que la loi de 2004 
interdisant le foulard à l’école est très bien. Ils disent : « Ça s’est très bien
 passé », voulant dire par là que les filles enlèvent leur foulard (et celles
qui ne l’enlèvent pas et qui ne vont plus en classe, on n’en parle pas, c’est mal élevé). En effet, que peuvent-elles faire, ces élèves ? Elles enlèvent
 leur foulard à l’entrée de l’établissement et le remettent à la sortie. Ça s’est
 très bien passé dans le sens qu’il n’y a pas eu de bombe dans les écoles. Mais enfin, il faut voir plus loin : ces jeunes filles vont au collège, puis
 au lycée pendant sept ans, pendant sept ans de leur vie elles sont
 humiliées matin et soir – et entretemps – car toutes leurs camarades 
savent et qu’elles portent un foulard et qu’elles ont été obligées de le 
retirer à la porte de l’établissement. Elles vont devenir adultes. Les 
Algériens n’ont pas oublié les 130 ans de colonisation et ils n’ont pas
 oublié les huit années de guerre. Ces jeunes filles vont-elles oublier ces 
sept années d’humiliation ? Je ne le pense pas.

 

Quand elles vont devenir adultes, c’est là qu’on verra ce qu’on a fait, 
qu’on verra vraiment le résultat de la loi. On a créé encore un autre
 clivage, comme s’il n’y en avait pas déjà assez. On a empiré les choses.
Car si elles portent le foulard, c’est parce qu’il y a quelque chose qui ne
 va pas, et ce quelque chose qui ne va pas, pour commencer, c’est le 
racisme qu’elles subissent. Sinon elles ne porteraient pas ce foulard, qui n’est pas un foulard
 maghrébin. Ce n’est pas la continuation d’une tradition ou d’une coutume
 familiale. La moitié ou plus de leurs parents, loin de les forcer à le porter,
 s’y opposent. Dans la génération des parents cela ne se faisait pratiquement 
pas. Cette génération croyait à l’intégration. Mais la génération
 suivante a vu le résultat de cette croyance : aux yeux de la nouvelle génération,
il n’y a pas d’intégration, et leurs parents se sont fait rouler 
dans la farine. Leur façon de se rebeller, c’est de porter le foulard. Si,
 quand elles se rebellent contre un traitement qu’elles trouvent injuste,
 on leur répond par une punition injuste elle aussi, ça ne va pas arranger
les choses. On peut taper sur la tête des gens, et quand ils la relèvent,
 retaper, mais il faut être conscient que c’est une conduite à risques. C’est 
celle de la France aujourd’hui.

 

Roland Pfefferkorn : Par rapport à ces filles exclues de l’école à qui on refuse le
 droit à l’éducation, l’interdiction du foulard n’est en rien une mesure féministe. 
La moitié des filles qui ont été exclues en France, l’ont été en Alsace et en
 Moselle, c’est-à-dire dans les trois départements non laïques. Or en Alsace et
 en Moselle il y a des curés, des rabbins et des pasteurs qui donnent des
cours de religion au sein des établissements scolaires publics, qui siègent
 dans des conseils de classe, y compris dans des établissements où on a exclu
 des filles [1]. La contradiction apparaît là particulièrement grotesque. De plus, jamais il n’y a eu en France une campagne publique en faveur de la laïcité dans ces trois départements…


Là on est face à une situation paradigmatique. Il est clair
 que le ressort des campagnes anti-foulard n’est en rien une opposition
 à la religion en général. Le ressort est le racisme. Ce n’est pas à la
 religion qu’on en a, parce que les autres religions sont non seulement 
tolérées mais favorisées et subventionnées en Alsace-Moselle, et en
 Guyane, au sein de l’école publique, au détriment des non-croyants qui,
 garçons et filles, doivent trouver des excuses pour ne pas subir les cours 
de religion. C’est en réalité une religion précise – l’islam – qui est refusée
 et attaquée par des gens qui prétendent qu’ils ne peuvent supporter 
aucune religion. Cependant, on voit qu’ils ont une grande tolérance pour 
les religions chrétiennes. En fait ils les ont intégrées comme des éléments 
culturels, et ils ne les voient plus comme des religions avec la connotation 
péjorative qu’ils donnent à ce terme. Comme si la culture était une chose
 et la religion une autre.

 

Or la religion fait partie de la culture, et vouloir
 l’en exclure est absurde. La religion n’est qu’un des aspects d’une culture
 qui est sexiste de bout en bout. Mais enlevons la religion de la culture – par exemple parmi les “déchristianisés” français, la majorité des gens en France – trouve-t-on moins de sexisme ? Absolument pas. D’ailleurs, trouve-t-on moins de christianisme chez les athées ? Cela semble une
 question absurde, et pourtant…
Les laïcards vivent dans un pays catholique, ils prétendent que le catholicisme n’est pour eux qu’une série d’églises – gothiques ou romanes – seulement des monuments pour lesquels leur intérêt est strictement esthétique, mais en même temps ils nient que le catholicisme soit un des piliers
 de l’ensemble de leur culture.

 

Par ailleurs, ils se déclarent opposés à tout
 esprit religieux et partisans d’une séparation absolue entre le domaine
 politique et la religion. Cette position est pourtant contraire à la loi de
1905, qui stipule que les Églises ne doivent pas intervenir ès qualités dans le
 débat politique, mais qui n’empêche pas les gens d’avoir leurs convictions : nombre de politiciens actuels, comme François Bayrou ou Christine Boutin,
 se disent ouvertement catholiques et déclarent haut et fort que leurs convictions 
religieuses informent leur morale et leur politique. D’ailleurs, 
comment pourrait-il en être autrement ? Pourraient-ils laisser leurs convictions 
à la porte du Parlement ? Et pourquoi le feraient-ils ? Mais nos 
intellectuels ainsi que de nombreux autres politiques chrétiens semblent 
ignorer les musulmans et redouter qu’ils n’introduisent leurs convictions
 dans la vie politique. Or c’est sûr que quand des musulmans croyants
 entreront dans la vie politique, ils n’auront aucune raison de laisser leurs croyances à la porte. Que les musulmans, comme les catholiques et les
 protestants, aient droit à leurs croyances et les expriment, où que ce soit,
c’est en cela que consiste la liberté de conscience garantie par nos 
Constitutions et nos conventions internationales. Les Églises sont exclues 
du fonctionnement politique, pas les consciences. Les députés qui étaient
 opposés à l’avortement (en France, en 1974) ont voté contre, et personne 
n’a dit que c’était illégitime parce que cette opinion était liée à leurs
 convictions religieuses.

 

Pour en revenir aux hyper-laïcs, qui prétendent qu’il faut faire dans la 
vie publique comme si les religions n’existaient pas, très curieusement ils 
passent leur temps non seulement à étudier l’islam, mais à l’expliquer
 aux musulmans. Les grands “spécialistes” de l’islam que sont Bernard-
Henri Lévy et Caroline Fourest font assaut de citations de hadiths et de 
sourates et deviennent des exégètes du Coran. Ils expliquent, comme 
le fait aussi le Premier ministre, que le foulard ou le niqab « ne sont pas des obligations religieuses pour les musulmanes ». Nous sommes ainsi en pleine confusion, et même en pleine schizophrénie.
Ces contempteurs des musulmans prétendent à la fois rejeter
 toutes les religions, la religion, et en même temps… chercher la “véritable”
religion, qui serait, elle, acceptable !

 

L’État, par exemple, se mêle de fabriquer un « islam de France », et
 c’est le Premier ministre qui le définit, en excluant le niqab de cet islam-là. Mais c’est complètement contradictoire avec la loi de 1905 et la liberté
 de conscience et de culte. Les gens ont le droit de croire à ce qu’ils veulent,
 et il n’y a donc pas de “bonne” ni de “mauvaise” interprétation de 
l’islam – ou de l’astrologie – du point de vue de la loi, du point de vue de l’État. Car la loi de 1905 met sur le même pied toutes les croyances, 
l’astrologie et le voltairisme, le bouddhisme et l’athéisme. L’astrologie a
 plus d’adeptes en France – et ailleurs – que toute autre foi : Ronald 
Reagan par exemple, lorsqu’il était président des États-Unis, ne prenait 
jamais une décision importante tant que certains signes du zodiaque 
n’étaient pas dans les bonnes maisons (je ne comprends pas ce que cela veut dire, mais Reagan, lui, comprenait). L’État n’a tout simplement pas à 
intervenir dans les questions religieuses, dans les convictions individuelles :
c’est là l’une des libertés fondamentales. Mais cette liberté-là, les Français,
 qui se la sont donnée sur le papier, sont incapables de la vivre : elle leur
 semble trop grande. C’est ce refus de la liberté que l’on voit à l’oeuvre 
dans cette contradiction qui montre des athées confirmés se plongeant 
dans le Coran pour le réinterpréter après des milliers de théologiens musulmans, prétendant connaître l’islam mieux qu’eux. Et c’est au nom de
la séparation des Églises et de l’État qu’ils encourent ce ridicule ! Voilà
 des gens qui ne supportent pas la liberté de conscience, et qui voudraient
 revenir aux périodes antérieures, où l’État dictait aux gens ce qu’il fallait
 penser.

 

Partie suivante, à paraître

P.-S.

Cet entretien a été publié initialement dans Migrations et sociétés en janvier-février 2011 sous le titre suivant : « La fabrication de "l’Autre" par le pouvoir ».

Notes

[1] Cf. PFEFFERKORN, Roland, “Alsace-Moselle : un statut scolaire non laïque”, Revue des Sciences
 Sociales, Strasbourg, n° 38, 2007, pp. 158-171.

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