La crise mondiale du capital favorise la multiplication d’essais critiques analysant les déterminations systémiques d’un régime économique structuralement porté, lorsqu’il s’agit de préserver ses taux de profit, à détruire les conquêtes sociales gagnées par le monde du travail. Sur la base d’un matérialisme partagé par deux économistes idéologiquement proches du NPA, Un pur capitalisme et La Grande crise du XXIe siècle savent décrire précisément les caractéristiques d’un capitalisme contemporain dont l’unique horizon historique est la crise sociale et environnementale.
1/ Michel Husson, Un pur capitalisme, éd. Page deux, coll. Cahiers libres, 2008, 204 p.
Le capitalisme contemporain tend vers un fonctionnement pur qui fait fi des anciennes régulations. Cette adéquation croissante d’une logique économique à son concept idéal se traduit de deux façons : par la « remarchandisation » de la force de travail, et par la formation tendancielle d’un marché mondial. D’abord cette « remarchandisation » signifie une hausse tendancielle du taux d’exploitation. Ce que prouve la baisse continue à partir des années 80 de la part salariale dans le PIB (produit intérieur brut) : les gains de productivité ne reviennent plus aux salariés mais aux profits. Ensuite, la valorisation du capital financier au détriment du capital industriel permet l’abolissement des cadres nationaux à l’intérieur desquels s’était constitué l’ancien compromis capital/travail (qualifié par les uns de keynésien, par les autres de fordiste). Flexibilité du travail et compétitivité internationale sont les deux mamelles d’un capitalisme qui n’a plus de compte social à rendre. Quant à la fonction de la finance, elle a servi à capter les gains de productivité, durcir la logique concurrentielle en fluidifiant les mouvements transnationaux de capitaux, et réaliser le marché mondial à l’intérieur duquel les transferts de capitaux partent massivement du Sud pour profiter au Nord.
L’intégration de la Chine « communiste » au sein du grand concert de la mondialisation du capital contredit les dogmes néolibéraux puisqu’elle résulte d’une politique industrielle volontariste doublée d’un contrôle étatique de l’investissement à l’étranger. La croissance chinoise, qui représente une véritable catastrophe écologique, dément l’argument libéral qui voit dans l’importation à bas prix de biens de consommations un bienfait pour les consommateurs occidentaux, puisque cette logique induit une baisse de la valeur de la force de travail et donc le gel des salaires.
Pourtant, ce processus est contradictoire, et rencontre deux limites sérieuses qui renforcent son instabilité systémique. D’abord, c’est la polarisation de toutes les sociétés en fonction du principe de l’accumulation du capital, qui sépare la partie s’inscrivant correctement dans cette dynamique et celle qui en est exclue, engendrant en conséquence un net creusement des inégalités. Ensuite, si les marchés les plus importants sont ceux où les salaires sont les plus élevés, la recherche des bas salaires réduit le volume total des débouchés que ne saurait compenser la seule augmentation des revenus des plus riches (qui préfèrent épargner). Ce qui entraîne une concurrence inter-impérialiste (Etats-Unis, Europe, Chine, autres pays émergents), et avec elle un déséquilibre permanent qui s’exerce au niveau mondial. Dominent avec les baisses d’impôt bénéficiant aux classes possédantes des déficits importants. Combinés à une spirale de l’endettement, ces déficits sont de plus favorisés par la baisse des taux d’intérêt qui a contribué récemment à la crise des « subprimes » à l’origine de la crise économique mondiale actuelle.
Pour répondre au défi de l’involution sociale et de la catastrophe écologique qu’entraîne ce capitalisme pur, il faudra instituer une moindre intensité des échanges internationaux, un recentrage vers la satisfaction des besoins sociaux, et la redistribution d’une partie des gains de productivité sous forme de temps libre. Ce qui implique une réduction des taux de profit et une autre répartition des revenus. Parce que le capitalisme privilégie l’accumulation dans les secteurs où les gains de productivité sont les plus élevés, les besoins sociaux urgents qui ne répondent pas à ce critère de rentabilité disent la croissance des contradictions systémiques d’un régime économique qui risque une implosion dont aucune garantie n’assurerait qu’elle ouvrirait la voie à une transformation sociale positive.
Ni l’Union Européenne qui n’a pas d’autre fonction que de s’inscrire dans cette dynamique autodestructrice, ni les idéalistes promouvant le « capitalisme cognitif » oubliant que la mondialisation du capital entraîne un mouvement de prolétarisation et de paupérisation international que ne saurait conjurer leur appel à l’intellectualité libre de toute industrie, ne proposent une solution qui ne repose que sur la volonté sociale et progressiste des masses de transformer les rapports de production qui les oppriment. D’où la nécessité d’une contre-expertise économique dans le champ des idées, comme de la fondation d’un programme politique anticapitaliste adossé sur la prise en compte du cadre international dans lequel se déroulent aujourd’hui les luttes de classes.
2/ Isaac Joshua, La Grande crise du XXIe siècle. Une analyse marxiste, éd. La Découverte, coll. Sur le vif, 2009, 136 p.
A la différence du XIXe siècle où la mondialisation concernait d’abord les échanges commerciaux, la crise du début du nouveau siècle est celle du capital productif associé à la généralisation mondiale du salariat. C’est l’ère des crises à dominante salariale qui débute avec la dépression de 1929. Si la pression à la baisse des salaires est un avantage pour l’équilibre d’un système qui privilégie les taux de profit, leur flexibilité à la baisse dans des économies où les salaires pèsent d’un poids prépondérant au sein du revenu national devient une menace pouvant entraîner une involution sociale généralisée. Le modèle de régulation fordiste favorisait, sur la base d’un rapport de forces favorable aux travailleurs, les salariés considérés comme des consommateurs, afin d’effectuer un rattrapage (l’Europe par rapport aux Etats-Unis, les pays occidentaux par rapport à une tendance à l’accumulation continue depuis l’avènement du capitalisme) brisé par la crise de 1929 et la seconde guerre mondiale. Désormais, une fois le rattrapage effectué et le fordisme détruit parce que sa stabilité commençait à entraîner la baisse tendancielle des taux de profit, la condition salariale se trouve progressivement démantelée, les marchés sont de plus en plus libéralisés et interconnectés, et l’Etat se voit confiné dans le registre de la pénalisation de la misère et de la révolte sociale, comme l’a toujours souhaité la revanche des élites néolibérales en sommeil depuis les années 30.
La financiarisation du capital accompagne cette révolution conservatrice, avec la place grandissante occupée par le financement direct au détriment de l’intermédiation bancaire classique, le pouvoir actionnarial, et la collectivisation de l’épargne. Cette sorte de titrisation universelle entraîne une mutation du patrimoine des ménages avec, au passif, le gonflement des dettes et, à l’actif, une montée des bulles spéculatives boursières et immobilières. Homogénéisation du rapport salarial, financiarisation du capital, et interconnexion mondiale induisent le fait qu’une crise dispose dorénavant d’une plus grande vitesse d’exécution et d’un plus grande espace de déploiement pour ravager plus violemment les sociétés du monde entier.
Avec la fin de la régulation fordiste, c’est la réinstallation d’une flexibilité à la baisse lors de conjonctures récessives qui poussent les dépenses des ménages vers le haut en réduisant leur épargne et en accroissant leur endettement. Aux Etats-Unis, imposés comme le modèle à suivre, le surendettement des ménages contraints à la surconsommation pour doper la croissance s’est substitué, depuis le premier mandat présidentiel de Ronald Reagan, à l’ancien compromis social au nom duquel la hausse des salaires était indexée sur l’augmentation de la productivité. La crise qui frappe ce pays, et tous ceux qui suivent de gré ou de force la référence étasunienne, est bien celle d’une suraccumulation de capital s’effectuant à un rythme tel que les taux de profit n’arrivent même plus à suivre. Comment une croissance à 2 % en moyenne (à l’époque qui précédait le surgissement de la crise) peut-elle durablement satisfaire des exigences actionnariales réclamant 15 % de retour sur investissement ? La crise de la nouvelle économie numérique de 2001 n’a pas été surmontée comme d’aucuns le prétendent, mais seulement stockée dans les déséquilibres qui ne cessent pas de cumuler leurs effets négatifs. Jusqu’à l’explosion actuelle. Désépargne publique et faiblesse de l’épargne privée convergent dans les déficits extérieur et budgétaire.
La sous-consommation ni la saturation des débouchés ne sont les causes structurelles de la crise. Mais c’est bien la suraccumulation de capital qui intensifie comme jamais la contradiction capitalistique primordiale entre le caractère de plus en plus social de la production et la forme toujours plus étriquée de la propriété. Ce qui invalide la thèse (néo)classique postulant l’équilibre « naturel » collectif obtenu par la défense des intérêts privés. La fuite en avant dans une vie à crédit poussée par la financiarisation du capital bute aujourd’hui sur la profitabilité limitée du capital réellement productif. Jusqu’à l’éclatement des bulles, la destruction massive des postes de travail, les transferts de fonds publics afin de renflouer les banques compromises par la politique libérale classique de la socialisation des pertes et de la privatisation des bénéfices. Toutes choses ravageuses, humainement et écologiquement.
Si l’instabilité est conjurée, la profitabilité est menacée. Si la profitabilité est reconstituée, l’instabilité revient : c’est cette équation capitaliste de base qui oblige à une considération économique globale du caractère systémique des crises, comme à la nécessité politique d’une rupture économique identifiant enfin la socialisation des rapports de production à la collectivisation des richesses produites.