Cinq idées fausses sur l’immigration
1/ « L’immigration concerne uniquement les pays développés » est la première idée fausse.
Selon les Nations Unies, 175 millions de personnes résident officiellement dans un pays qui n’est pas celui de leur résidence, soit 3 % seulement de la population mondiale. Si le nombre de migrants a plus que doublé depuis 1975, 60 % d’entre eux habitent dans les pays riches et 40 % dans les régions pauvres du globe. Pour ce qui concerne la proportion d’immigrés sur la population totale, la France avec ses 6,2 millions d’immigrés (soit un dixième de la population) occupe, après les Etats-Unis, la Russie, l’Allemagne et l’Ukraine, la cinquième position ex aequo avec l’Inde. S’agissant de proportion de migrants dans la population active, aucun des grands pays industriels ne figure parmi les vingt premiers.
2/ « Les immigrés sont les pauvres des pays pauvres » est la deuxième idée fausse.
En effet, les immigrés ne quittent pas leur pays d’origine pour aller directement s’installer dans les pays riches. L’immigration est un processus qui s’effectue par étapes, de régions voisines en régions voisines. Les mouvements migratoires sont la plupart du temps frontaliers : ainsi en Afrique, les mouvements se font entre pays ou régions frontalières pour la plupart du temps avant que l’Europe n’apparaisse comme une destination viable. Plus généralement, les migrants représentent, par rapport aux non-migrants du pays d’origine, une population plus instruite et dotée des ressources nécessaires au financement des frais élevés relatifs au voyage et à l’installation.
3/ « Les immigrés sont responsables du chômage dans les pays d’accueil » est la troisième idée fausse.
Si l’on classe les pays européens en fonction du taux de chômage et de la proportion des étrangers dans la population totale, on constate que, en Finlande, en Espagne et en Italie par exemple, dans lesquels le taux de chômage est relativement élevé, la part des étrangers dans la population totale est très faible. Si, à l’inverse, des pays tels la Suisse, le Luxembourg et les Etats-Unis enregistrent un pourcentage relativement élevé de la population étrangère totale, ils connaissent un taux de chômage relativement plus faible. Si l’on prend le solde migratoire français (65.000 personnes par an), on constate que le nombre de licenciements y est quatre fois élevé que pour l’ensemble des nationaux. C’est dire que l’évolution du chômage dépend principalement du comportement des entreprises induisant plus de vulnérabilité chez les immigrés. Surtout, les immigrés occupent les postes peu qualifiés et rémunérés (BTP, restauration, tourisme saisonnier, commerce de détail, entretien, services à la personne : de véritables zones où se niche le travail clandestin et invisible) qui sont massivement refusés par les nationaux. Significatif aussi est le pourcentage du taux d’activité : en France, 76,4 % des immigrés masculins travaillent contre 75,6 % des actifs nationaux. Le sociologue Abdelmalek Sayad a rappelé qu’un immigré est d’abord et avant tout défini comme pure force de travail avant d’être considéré comme une personne détentrice de droits. Evidemment, et à l’inverse, les immigrés sont plus souvent au chômage (19,7 % des actifs immigrés masculins contre 8,7 % de nationaux), ce qui est très difficile à vivre pour un individu dont la présence dans un pays étranger au sien est principalement déterminée par la question du travail. On voit également de quelle manière les immigrés peuvent servir de cordon protecteur contre le chômage profitant aux nationaux, les premiers étant davantage touchés que les seconds (qui sont du coup plus épargnés par les effets de la crise économique comme on s’en est aperçu à la fin des années 1970).
4/ « Les immigrés coûtent plus aux pays d’accueil qu’ils ne rapportent » est la quatrième idée fausse.
D’abord le registre comptable sous lequel on envisage la question migratoire dénote d’une sordide vision utilitariste indexant les personnes sur le calcul des coûts et bénéfices qu’ils sont censés valoir en termes de stricte force de travail. Il n’existe d’ailleurs à ce jour aucune étude quantitative sérieuse qui démontrerait cette idée de l’insupportable coût de l’immigration. Ensuite, les nouveaux migrants sont d’abord et avant tout des travailleurs qui produisent des richesses, et des consommateurs dont les besoins, pour être satisfaits, appellent au développement de l’emploi. Ils participent ainsi à l’accroissement de la demande de biens de consommation et de logements. Ils paient des impôts et des cotisations sociales : ils participent donc à la richesse du pays d’accueil. Et souvent cette richesse est perdue pour la collectivité lorsque les entreprises ne déclarent pas leurs salariés sans papier (qui, de plus, souffrent, de par l’illégalité de leur situation, de ne pas pouvoir bénéficier de la moindre protection sociale, mise à part la Couverture Médicale Universelle instituée en 2000).
5/ « La France est envahie par les immigrés » est la cinquième idée fausse.
Et elle est la plus connue, tant le Front National l’aura relayée dans les années 1980 avec la complicité active et passive des autres forces politiques et des médias. Ce stéréotype repose sur la confusion de trois termes distincts : Français, étrangers, immigrés. On rappelle que, selon l’INSEE, un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et qui a pu devenir française, alors qu’un étranger est une personne qui n’a pas la nationalité française même si elle peut être née en France. En France, en 2000, vivent un peu plus de 2 millions d’immigrés non-communautaires (extra-européens), et un peu plus de 1 million d’immigrés communautaires. Pour une population totale de 3.263.000 d’immigrés, rapportées à un total qui, à l’époque, s’élevait à 58.973.000 de personnes, cela fait 5,5 %. C’est peu. Si on ajoute à ce chiffre la population des étrangers, on obtient l’équivalent de 10 % de la population totale. Et dans ces 10 %, beaucoup sont Français ou sont nés en France. Il serait donc irrationnel de considérer que la crise économique reposerait uniquement sur une population qui, parce qu’elle a migré, est massivement laborieuse.
L'une des plus grandes erreurs, peut-être, consiste à n'envisager les migrants que comme des immigrés seulement, et jamais des émigrés qu'ils sont aussi dans le même mouvement bidimensionnel, parce que ces individus n'intéressent la société qui les "choisit" que pour autant que leur force de travail est considérée dans une stricte logique abstraite et utilitariste, coupée du pays d'origine dont elle provient in fine. Le travail sociologique d'Abdelmalek Sayad qui sera abordé dans la troisième partie de notre argumentaire (ici) permet de mettre à nu le clivage fétichiste propre à une société capitaliste comme la France selon lequel les immigrés ne sont jamais perçus comme des émigrés, désaveu qui précisément s'enracine dans le déni idéologique de l'histoire coloniale et impériale propre à la vieille république française.