L'ambiance est encore plus tendue qu'à l'accoutumée dans la cité des Tilleuls du Blanc-Mesnil (93), depuis que des bus 148 de la RATP ont été caillassés mardi 23 février dernier. Trois hommes du GPRS, le service de sécurité de la RATP, auraient été légèrement blessés lors du caillassage. Pour seule réponse appropriée, le service a été suspendu sur l'arrêt concerné par la direction de la RATP, privant les habitant-e-s du quartier en question de la possibilité de jouir d'un service public censément destiné à tout le monde. Que s'est-il passé ?
D'après Le Parisien (que d'aucuns ose, les ingrat-e-s, surnommer "Le Pourisien"), tout aurait commencé lorsque des agents du GPRS, le service de sécurité de la RATP, ont refusé de laisser monter une personne sans titre de transport à bord d’un bus de la ligne 148. Le véhicule qui desservait à ce moment-là l'arrêt Altrincham-Lénine à la Cité des Tilleuls est alors pris pour cible par une trentaine d’individus qui, inopinément surgis de quelque cave, se mettent à le caillasser sauvagement. Comme ça, sûrement pour rigoler, ou peut-être pour célébrer une divinité occulte ramenée en métropole après quelques siècles d'aventure coloniale. C'est vraiment toute la pauvreté analytique du journalisme actuel, qui, croyant coller aux faits et à eux seuls, substitue à sa volonté de demeurer factuel une visions biaisée et schématique des raisons sociales de telle situation particulière.
La direction de la RATP a confirmé l'incident et le fait qu'il ait été provoqué par une "infraction tarifaire", en précisant que trois de ses agents de sécurité avaient été "blessés légèrement". Le véhicule qui escortait le bus aurait également été la cible des projectiles. La ligne 148 reliant Bobigny au Blanc-Mesnil est considérée par les agents de la RATP comme "une des lignes noires du département". Depuis novembre dernier, à la suite de l’agression d’un lycéen à coups de battes de base-ball, les bus de la ligne 148 sont régulièrement escortés par les CRS", ajoute l'article du Pourisien, pardon du Parisien.
Ce qui demeure refoulé dans le hors-champ de la compréhension politique des faits sociaux, ce sont :
_ La présence continuelle de CRS qui participe à accroître la stigmatisation des habitant-e-s des quartiers de la relégation sociale, quand ne s'ajoutent pas à cette stigmatisation des vexations symboliques (des regards ou des gestes moqueurs) et verbaux (des insultes) qui peuvent facilement mettre le feu aux poudres de la résignation sociale ;
_ De plus, la vérification systématisée sur le mode policier des titres de transports induit un ralentissement du fonctionnement de la ligne, avec, pour un résultat qui légitimement hérisse le poil des usagers, que deux, voire trois bus, peuvent se succéder de près. C'est la périodicité du trafic qui s'en trouve amochée.
_ Le scandale réside également dans le traitement honteux adopté par la RATP pour répondre face au problème survenu : c'est carrément le régime de la faute collective (il n'y a que dans le domaine du punitif que les choses sont pensées collectivement, comme on le remarque souvent) entraînant une sanction vécue par tout un quartier ainsi privé de son arrêt de bus. L'idée même de service public se trouve ici purement et simplement abolie.
_ Ce régime sec de la double peine (d'abord la présence de CRS qui humilie les usagers et pèse négativement sur le fonctionnement de la ligne, ensuite un pétage de plomb sanctionné collectivement et frappant un quartier concentrant déjà toutes les inégalités sociales), moulé dans les logiques du tout-sécuritaire et de la casse des services publics, aura donc été la seule parade adoptée par la RATP pour permettre de faire fonctionner correctement la ligne 148. Gageons que tout cela va améliorer les choses, et va être considéré d'un bon oeil par des personnes déjà largement mises sous la double pression du racisme ou du mépris de classe national et de la crise sociale provoquée par l'inextinguible soif de profit du capitalisme financier.
On espère vivement que les syndicats de la RATP, particulièrement la CGT et SUD, sauront avancer tous ces points lors des discussions entamées avec la direction de la RATP, et pas seulement se reposer sur la question, certes légitime du point de vue des agents conducteurs de bus, du droit de retrait, protection statutaire qui leur est due, mais qui ne résout en rien la situation d'un quartier d'abord victime d'une insuffisance de prise en charge collective.
Pour les communistes liberrtaires, la première réponse d'urgence véritablement appropriée, à la fois pour étendre les usages du service public des transports urbains, et entraîner une baisse nette des incidents de ce genre, ne serait que l'entière gratuité d'un service public déjà largement rentabilisé par l'impôt.
En complément, doubler le trafic existant, et mettre en place un système de relais ou de doublette entre les conducteurs afin de ne pas subir seuls les flux parfois tendus d'usagers, seraient également à envisager.
Les usagers du 148 ne veulent ni du tout-sécuritaire, ni du Pass Navigo, mais la gratuité et le fonctionnement correct d'un service public qui leur est du. C'est tout. Et c'est pas compliqué !