"L'Etat s'impose le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, et il est normal et nécessaire que les collectivités participent à cet effort national (...) On ne peut pas non plus occulter que, de 1997 à 2007, hors transerts de compétences et de personnels, les collectivités territoriales ont créé 340.000 emplois supplémentaires. Il faut arrêter cette dérive". Quel est le benêt qui se drape dans les beaux habits de la rigueur (pour les autres la rigueur, pour les pauvres la rigueur), et qui, en pleine crise du capitalime dont les perpétuelles conséquences sont la destruction des postes et des outils de travail, ose se plaindre de la création d'emplois ? C'est Georges Tron. TRON ! Jamais entendu parler ? Non, rien à voir avec le film de SF produit par Disney au début des années 80 (quoique...) Tron, c'est le secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique qui, emboitant servilement le pas à l'oligarque Sarkozy dans sa déclaration présidentielle du 12 juillet dernier, appelle le bon peuple de France à se serrer la ceinture et les coudes afin d'instaurer une cure radicale de rigueur dont les effets, on ne cesse pas de nous le seriner, devraient normalement nous être bénéfiques en cette période de récession économique.
A bas les emplois publics locaux !
Moins de fonctionnaires territoriaux, ce sont quand même moins d'emplois, corrélativement moins de revenus, donc moins de consommation pour solvabiliser la production, et moins de services publics locaux qui extirpent (souvent gratuitement) du règne de la marchandise des biens nécessaires pour assurer la dignité humaine de toutes et tous (santé, culture, sport, jeunesse...) La rigueur ou l'austérité - cela dépend de la météo idéologique du jour - ne sont que les cache-sexe d'une radicale tromperie sur la marchandise selon laquelle réduire la fonction publique, et partant les services publics, devait permettre d'ouvrir un boulevard aux intérêts privés censément plus efficients et dont l'investissement en capitaux est censé aider à surmonter la crise de reproduction et d'accumulation du capital. La bêtise des capitalistes, néo ou archéolibéraux, c'est leur impuissance à tirer les leçons du passé. Comme si 1929 n'avait jamais eu lieu ! Pire, et c'est l'économiste Frédéric Lordon qui aime à le répéter, c'est une crise tous les deux ans qui affecte depuis vingt ans régulièrement le capitalisme mondialisé, tantôt saturé des graisses des crédits à l'immobilier, tantôt goinfré des valeurs produites par l'eldorado numérique. Alors que la finance, fantasme de l'argent s'auto-produisant, n'est pas autre chose que l'extorsion voulue invisible des richesses produites par le monde du travail.
De l'Etat ou des collectivités, qui est le plus rigoureux des deux ?
Donc, les collectivités territoriales doivent suivre le brutal mouvement général. Et la cure d'amaigrissement a déjà commencé avec la suppression de la Taxe Professionnelle en 2010 qui représente 50 % des ressources fiscales locales, et qui sera normalement remplacée en 2011 par une Contribution Economique Territoriale induisant un nouveau partage des ressources fiscales au profit des entreprises (25 %) et au détriment des ménages (75 %). Et l'Etat va les y aider : "Le concours financier de l'Etat au fonctionnement des collectivites territoriales, environ 80 milliards d'euros par an, va être gelé dans le budget 2011-2013". Sympa, le Tron ! On aurait dû pourtant lui rappeler les faits élémentaires suivants :
- les collectivités territoriales qui représentent 32 % de l'emploi public assurent 75 % des investissements publics nationaux ;
- si la dette publique, soit l'ensemble des emprunts contractés auprès des marchés financiers depuis 1973, s'élève à 1.500 milliards d'euros (environ 75 % du PIB), la part de l'Etat s'élève à presque 80 %, quand celle des collectivités territoriales est seulement d'à peine 10 %.
Donc, pénaliser les collectivités territoriales, c'est économiquement se tirer une balle dans le pied, pas moins !
On le voit, le régime fiscal des collectivités territoriales est autrement mieux tenu que celui d'un Etat surtout dépensier en direction des fortunés (n'est-ce pas les Bettencourt et consorts ?), et qui cherche seulement à entretenir la charge de la dette pour faire fructifier les actifs des personnes détentrices de bons du trésor ou d'obligations d'Etat, et surtout ici à se décharger de cette même dette en direction des collectivités locales. Tron, le troufion de Sarkozy, en appelle en conséquence à "soutenir en priorité les collectivités dont la gestion est la plus rigoureuse et vertueuse". La vertu serait peut-être ici de prendre en considération la poutre qui est dans son oeil (un Etat véritablement redistributeur de richesses, mais du bas vers le haut), plutôt que la paille dans l'oeil du voisin (des services publics locaux qui permettent tant bien que mal de permettre aux classes populaires de ne pas s'enfoncer davantage).
On connaît la chanson (sur un air du groupe Téléphone) :
Oh, Tron, t'es vraiment (de) trop !
Ca se sent, ça se sent
Oh, Tron, t'es vraiment (de) trop !
Ca se sent, ça se sent
Ca se sent que t'es (de) trop !